see you never. (frida)

La belle commençait à ruminer derrière son bar. Les cons aux paroles alcoolisés et aux visages défaits se succédaient face à elle. Elle en ignorait certains, pas envieuse de converser avec une bouteille de vodka au coeur battant. Peu pour elle. Les yeux de ces derniers vrillaient avec intéressement sur son décolleté —présent afin d'augmenter les pourboires— en bégayant quelques paroles inconnues à l'oreille humaine. En temps normal, ce n'était pas un problème pour elle. Mais ses nerfs étaient tiraillaient pour la soirée. Ses phalanges se contractaient frénétiquement. Son sourire se faisait de plus en plus faux, mauvais. Il lui fallait quitter son travail au plus tôt, avant de faire esclandre. Amos lui avait déjà demandé d'être plus aimable avec la clientèle, et de ne proférer aucune injure blessante à leur égard. Elle ne pouvait donc en aucun cas passer ses nerfs sur les abrutis accoudés à son bar. La soirée risquait d'être longue, et troublante, pour son organisme bouillonnant. Il lui fallait une distraction. Au minimum, de quoi l'empêcher d'envoyer chier le monde entier. Elle ne sourit pas. Et qu'ils aillent se plaindre aux patrons s'ils veulent une meuf aimable. Frida tourne le dos au spectacle, et attrape un verre qu'elle nettoie frénétiquement en maudissant ce travail qui lui plaisait pourtant quelques heures auparavant.
Jusqu'à ce qu'une nouvelle personne prenne place. Elle entend le tabouret grincer sur le sol. Doucement, en prenant garde de ne pas avoir l'air trop ailleurs, un regard trop noir. « Serveuse, un whisky s’teuplait. » Elle le reconnaît enfin, pas prête d'oublier sa gueule à celui-là. Elle l'a enviée, durant longtemps. Elle se passe la langue sur les lèvres, furtivement, afin de les humidifier et de lui répliquer de manière féroce. « Ça fait un bail que j’ai pas vu ta gueule dans le coin, tu sers des verres maintenant ? » Il s'est retrouvé debout, lui faisant face. La belle plisse les yeux, afin de l'analyser. Il n'a pas changé. Toujours aussi mignon. Elle se souvient de leurs regards. Des clins d'oeil. Un léger silence s'installe, mais elle n'en profite pas pour lui servir son verre. Non. Elle l'aurait presque oublié. Elle lâche son regard et se contente de regarder la salle bondée, afin de lui donner l'illusion qu'elle ne l'écoute pas. « Enfin maintenant, j’ai entendu dire que jouer les serveuses c’était ton nouveau passe-temps après avoir laissé tomber les études. » Son regard revient immédiatement sur lui. Son coeur rate un battement. Elle ne parle pas de suite, de peur de se mettre à bégayer. Frida n'en a pas le droit. Robot Frida, la poupée inébranlable. Elle le scrute, cherchant comment rattraper la situation.
— J'ai pas bien compris en quoi ma vie te regardait.
Elle attrape un verre derrière elle et le pose devant elle. Elle ne le remplit pas. Pas encore.
— Ecoute gamin, je ne sais pas de quelle source tu tiens cette information. Mais je n'ai pas arrêté les études.
Il devait s'agir de sa soeur, Frida en était convaincue. La garce. Elle a envie de lui faire regretter ses paroles, regretter de venir ainsi la défier de son regard de con. Elle plisse les lèvres, pas prête à céder face à lui. Son regard s'assombrit.
— Un whisky, tu es sûr ? Tu ne veux pas plutôt un verre de lait, avant d'aller au lit ?
Elle essaie de changer de sujet. Frida était plus âgée que lui, et aimait le traiter comme s'il avait toujours des dents de lait.