(d) CAN'T SEEM TO KEEP YOU CLOSE.

il l'invite à sortir. tu verras, qu'il a dit. c'est toujours ça, avec dean. la surprise. l'émoi. c'est des feux d'artifices de ' oh ! ' et ' ah ! ' qui n'arrêtent pas. et parfois kash voudrait que ça s'arrête, que l'illusion retombe, qu'il retourne dans son coin du monde et arrête d'la regarder avec ses grands yeux. parce qu'il sait pas, dean, qu'elle est cassée. et elle a pas envie de lui dire. elle a pas envie qu'il comprenne. elle a pas envie d'voir les yeux vitreux d'celui qui comprend pas. ou pire, l'regard triste de celui qui comprend. elle a pas envie d'le voir approcher pour l'embrasser, parce que c'est comme ça que les jolis garçons font, tout en confiance et sourires en coins. elle voudrait pas qu'il approche, sinon kash elle aurait pas d'autres choix que remplir l'espace entre eux. alors qu'elle veut pas. nononononononon non qui s'répète en statique dans l'fond de son crâne. mauvaise chanson. berceuse qui tourne au cauchemar. ouais, kash, elle préfère éviter dean plutôt que de devoir faire semblant avec lui, plutôt qu'avouer qu'on l'a un peu ratée à la naissance. qu'elle peut pas toucher, kash, sans aimer très fort. mais qu'elle aime jamais assez. alors elle essaie d'penser à lui souvent. tout ça parce que wiswas lui tombe toujours dessus quand elle s'y attend pas, avec ses grands sourires et ses mots gentils et son aura solaire. elle essaie de s'y attendre, elle se prépare, elle tourne trois fois la tête vers la porte du café quand quelqu'un s'invite. elle essaie, tellement, tellement fort de l'voir arriver. mais y'a rien pour contrer la surprise quand c'est l'cas, la bouille brune qui s'faufile entre les tables vers elle. kash s'élève, comme le soleil au petit matin. sourire timide, sourire un peu émerveillé d'le voir là. comme si elle s'y attendait pas. comme s'il lui avait pas donné rendez-vous ici. comme s'il lui avait pas dit, tu verras. c'est ça l'problème avec kashi: elle voit jamais à quel point elle est tombée, tant qu'elle s'est pas prise l'sol dans les dents. " dean. hey. " et même son nom a l'air nouveau contre ses dents. comme un soupir. comme une prière. mains qui viennent s'coincer dans les poches de sa salopette avant d'ressortir, parce qu'il faut qu'elle agrippe le gobelet où s'cachent les restes de son thé. " c'est quoi le plan, aujourd'hui? "

hey kash, il dit. avec un sourire. l'genre qu'elle voudrait coincer dans un bocal et garder. pour les mauvais jours. pour les jours d'orage. pour ceux où il est difficile de se lever, pour ceux où elle n'essaie même pas. pour ceux où l'monde arrête de tourner et ceux où il tourne pas rond. mais c'est ça le problème avec les gens – on ne capture pas les sourires comme des papillons. on peut les coincer dans des photos sur papier glacé, on peut les mettre en fond d'écran, on peut faire des screens ou des films. mais l'instant passe, s'efface. ce qu'on garde n'est qu'un fragment d'une réalité idéalisée. il n'y a rien à sauver, rien à préserver. on peut pas capturer l'sentiment qui vous soulève l'âme. le temps emporte tout – et ce sourire là, celui qui fait briller les yeux de dean, celui qu'elle voudrait pouvoir serrer contre elle, il finira lui aussi à la trappe. on n'peut en profiter d'une seconde. de ça, kash voudrait s'offusquer. de la triste réalité, comme elle l'fait souvent quand elle est seule, mais il s'avance. encore et encore et encore, jusqu'à ce que tout l'air des poumons soit aux abonnés absents. elle peut sentir l'sien, et elle s'demande si les gens normaux auraient envie de capturer son souffle entre leurs lèvres. elle s'demande si c'est l'genre de choses qu'elle devrait faire. les rouages tournent, tournent, tournent puis se coincent: qu'importe ce qu'elle doit faire, kash est déjà assez étonnée du plan proposé. " le bronx ? " et ça sonne surpris, voir carrément méfiant. parce que kash vient d'une grande famille, kash elle brille à la lumière. kash elle vaut de l'or, elle a l'nom en diamant, la cuillère en argent. kash elle a grandi comme l'enfant-miracle, l'enfant-roi, et si elle mérite pas son titre, ça n'change pas grand-chose à la valeur que lui donne le monde. les quartiers les plus appauvris par une société égoïste ne sont pas vraiment des endroits qui l'accueillent aisément. d'autant plus que kash, jolie, innocente kash n'a pas la foi d'monter des les aigus. c'est à peine si elle s'exprime. kash, on la pousse, elle s'décale. elle tourne même pas la tête. kash elle prend et elle accepte. elle va s'faire dévorer, s'il la lâche dans la foule. " et on fête quoi ? " et ça veut dire oui, et toujours, et bien sûr. parce qu'elle a beau haïr l'inattendu et l'inouï, elle a toujours les pieds qui suivent la cadence quand c'est lui qui impose le tempo. il dit jacques a dit et elle s'exécute comme une jolie poupée, parce que dean rend tout plus sympa. il lui montre son monde et l'change un peu pour y laisser une place. une place toute faite pour la jeune al-khalir. une place qu'une autre pourrait pas vraiment prendre. une place qui n'attend pas de mais, de aussi, d'après. une place où elle suffit. sans doute pour ça qu'elle hausse un sourcil, comme pour demander: alors, on y va ?