Il était près de 19 heures, et c’était un Miles à l’air exténué que l’on pouvait voir arpenter les ruelles animées du Queens. Son train de vie malsain ne se privait pas de se manifester sur ses traits tirés, et, comme il en avait désormais l’habitude, il se maudit une nouvelle fois d’avoir abusé d’à peu près tout et n’importe quoi la veille. Au réveil, alors que la journée était déjà bien entamée, il avait senti une douleur familière lui fendre le crâne, et après quelques heures passées à alterner prise de médicaments et attente exaspérée, il dut se résoudre à quitter son appartement dans l’espoir que prendre l’air fasse enfin céder son mal de tête. C’est ainsi qu’il se retrouva à sillonner son quartier, le regard songeur et le visage renfrogné, ses pieds le guidant vers une destination indéfinie. Bientôt, les allées qu’il connaissait par cœur firent place à des endroits dans lesquels il avait moins l’habitude de se rendre, et l’effervescence propre à son quartier disparut au profit d’un climat plus calme, les passants se faisant plus rares dans ce coin du Queens, pour le plus grand bonheur de Milo qui ne pouvait demander mieux qu’un peu de silence. Cela faisait désormais près d’une heure qu’il avait quitté son appartement, et il aurait été incapable d’identifier précisément l’endroit où il se trouvait maintenant, quand bien même était-il né dans la ville. Toujours songeur, il commença toutefois à prêter un peu plus attention aux alentours, laissant paresseusement traîner son regard sur les devantures des commerces qui se dressaient autour de lui. La plupart avaient déjà fermé pour la journée, et peut-être était-ce pour cela qu’un établissement en particulier, le seul du pâté de maisons où la lumière était encore allumée, attira son regard. Milo se demanda brièvement pourquoi ce salon de thé était parvenu à capter son attention, avant de sentir son cœur manquer un battement alors que ses yeux désormais curieux balayaient l’intérieur de haut en bas. Milo n’avait jamais cru à rien d’autre que le hasard, pourtant, cette fois-ci, il avait du mal à croire à une coïncidence. Car si les lumières allumées avaient été ce qui avaient initialement attiré son attention, c’était désormais tout autre chose qui le fit s’arrêter net, les yeux presque écarquillés.
Il n’avait même pas eu besoin d’attendre que la jeune femme, seule à l’intérieur, ne se retourne pour reconnaître sa chevelure flamboyante, alors qu’il ne l’avait vue qu’une seule fois auparavant. C’était d’ailleurs absurde – il ne s’agissait en aucun cas de la seule rousse au cheveux longs du Queens. Mais, sans même avoir eu besoin de regarder le nom de l’établissement qu’elle lui avait communiqué plusieurs semaines auparavant, il avait su sans l’ombre d’un doute que c’était elle, sans pouvoir se l’expliquer. Et lorsqu’elle finit par se tourner, confirmant ainsi ce qu’il savait déjà, Milo sentit son cœur manquer un deuxième battement. La belle Lola était encore plus époustouflante que dans ses souvenirs, et pourtant, elle était aujourd’hui en uniforme de serveuse et non pas en robe scintillante comme la dernière et unique fois qu’il l’avait vue.
Le premier instinct de Milo fut de tourner les talons ou de poursuivre son chemin – dans tous les cas, de s’éloigner de cette femme qui lui faisait perdre la tête sans même avoir bougé le petit doigt pour y parvenir. Il détestait cette emprise inexplicable qu’elle avait sur lui, alors qu’elle demeurait une parfaite inconnue, et il s’était promis de se tenir aussi loin que possible d’elle, bien décidé à ne pas se laisser happer par son charme renversant – c’est pourquoi, dès l’instant où il lui avait promis, plus d’un mois auparavant, de passer la voir sur son lieu de travail afin de la laisser lui offrir ce café qu’elle semblait penser lui être redevable, il s’était mentalement juré de ne jamais respecter cette promesse et de tout faire pour ne plus recroiser son chemin. Et si elle avait hanté ses pensées à de nombreuses reprises les jours qui avaient suivi leur rencontre, il avait été soulagé de constater que finalement, rester loin d’elle s’était avéré bien moins pénible qu’il ne l’avait redouté. Pourtant, maintenant qu’il l’avait à nouveau sous les yeux, il se trouva parfaitement incapable de maintenir cette distance qu’il s’était formellement promis de ne jamais transgresser. La petite voix dans le coin de sa tête avait beau lui crier que rechercher la compagnie de Lola était d’une bêtise monumentale, son corps, lui, ne manifestait aucune intention de s’en aller. Que du contraire, sans même en avoir pleinement conscience, Milo se retrouva bien rapidement à pousser la porte du salon de thé, faisant sonner le petit carillon annonciateur de sa présence. Lola releva aussitôt la tête, visiblement surprise de voir entrer un client alors que les horaires affichés sur la devanture indiquaient que la boutique allait fermer dans une poignée de minutes seulement. Il devina qu’elle devait être contrariée à l’idée de ne pas pouvoir s’en aller tout de suite, et fut même tenté de la rassurer à ce propos et de préciser qu’il comptait repartir aussi vite qu’il n’était venu. Pourtant, aucun mot ne traversa ses lèvres – il n’avait pas la moindre idée de ce qu’il pouvait bien lui dire, tout comme il n’avait pas la moindre idée de ce qui l’avait poussé à passer le pas de la porte alors qu’il avait pris la décision irrévocable de ne pas laisser Lola entrer dans sa vie pour y semer la pagaille.
Pendant quelques instants, il ne fit donc rien de plus que de se tenir dans l’entrée, une main encore posée sur la poignée de la porte, son regard soutenant celui de Lola, une expression incertaine sur le visage. S’il paraissait tout ce qu’il y avait de plus calme, dans sa tête, une tempête d’émotions contradictoires battait son plein. Il était déchiré entre l’envie de prendre ses jambes à son cou sans un regard en arrière, et celle de ne plus jamais s’en aller. Le corps de Milo finit par prendre une décision à sa place alors que sa main relâchait mollement la poignée de porte pour venir se gratter la nuque, et quelques paroles lui échappèrent enfin. « Salut – je… c’est encore ouvert ? » Et Milo fut furieux de constater que d’un simple regard, Lola avait réduit l’homme éloquent qu’il avait l’habitude d’être à un adolescent peinant à aligner deux mots sans balbutier.
unintended (lola)
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Sujet: unintended (lola) 
Dim 11 Aoû - 16:25
