(
going down in history). elle était facile ta vie. t'as à peine poussé ton premier cri que le monde s'ouvrait à toi, bras et cuisses écartés. et t'en a profité de ce monde. tu l'as baisé, ce monde. t'étais déterminé à en récolter tous les fruits possibles, à pousser toutes les portes qui se dressaient devant toi. t'es un p'tit con privilégié toi, avec ta couleur de peau, ton sexe et ton orientation sexuelle qui s'alignent parfaitement pour faire de toi l'un des rois de ce monde. t'avais rien à faire de spécial, t'avais même pas à te comporter comme une personne décente pour obtenir ce que tu voulais. pis yavait ta gueule, ta gueule de beau gosse qui faisait tourner les têtes et les jupes de ces minettes que tu ne pouvais t'empêcher de mater bruyamment, de complimenter sans y avoir été invité. t'as tiré le gros lot d'la génétique, p'tit con et ça, ça fait passer tes remarques déplacées comme des compliments bienvenus.
t'as toujours eu un p'tit talent pour l'écriture - le genre de truc dont t'as pas envie de te vanter. c'est pour les sensibles, l'écriture. c'est pour ceux que t'appelles
tapette en crachant à moitié. t'as écrit dans l'ombre pour pas risquer d'être différent, d'être remarqué. tu voulais suivre le groupe, continuer de faire partie de la majorité. tu t'es planqué derrière du rap indigeste aux paroles saignantes pour mieux garder ton jardin secret de ces chanteurs poètes qui ont de l'or à la fois dans la voix et les doigts.
tout pour être conforme,
tu te balançais sur le fil du privilège
comme si la différence était ce coup de vent qui risquait de te faire tomber.(
jenna). t'étais le bouclier de protection autour de ta petite soeur ; champs de force qui faisait fuir la plupart des mecs un peu trop intéressés. tu te disais que chaque mec qui s'approchait d'un peu trop près était un risque à son bien être, à sa vie. les engueulades que ça t'a valu, d'être un bon frère. la merde que t'as pris dans la gueule par le manque de reconnaissance de ta cadette. tu faisais de ton mieux pourtant, pour la protéger de l'adversité, pour être là quand elle en avait besoin. ça a fini par se retourner contre toi il y a quelques années, quand elle t'a complètement rejeté de son orbite, quand elle a décidé de ne plus rien te dire, de te garder à distance. t'as pas compris. t'as pas aimé. t'as crié ta rage sur ta
connasse de soeur qui fait des trucs dans ton dos, qui baise sans doute l'un de tes potes rien que pour t'emmerder.
quand t'y penses, putain.
les insultes que tu lui as crachées à la gueule.
tu l'as aimée à coup d'insultes imagées, protégée en bousculant sa vie privée. parce que t'as pas su faire autrement. t'as pas su te comporter comme un humain décent. t'as été le mec qu'on t'a dit d'être - décision de merde.
(
this changes everything).
à tout moment elle va défoncer la porte.
à tout moment elle va te hurler dessus pour avoir pourri sa soirée.
sauf qu'elle a deux heures de retard
et que tu commences à flipper.ce soir là, t'es resté assis sur ton lit à fixer la porte de ta piaule pendant des heures. t'as fini par t'endormir, par tomber de fatigue aux alentours de six heures du matin, ton portable à la main, après la blinde de messages envoyés à jenna. tu lui avais encore pourri sa soirée, à faire fuir ce mec auquel elle s'intéressait un peu trop - à l'impressionner jusqu'à ce qu'il se convainque lui-même que rien n'était réciproque. elle t'en a voulu, ta petite soeur. elle a fini par quitter la soirée comme une furie, crachant des insultes imagées à ton égard.
qu'elle aille prendre l'air, ça la fera réfléchir.
comment t'as pu la laisser partir ?
on l'a tuée, levi. les premiers mots de ton père quand t'ouvre les yeux, quand tu croises ceux bouffis de ton paternel qui se tient au dessus de ton lit. t'as ravalé ta salive, t'as pas voulu y croire. mais t'étais réveillé, c'était la vie réelle et, putain, c'était de ta faute.
(
filthy humanity). on te l'a pas seulement enlevée de force, ta soeur. son meurtrier, ce mec a osé poser ses sales pattes sur elle, a osé la souiller pour son propre plaisir. ça te rend dingue d'y penser - tu serres les poings, tu grognes et tu chiales parce que t'étais pas là pour la protéger cette fois. t'as passé ta vie comme un bouclier devant ta soeur,
ton sang et tu l'as laissée partir.
elle est morte de la pire des manières, seule, utilisée
et te haïssant.
t'as voulu faire le caïd, prendre sa défense une dernière fois en allant voir le gars en taule quand ils l'ont enfin attrapé - lui et ses traces sur elle. ils l'ont identifié si facilement - lui qui était fier, bien trop fier de l'avoir eue. t'es entré dans le parloir, t'as posé tes yeux brûlants de haine sur sa tronche de quinquagénaire repoussant. tu n'oublieras jamais le sourire qu'il a eu, la joie dans son regard de te voir si affecté, brisé.
« oh allez, mec. t'as vu comme elle était fringuée ?
elle voulait d'la bite, celle là.
alors j'lui ai donné. »t'as gerbé en repartant. c'est la première chose que t'as faite, que t'as été capable de faire. comme si vider le contenu de ton estomac allait pouvoir te purger un peu de ce que tu venais de voir, d'entendre.
t'en fais des cauchemars de cette rencontre, de son regard bien trop brillant, de son sourire sadique. tu te réveilles en pleurs, en sueur. parce que ce visage là, cette expression là, c'est la dernière qu'elle a vu avant de mourir, jenna. et toi, c'est celle que tu verras jusqu'à la fin de tes jours après avoir fermé tes paupières.
(
we could lose it all). c'est après sa mort que les choses ont commencé à vraiment bien aller pour toi professionnellement. t'en as parlé à jenna sur sa tombe, bien trop fier d'avoir réussi, bien trop fier d'avoir suivi les conseils de ta soeur et poursuivi dans la direction de l'écriture. toi qui avait peur de perdre ta virilité, toi qui flippait à l'idée que cela allait te rendre bien trop différent de cette norme que tu aimes tant.
« mes paroles sont passées à la radio aujourd'hui. »
que tu lui dis presque à chaque fois que tu lui rends visite.tu ne fais plus qu'écrire quand l'envie t'en prends à présent. tu as des commandes, des demandes. l'auteur fantôme que tu es se tape sa petite notoriété et c'est grâce à elle, à ses encouragements entre deux disputes violentes.
« j'ai dû prendre un agent, j.
tu te rends compte ? »aller la voir, ça te fait du bien. ça te permet de te sentir encore un peu avec elle, de laisser éclater ce que tu as sur le coeur. ça te force à te rappeler que tout est éphémère - l'argent, la succès ; ça ne va pas durer. alors tu vis modestement, presque comme avant. tu laisses ton compte en banque se remplir sans vraiment y toucher. tu penses à l'avenir, tu penses à quand tout ça prendra fin. t'as envie de laisser ta trace. t'as envie d'avoir un gosse, plus tard ; de pouvoir lui offrir une belle vie, payer ses études.
« toi qui ne voulais pas que j'me reproduise, hein ?
toi qui voulais même pas imaginer la tronche du gosse »
tu arrives à en rire.
t'imagines qu'elle aussi, elle rit.
(
one step at a time). le tout, c'est d'avancer. tu la laisseras pas mourir en vain. tu vas la rendre fière, jenna, où qu'elle soit. sa disparition fut le premier jour du reste de ta vie, putain. parce que tu vas couper les ponts avec ces potes que t'avais et qu'elle ne pouvait pas voir en peinture. ceux qui te sortent qu'elle était quand même pas très habillée, ce soir là. ça te file la gerbe, ces remarques là. et toi, toi qui sifflait ces meufs dans la rue, toi qui les voyait comme des putains de bouts de viande - ton passé te répugne. tu te répugnes.
t'as noté les conseils de ta soeur sur un bout de papier que tu gardes toujours sur toi. t'as prévu de les suivre, un à un. t'as prévu de nettoyer ta vie pour faire place pour le futur. parce que tu ne sais pas ce qui t'arriveras demain.
- nana, elle se fout de toi. tu vaux mieux que ça.
- les filles, c'est pas des vides couilles, levi.
- t'es talentueux, abruti. qu'est-ce que t'en as à foutre que ça fasse pas de toi un putain d'alpha ?
- t'es pas un putain d'alpha, bouffon.elle sera fière de toi, jenna.
tu vas la faire vivre à travers toi.
EXORDIUM. (carolynn) ---- / 24 ans ---- / rpgiste