Le soleil lui éclate à la gueule, une gifle de lumière qui lui fait plisser les yeux, arrache un râle d'entre ses lèvres qui portent encore le goût amer de l'abus d'alcool. Contre sa joue la chaleur d'une autre peau arrive à la tirer brutalement d'un semi-sommeil, l'étau d'un mal de tête prenant doucement de l'ampleur. Relevant son corps dans un mouvement trop vif, elle tourne. Ou la Terre tourne trop vite. Sa main remonte vers son visage comme pour faire cesser le manège qui dégringole devant ses yeux. Une main glisse le long de sa cuisse, remonte en une danse qui se veut sensuelle mais déjà Nine la repousse, le regard tout droit planté sur un mec qu'elle ne reconnait pas tout de suite. Sûrement un type de la soirée d'hier mais son nom lui revient pas. Elle est même pas sûre de comprendre ce qu'elle a pu faire pour arriver à s'endormir sur son épaule. Il la regarde à travers la brume de son sommeil et Nine en profite pour se relever, enjambant les corps affalés au sol, n'ayant pas atteint ni un lit ni le canapé sur lequel elle somnolait. "Tu t'en vas d'jà ?" Elle hausse un sourcil. "Tu croyais que j'allais venir m'installer ou quoi ?" Elle fait même pas l'effort de chuchoter pour préserver les autres. Elle se fiche de ça. La mauvaise humeur la gagne, la colère d'être restée là toute la nuit sans retrouver le cocon qui lui sert d'appartement. Elle est rassurée là-bas, personne ne l'atteint, elle ne se retrouve jamais la joue collée à une épaule inconnue, une main trop intrusive sur la cuisse. Enfilant sa veste en cuir qu'elle trouve abandonnée sur une chaise, elle fait la sourde oreille. Répond au "Salope !" par un salut du majeur sans même se retourner finissant par claquer la porte. Le miroir de l'ascenseur qu'elle peine un instant à trouver lui renvoie sa gueule défaite, ses traits de mauvaise fille blêmes, son rouge à lèvres plus qu'un souvenir carmin, ses cheveux emmêlés dans l'élastique qui serrait sa queue de cheval de la veille. Un soupir de lassitude lui échappe, le gong annonçant l'ouverture des portes agressant encore ses oreilles. Elle grimace Nine, elle a envie de rentrer chez elle, de dormir huit heures d'affilées sans être dérangée. Son corps qu'elle traîne dans les rues jusqu'au métro, son être famélique qu'elle affale contre un siège, luttant contre Morphée à l'aide du rythme de la musique crachée par les hauts-parleurs. Elle sillonne l'écran de son portable dans des gestes automatiques, s'arrête toujours sur sa dernière conversation avec Elena qui lui scinde le cœur en mille morceaux. Son appel à l'aide. Ses avertissements silencieux. Son adieu bancale. Elle a pas réussi à supprimer ses messages, à l'envoyer totalement valser dans les abysses de l'oubli. Ca lui fout un coup de poing dans le ventre de voir son prénom sous ses yeux, ses mots qu'elle a écrit d'elle-même, le cœur battant, son corps rempli d'émotions diverses. Elle était vivante. Et elle était chiante aussi, une chieuse née, une connasse qu'on pensait angélique, qui ouvrait les cuisses autant qu'elle mais gardait des mecs réguliers pour faire plaisir aux parents. C'est la haine qui s'expulse brutalement dans sa poitrine, dégueule son acide et elle a l'impression qu'elle va gerber, ferme les yeux pour calmer l'ouragan d'émotions qui continuent de la torturer. La distance jusqu'à chez elle est vite avalée et ce n'est que quand elle rentre les dents de sa clé dans la serrure qu'elle s'éveille vraiment, intriguée par la résistance. Un coup d'œil du côté de la porte de Moïse la tente de l'alarmer mais elle a besoin de l'aide de personne, éternelle solitaire, fausse guerrière des bas fonds. Glissant sa clé entre son majeur et son annulaire, prêt à crever un œil ou se planter dans un cou, elle entre. Quelques pas et le monde s'arrête. Ses yeux se posent sur ses traits qui ont pris le temps en pleine face, ses yeux bleus plus croisés depuis des années, qui crient leur trahison, leur abandon. Le corps tremblant, elle referme la porte d'un coup de pied, fait résonner son fracas dans le couloir mais Nine s'en fiche. "J'peux savoir c'que tu fous chez moi ?" elle le crache entre ses dents serrées, prête à l'étrangler. Sienna est là, comme une reine ayant conquis un nouveau territoire. Elle se retient Nine, de pas lui crever un oeil comme elle prévoyait de le faire, de pas l'égorger pour la vider de tous ses aveux. Dis moi pourquoi t'es partie, pourquoi t'as pris un chemin tellement merdique que t'as fini comme un rat en cage. Donne moi une raison de pas te rayer définitivement de la carte toi aussi.