S T Y X
Dans la bouche l'âcre fumée effilée. Ça file par les lippes et ça règne sur l'air ; seul mouvement dans l'immobilité doré, les volutes qui se vrillent. Y a l'indolence et l'assurance qui suintent, il trône sur les ruines et leur lustre passé, roi dans le silence de son chaos. Dans une ruelle sombre, la bête patiente, attend. Quoi ? Client VIP devenu brebis. Il court. Vite, mais c'est trop tard.
Je te vois, connard. Rictus qui se dessine sur son visage surfait, cachant immondice et méfait. Enfin, le monstre bouge. Les jambes se délient et il se penche ; entre les lèvres, la clope expire son dernier souffle. Écrasée sans plus de considération dans un cendrier de métal ternis, échangée pour l'inestimable goût de la
chasse. C'est une
traque. Un regard dans le dos. Y a la violence d'un éclat qui passe dans les yeux et disparaît, satisfait de ce qu'il y lit. De la nuit passer à la clarté. De la foule et ses murmures, passer à la bruine, ses regards en sourdine. Avalée, la distance qui l'éloigne de lui. Partout les masques qui voilent les faces. Le sien de métal noir trône sur la moitié de son visage, se coule sur les tempes et se fond dans les cheveux comme deux cornes plates qui s'élèvent. Ça projette l'ombre de son empire sur la bouche qui se tord, l'espace d'un instant. L'artifice de l'objet une mascarade pour distraire les foules, lui surtout, anonymisation factice loin du jeu des masques qu'il porte habituellement. Et ça ne rate pas. Ça ne rate jamais avec lui, monstre plus calculateur qu'omniscient. Le loup se fond sur lui, croc qui s’abat sur sa gorge. Y a la grande ire qui rugit. La tempête qui rage, qui hurle et tonne et qui détruit. Y a le sang sur sa face, sur ses mains jusque sur les bras, gants de satin carmin qui roulent sur le flingue. Y a les pupilles étrécies qui laissent place aux lueurs violentes des iris dissonantes. La respiration hachée, saccadée par l'intensité du saccage et ses funestes présages. Sous lui, y a le corps inanimé qu'il surplombe. Carcasse déchiquetée et encore fraîche, charogne déjà devenue offrande, les runes étirées sur le plancher, tracées de sang toujours chaud, déjà carbonisées. Y a le plafond détruit d'éclairs, les murs éclatés de sillons trop profonds et réguliers pour avoir été fait par quelque chose d'humain ; y a le sol défoncé par des empreintes incommensurables, des feux trop bleus, trop pâles pour être normaux, qui brûlent encore et rongent les ravages. Y a plus rien de vivant ni d'humain, ici. Pas lui, et Lobo encore moins.
T'es un monstre, Lobo, c'est mort depuis longtemps en toi. Y a plus de cœur, c'est rance de toute cette rancœur. Il est le vide et puis l'orage, ô divine rage - vie deux jamais entamée depuis si longtemps. Tout juste lacérée, à coups de la lame qu'il est. Pas de larmes, y a que l'infini de son indifférence qui brûle et l'avive. Y a l'indolence et les rictus pour le cacher, l'impénétrable des centaines de masques, des costumes qui camouflent la crasse du courroux.
Mais elle est là, sa vérité. Dévoilée pour les yeux de la poupée qui n'a pas encore compris ce qui lui arrive. Nevaeh. Saisis par la gorge, il a rien eu le temps de dire d'autre, rivé par la glace de son regard. Par l'incrédulité et la colère partagées dans les vaironnes assassines. Le désert de la ruelle enténébrée, pas de témoins délaissés. Y a une tension qui l'habite qui trahit sa surprise. Il flaire, il jubile le loup. Il sent la faiblesse, l'odeur nécrosée des blessures jamais refermées. L'arme veille toujours dans la main, prête à cracher d'autres de ses flammes et à sortir les émeraudes. Perfide instrument. Engin terrible qui ne demande qu'à glaner toujours plus avec une élégance sordide. Mais le loup la lâche. Les sirènes chantent dans les rues.
Tu vas te faire choper, Lobo.E N F E R
«
Tu es exactement là où je veux que tu sois. » Le velours d'une voix trop douce. Il n'annonce rien de bon, le frisson qui poursuit la caresse. Chacun des mots soigneusement prononcés, avec cette lenteur qui les laisse s'imprimer. La cruauté qui suinte des paroles, le venin sournois qui se distille. Dans les yeux, il y a les feux d'un autre temps, de ceux qui rappellent à l'aîné les murmures funestes de la réputation des McGrath. De ceux qui, soudainement, le font se sentir petit - il le lit dans ses iris agrandies, elles hurlent de son esprit. Lobo assène le coup létal. Comme si de rien. «
On est en taule, pas à la cour de récré. » Les torsions qui prennent sa bouche dévoilent l'émail, avec presque un côté animal. Ça le prend de court, Baranov. Ça le prend de court et ça l'enrage, sans comprendre pourquoi il lui fait cet effet-là. Il voit rouge, il bouscule, pousse en arrière si fort que le dos vient frapper le mur de pierre.
Smug, l'expression qu’il prends, malgré le souffle un peu coupé, parce que la première bataille, Lobo l’a gagné. La colère contre lui et contre lui-même ; la chaleur ; les dissonantes qui flambent face à l'affront. Factice et pourtant bien réel. Il s'approche, glisse la brosse à dent trafiquée le long de sa mâchoire, presse contre le cou. Fort. Lobo persiste à le fixer, immobile, regard revolver qui le braque et le détraque. Il sent son souffle contre sa peau, agité d'un rire silencieux et cynique. Il parle, et le plastique trace sa jugulaire. Repousse le rouge sang du col de l'uniforme orange, butte contre l'argent du collier qui l'enlace. Immédiatement Lobo se tends, dans la caboche l'orage approche - première réaction qu'il lui arrache, qui pique son attention. Déjà, les doigts tirent la chaîne, souillent la pureté de son trésor. Cadeau de sa soeur. De ses réminiscences. En lui, ça tonne. Et il explose. Ire irrépressible, c'est la furie qui partout l'envahi. En lui ça hurle, ça hurle, ça crame, et ça rugit. C'est le feu de la tempête, soufflé par des vents de carnage, une envie de saccage. Coupé en plein mot pour se jeter sur lui – ils chutent, son poing écrase son œil, percute la pommette. Lui faire payer l'outrage suprême. En lui, il y a la volonté de faire mal ; de le détruire, le démolir, l'anéantir. Les doigts agrippent le col de la chemise, serrent trop près de la gorge, soulèvent alors qu’il s'abaisse. Dans les yeux les neufs cercles des enfers, la divine ire dans les iris - plongées droit dans les siennes, l'autre main un bâillon, les nez qui se frôlent. «
A partir d’aujourd’hui, c’est moi, le patron. » Il le pousse. Il force les portes de son esprit, défoncées d'un coup de pied, d'un coup de bélier. Aucune finesse, pas de délicatesse. Et il veut faire mal. Pas un regard accordé à ses pensées : c'est la tempête de ses émotions qu’il pousse dans sa tête, concentré de douleur hurlante, terrifiante au souvenir constant d'un passé trouble et chaotique. L'arrachement, la sensation trop vive d'être tranché, déchiré, déchiqueté ; l'âme lacérée, la magie mutilée. L'être mille fois transpercé. Et la rage, cette furie pure qui l'anime et nourrit ; qui les immole et les consume. Torture mentale et physique, le
paradis des vices.
La prison.
P E R S E P H O N E
«
Qui êtes-vous ? » L'immobilité et le silence. Seul mouvement, l'indolence de sa cigarette, qui quitte et retrouve les lippes, coincée entre les doigts ; seul mouvement, la lenteur des minces volutes de fumée dans l'obscurité tamisée de la pièce. Ça prend exemple sur ceux, plus grands et dangereux, de cette aura autour de lui - invisible mais bien là, roulis presque paresseux dans le calme. Il attend, installé dans le siège ouvragé, sans rien pour trahir une quelconque impatience : il n'y en a pas. «
Je suis celui qui t’as roulé dessus. » Il a tout le temps, visite importante de la presque alliance, courtoisie et réémission de ses 'bonnes' intentions alors qu'il s’apprête à s'installer peut-être définitivement à New York. Visite importante pour apprendre en silence : y a des doutes qu'il a sur son hôte-rédemption, et qu'il veut confirmer.
Est-ce que je t'intimide ? L'absolu de la certitude du secret trop bien gardé, il ne devrait même pas avoir le moindre soupçon - pourtant des détails in substantiels, des infinitésimaux discernés grâce à la proximité, devinés dans la clarté. Il a recoupé, et ne lui reste qu'à semer des pistes et des opportunités, à pécher de nouveaux indices, quelques réactions pour confirmer ou non ses suspicions. «
Vous m’avez roulé dessus ? » Le loup acquiesce, alors que son regard se pose sur le lit d’un blanc immaculé. Sourire qui s'accentue, il devine, voit que du regard elle le fuit. Pas perturbé, ses yeux la suivent sans la lâcher, traque tranquille des mouvements tracés. «
Je t’ai roulé dessus. » Le vert qui cherche le marron des siens. Jeu de regards, jeu de silence. Il renvoie la question, même placidité reflétée dans la voix alors qu'il fait disparaître les restes consumés de sa cigarette. Y a un sourire lent, un peu en coin, qui naît sur ses lèvres, assurance indolente, marque rare non pas d'une affection dont il est incapable, mais de quelque chose de proche - un dérivé de connivence, distillée en sa présence. «
Et toi ? » Il renvoie la question, même placidité reflétée dans la voix alors qu'il fait disparaître les restes consumés de sa cigarette. «
Connard. » Y a quelque chose de trop doux, trop innocent encore, dans la manière dont elle le dit, ça le fait sourire. Après tout, c’est elle qui s’est jeté sous ses roues. C’est à elle qu’il a donné un rein pour la sauver.
T’as un bout de moi en toi, te foutre en l’air chérie maintenant, je te l’interdis.