grandeur et décadence - dakota

Un soupir révulse l’air, les opales de la gamine se portent sur la pendule derrière son patient. Le couchant recueille la pièce où les esprits se jouent et se déjouent, les abandonne dans l’éclat orangé de ses rayons. La journée s’achève ; elle observe cet homme, maître de ses aiguilles, fin manipulateur de son temps. Ses prunelles incandescentes le traversent, et sans doute là parvient-il à déceler les vestiges de sa patience. Elle lorgne sur chacun de ses rictus, de ses gestes, chacune de ses assertions, mais ce corps n’implore que digressions et mesquineries.

« - Il y a une chose que votre attitude légère ne masque pas, et c’est votre appétit pour les femmes. »

L’enfant pénètre son regard au fond de celui du rejeton, guère bousculé par les derniers mots en suspend au-dessus de lui-même. Le cheminement de la séance est évasif, elle peine à saisir les raisons de cette présence négligée, maniée avec scrupule.

« - Peut-être que nous tenons enfin là le véritable filon de votre venue. Son faciès s’abaisse vers le papier sur ses genoux, elle y appose vulgairement du bout de son crayon « sexualité? ». De quoi s’agit-il, un problème d’impuissance? De performance peut-être? Ses yeux l’effleurent, placides. Je peux vous recommander un bon sexologue si vous le souhaitez. »

Les fondations austères de la profession s’estompent cruellement, elle tâche de comprendre d’une manière ou d’une autre. Dakota semble entrevoir dans le sarcasme de la jeune femme le désir de reconnaître qu’il avait traîné sa carcasse jusqu’ici, et que ceci ne pouvait pas se justifier par des railleries incessantes.

Là pour être aidé. Pourtant l’enjeu à l’air si différent maintenant que tu te retrouves devant cette nymphe. Les opales qui cherchent à rentrer dedans, le sourire de charmeur, tout y est pour faire craquer, pour laisser une nuit de désir se produire . regard de braise, les mots qui ne sortent pas, toi qui voulais faire un effort. Et si tu ne le voulais pas ? Si simplement tu cherchais à te sentir vivant, si seulement tu essayais d’arrêter de te rabaisser. L’insouciance n’est plus pour toi, pas depuis que cette balle c’est logé dans le corps de ton ami, laissant un être sans vie, les remords ne sont jamais apparus, car le visage tuméfié de ton frère de cœur avait tout fait pour stopper ta culpabilité et celle de Arwan.
Silencieux, tu devais déverser les mots, mais tu ne le fais pas. Cela aura duré deux secondes cette envie de t’en sortir, de te comprendre. Le regard qui ne cesse de caresser les voluptueuses formes de cette psy. Ton regard qui pénètre ton âme, tes opales qui s’accrochent à ses prunelles. Tu songes à tout sauf à cette séance, l’appétit comme elle dirait de femme torsionne ton âme. L’âme aventureuse, sans doute ce défi qui fait rage en toi pour l’avoir elle. Un nouveau défi et toi qui oublies de songer au fait que tu es un prédateur à force. Tu te retiens, mais la sensation de liberté, de vie qui traverse tout ton être quand tu cèdes à tes pulsions avec une autre personne est plaisante, tu es en manque, le manque de vie dans ta chair se fait ressentir avec le temps.
Impossible d’être droit. « Quel appétit pour les femmes, pour vous peut être.   » Tu te moques, comme pour ne pas briser la protection qui t’encadre, puis pourquoi ne pas ajouter un peu de plaisir dans tout ça. Le corps de déesse de l’impétueuse est un appel à la débauche à ton goût. Les opales qui s’accrochent avec ardeur à ses lèvres, qui t’ont l’air douce et charnue. Petit sourire s’imposant alors, qu’elle reste droite tout en essayant de te recadrer, mais tu n’es qu’un chien fou, qui ne cesse de traîner là où il ne devrait pas aller. « Vous séduire ?   » arrogance au bord des lèvres. Ton impertinence te jouera des tours tôt où tard, tu le sais bien.  aucun souci d’impuissance, tout le contraire je dirais … vous pourriez vérifier …  [/b] » [/color]Proposition indécente avec douceur, la voix qui chantonne, car tu ne veux pas non plus l’effrayer, qui aurait pu te dire qu’elle t’aurait tapé dans l’œil la jeune douceur qui se tient devant toi ? Personne.   « non, un psy … vous.   » Que tu murmures, car tu le sais le problème n’a rien à voir avec la sexualité, elle faisait fausse route, et si c’était cette envie de te détruire, cette peur de détruire ceux qui font battre ton cœur ? Ou encore cette peur immense d’être comme lui, le géniteur, le violeur ayant volé l’innocence de ta mère ? Et si tu cherchais surtout un bon moyen de te ruiner toi-même, sans l’aide du destin ou de quiconque ? T’es un animal complexe et blessé , rien d’autre qu’un putain de gosse qui cherche à être rassuré.

L’enfant peine à s’absoudre du dédain qui l’a saisi, à cette heure pourtant comment pourrait-il en être autrement? Une déontologie conservatrice maintient ses façades miséreuses. Elle comprend les remords lubriques de Dakota ; il les étouffe de son appétence pour le sexe opposé. La douce a l’esprit lourd des contes qu’elle a entendu aujourd’hui, ce flirt par défaut lui fait l’effet d’un plomb dans l’âme. Que dit le corps où les mots se heurtent sans ne jamais atteindre la surface?

Un soupir gonfle sa cage thoracique et s’échappe dans l’air. Charlie se lève, des pas qui languissent vers la porte sous le regard de cet homme. D’abord, elle glisse ses longs doigts délicats sur la poignée. L’incertitude a un goût amer d’infini. Mais c’est finalement le verrou qu’elle saborde, mécaniquement. Le son du loquet qui pénètre l’embrasure de porte assène la pièce d’une tension nouvelle, elle est saisie par un frisson. Ses opales assombries rencontrent celle du garçon, là la rencontre est lente, malmène la gamine sur le fil de sa névrose.

« - Je peux vous proposer un marché: vous admettez pourquoi vous êtes ici, et à chaque anecdote, je retire un vêtement. »

Une proposition qui fragilise la débâcle orgueilleuse de Dakota. Elle prend soin d’avancer son fauteuil face à lui, réduisant la proximité jusqu’alors instaurée.

Des océans qui s’entrechoquent encore dans le silence quasi-mortuaire d’une requête en suspend. Elle le laissera croire qu’il pourra l’effleurer du bout de ses doigts malhabiles, qu’en rêve il dessinera les contours de son visage et ceux de son corps. L’ange qu’il peine à atteindre et qui s’efface à quelques centimètres de ses mains.

La réalité de cet échange est pourtant bien plus tragique. Cette mise en scène douteuse laisse entrevoir les symptômes d’une obsession incoercible. Charlie, à l’heure où sa cervelle est ensevelie sous la détresse de ses semblables, se soumet aux râles qui peinent à surgir et ne trouvent d’échos nul part entre ces murs. Alors, elle s’adonne entière aux méthodes tant de fois condamnées par l’éthique et les moeurs.

Donne-moi de toi pour des lambeaux de moi.

@Dakota Bussby