on se retrouvera (diego)

(f e b r u a r y  2 0 1 9)

cinq ans. il avait pris cinq ans. livia était resté figée pendant de longues minutes quand le verdict était tombé. les larmes avaient inondé ses joues sans discontinuer, pendant un long moment. presque autant quand elle fut de retour à l'abri de sa demeure. parce qu'il n'y aurait jamais asez de perles salées pour la laver de l'ignominie de ses actes, ni de ce qu'elle avait fait à son frère. elle était encore toute jeune, elle démarrait dans la vie. il lui manquait même encore les armes pour survivre dans cette jungle. et elle apprenait qu'elle ne reverrait plus diego avant d'avoir accumulé quelques années de plus au compteur. son grand frère, souvent trop protecteur. son grand frère, qui ne lui avait pas lâché la main quand les services sociaux les avait emmené. son grand frère, dont elle ne pouvait pas se passer et sur qui elle pouvait toujours compter. celui, qui comme un ange gardien qui n'attendait jamais rien en échange, avait été son sauveur à maintes reprises. sans jamais se lasser. la preuve en était encore aujourd'hui parce que s'il plongeait, c'était par sa faute. elle savait qu'il allait s'évertuer à lui dire le contraire parce qu'il était comme ça. qu'il la faisait sans cesse passer en première position, en lui trouvant toutes les excuses du monde. même si elle ne les méritait pas. surtout, si elle ne les méritait pas. sauf que rien, ni personne ne pourrait lui sortir cette idée de la tête. si elle avait écouté le chuchotement monotone à son oreille, le pressentiment qui lui fit suite et n'avait pas suivi le mouvement pour une fois... avec des si, on referait le monde. sauf que livia avait tout fait de travers, à croire que c'était une habitude chez elle. et elle avait masqué son visage, suivant ses potes dans leur délire. prise dans un tourbillon de folie dont elle ne trouvait plus le frein. ce qui devait être fun avait évidemment mal tourné, tout avait dégénéré. à la vitesse d'une flèche qui s’abattrait sur une cible. ce n'est pas un ralenti qui s'est emparé de la scène, plutôt une foutue avance rapide. avant un arrêt sur image. fin de l'histoire. un mort. case prison. pas pour la bonne personne, pour un innocent.
trois années avaient passé depuis cette fameuse nuit que livia s'efforçait d'oublier. parfois, elle y parvenait quelques temps mais le souvenir ignoble revenait la frapper en pleine face aussi vite qu'il était parti. les yeux fermés, elle peinait à trouver le sommeil. ses propres cris la réveillant souvent en sursaut, sans qu'elle ne trouve personne pour l'apaiser. elle se le rappelait plus encore quand elle voyait encore la chambre de son frère vide, de passage par la maison familiale. il lui était arrivé bien des fois d'en prendre possession et d'y dormir plusieurs nuits, sous le regard désapprobateur de ses parents. eux qui ne comprenaient pas, eux qui ne voulaient pas qu'elle ressasse. la demoiselle s'en fichait pas mal, suivre les règles n'avait jamais été dans ses gênes. et ce, même si celles-ci résonnaient davantage comme des conseils bienveillants. sans son frère, elle ne sait pas ce qui lui serait arrivé, ni même si elle serait encore en train de vivre tranquillement sa vie aujourd'hui. sans se soucier d'une inquiétante épée de damoclès qui rôdait au-dessus de sa tête, contrôlant son destin. livia n'en était plus à une bêtise près. elle avait été rendre visite à diego en prison, des tas de fois. autant qu'elle l'avait fait pour ismaël. toutes ces visites avaient été dures pour la jeune henderson. le milieu carcéral n'avait vraiment rien d'un bout de paradis. chaque fois, elle avait eu la boule au ventre mais elle n'avait pensé qu'à lui, qu'à eux. il avait bien besoin d'une présence familière, aimante, et extérieure pour arriver à se battre. et sa petite soeur avait dû être son unique lueur d'espoir dans ce trou noir. celui-là même dans lequel elle l'avait précipité. dans un égoïsme pur et dur.
et ce jour était arrivé. l'agent de voyages qu'elle était n'en avait pas dormi de la nuit, bien trop impatiente à l'idée de retrouver son frère le lendemain. de le serrer dans ses bras en dehors de ses murs qui semblaient vouloir vous aspirer votre dernier souffle de vie. devant la prison, livia devait bien y être une bonne demie-heure à l'avance, incapable de faire autre chose. trop impatiente pour envisager de se concentrer ailleurs, dans l'attente. toutes ses pensées étaient obnubilées par diego. elle se trouvait sur le trottoir en face, n'aimant pas trop s'approcher de ce lieu sombre, ce lieu dans lequel elle rêvait de ne plus remettre un pied. parce que c'en était assez pour toute une vie. le regard rivé sur l'entrée, par peur de le rater. elle avait si longtemps attendu ce moment, elle en avait tellement rêvé. l'heure avait sonné.

Le temps. Unité relative qui ne se mesure pas comme la farine, ni même l'amour. Le temps, c'est fugace, il varie parfois, mais si vous demandez à Diego combien de temps il a perdu, combien d'années viennent de s'écouler loin de la liberté, le Mexicain vous répondra certainement une éternité. Les journées sont toutes les mêmes, rythmées par les visites au parloir, les repas, les sorties dans la cour, les bagarres et les menaces. La prison, ce n'est pas une colonie de vacances. Il a vu, vécu, des choses qu'il ne pourra jamais oublier, qui sont gravées à jamais en lui. Il a connu la peur, la souffrance, les nuits le regard rivé vers les étoiles, il espérait qu'elle entendrait ses prières, sa soeur, qu'elle ne s'en voudrait pas trop, qu'elle serait heureuse pendant que lui se contentait de survivre.

Psychologiquement préparé à vivre cinq année de calvaire, ce fut une merveilleuse nouvelle pour lui, après trois ans, le voilà libéré pour bonne conduite. Deux ans de moins à vivre dans cet enfer. Sac à l'épaule, ses maigres possessions à l'intérieur, il salue ses compagnons de cellules, des gars flippants, mais sans qui il ne serait probablement plus de ce monde le petit gosse de riche. Sagement, il attend qu'on ouvre la grande porte d'entrée, il voudrait la pousser, se précipiter à l'extérieur pour inhaler une bouffée de liberté, mais il sait que la précipitation ne mène à rien, alors il attend. Des secondes, des minutes, et finalement la porte s'ouvre. Le vent frais caresse ses joues, agitent ses boucles brunes, de l'autre côté de la rue, son regard accroche une silhouette connue, aimée plus que tout autre, elle est venue, Livia.

Quelques grandes enjambées et il peut la serrer contre lui, contact si rare lorsqu'il était de l'autre côté de la table. « Je suis heureux de te voir, petite soeur », c'est sincère, elle est la seule personne qui compte depuis toujours, mais il y a quelque chose de différent dans cette étreinte, une retenue qui n'était encore jamais apparue jusque là. Tendre baiser posé sur le front de la cadette, il l'observe en souriant, un peu distant, « tu es magnifique ». Lui, il à déjà été plus beau, son visage s'est émacié, son corps est plus musclé qu'avant, mais il semble avoir perdu cette lueur candide dans le regard, « on va manger un bout ? » Histoire de changer de sujet, de changer d'air, de quartier, mais surtout de remplir cet estomac bien trop vide.

les grains de sable s'écoulant du sablier avait semblé duré une vie entière. une éternité pendant laquelle on l'avait séparé de celui qui n'avait jamais lâché sa main. celui qui n'avait pas même trahi sa promesse quand on les avait arraché à leur famille biologique. il s'était inlassablement battu pour elle, la faisant passer avant lui en toutes circonstances. il avait été un père, une mère, un frère, un ami, un roc, sans qui elle ne serait pas devenu celle qu'elle était aujourd'hui. la vie leur avait asséné des coups, à répétition. des coups qui s'étaient avérés plus doux quand il avait su les atténuer. panser les plaies sourdes. réparer une existence maculée de bleus.
elle a l'impression de revivre livia. la vision de diego lui insuffle comme une bouffée d'oxygène qu'elle avait l'impression d'avoir oublié avec lui quand on l'avait enfermé. et en retrouvant les bras de son grand frère, c'est cette sensation de protection qui revient du même coup, cette sensation que jamais rien ne pourra l'atteindre tant qu'il sera là. elle se sent étonnamment légère, la jeune henderson. plus que tout, enfin complète, comme si on lui avait rendu la seconde partie d'elle-même. ses bras toujours aussi frêles se referment sur le corps rassurant de diego. elle avait tant espéré ce moment. et les mots peinent à passer la barrière de ses lèvres parce que tout ce qu'elle pourra échapper ne sera jamais à la hauteur de ce qu'il mérite. pourtant, elle a des tas de choses à lui dire. des explications, des remerciements, des excuses surtout. il lui a manqué, bien plus que personne ne pourra jamais l'imaginer. tout le monde n'avait pas la capacité de comprendre les liens si forts qui pouvaient les lier tous les deux. livia l'expliquait surtout par le fait qu'il avait été bien des fois son seul pilier, son unique repère quand elle pensait ne plus rien voir autour. son diego, son phare en plein naufrage. tant qu'elle ne peut plus se résoudre à se détacher de lui, de peur de le perdre à nouveau. un schéma qu'elle ne supporterait pas, elle en était convaincue. je suis heureux de te voir, petite soeur. pardon, pardon, pardon... qu'elle souffle, laissant son assurance naturelle au placard. elle n'est plus en position de force la gamine, alors qu'elle sent quelques gouttes d'eau salée lui monter aux yeux. des tourments apaisés par un baiser sur le front, celui qui n'aura malheureusement pas le pouvoir de tout gommer de ces années envolées. tu es magnifique. c'est toi qui est beau. parce que la liberté lui sied au teint. elle avait entendu des tas d'histoires sur ces ex-prisonniers qui revenaient marqués physiquement. quand son frère, lui, n'avait pas particulièrement changé. et elle était déjà en train d'imprimer chaque détail qui aurait pu lui échapper durant leur séparation. t'as pas envie de parler de toi livia. tu veux simplement l'entendre lui. tu veux parler de son avenir, de ce qu'il brûle de faire, des objectifs qu'il a envie d'atteindre, de la nouvelle vie qu'il s'imagine. par-dessus tout, elle se rappelait à la perfection de ce qu'elle avait assuré à son héros il y avait de ça quelques jours à peine. et elle entendait bien honorer ses belles paroles, c'en était assez des conneries d'adolescente qui refusait de grandir. j'tiendrais ma promesse cette fois, j'te décevrais plus. et si j'faillis, t'as le droit d'me renier définitivement. elle insiste, elle sait qu'elle n'a plus le droit à l'erreur parce que la dernière en date avait été particulièrement incontrôlable. elle ne veut plus imposer ça à diego, elle ne veut plus qu'il ait à subir le poids de ses erreurs. on va manger un bout ? hochement de tête à la positive, approbation vive. j'veux qu'on s'en aille maintenant. j'aime pas cet endroit, ça a suffisamment duré. ces murs aseptisés, cette vitre insurmontable et ces grilles atroces laisseront une marque indélébile dans leurs mémoires, mais les henderson s'emploieraient à ne penser qu'au meilleur comme d'habitude. toujours accrochée à lui, livia le dirige loin, très loin d'ici. la voiture en ligne de mire. vers toutes ces belles choses que la vie a encore à leur offrir. ils avaient déjà vécu l'enfer, la suite ne pourrait pas être pire.