you're not good enough (livio)

traits de caractère / Pour un flic, fallait-il s'attendre à ordre chose que quelqu'un d'ordonné, méthodique ? Dans son job il essaye de s'appliquer à ne rien laisser dépasser, parce qu'il sait que certains se feraient un malin plaisir d'épingler un homosexuel et qu'il agace avec ses airs détachés et distants. par contre dans sa vie personnelle c'est autre chose, il essaye de lâcher cette bride qu'il tient si courte dès que son arme est dans son holster. ethan lui reprochait même parfois d'être bordélique, il abandonne volontiers sa tasse de café là où il se trouve et si personne ne proteste ça lui peut lui prendre plusieurs jours avant qu'il ne retombe dessus et fasse l'effort de la laver, tout comme le concept de faire son lit lui semble étranger et tant d'autres petites choses si exaspérantes pour le moindre maniaque d'intérieur. Puisqu'on est dans les points un peu irritant il est de bon ton de prévenir qu'il est pessimiste. Peut-être est-ce naturel, peut-être est-ce dû à sa profession, mais toujours est-il qu'il préfère voir le verre à moitié vide pour prévenir à toutes les situations. Livio est persuadé qu'il se protège de toute déception en voyant les choses en noir d'emblée. Ca le rend agaçant dans toute conversation et ça avait tendance à excéder à Ethan. Ca s'associe très bien avec son côté méfiant. Quitte à voir la plus mauvaise version d'une personne, autant garder des distances avant de se laisser vraiment approcher. Ca vaut autant pour les amis que les liaisons amoureuses. Même avant d'être en couple, lorsqu'il traînait sur la célèbre application de rencontre il écrémait en cherchant dans les fichiers le moindre casier, le moindre incident, fouillant le net à la recherche de réponses.

Dans le domaine professionnel comme personnel il est très  indépendant et c'est un paramètre auquel il est fermement attaché. Il aime pouvoir respirer dans son coin, s'enfermer dans le silence, faire des choses par lui-même sans rien demander à personne. Pas toujours bien vu ni dans un couple ni dans le boulot mais ce n'est pas négociable. Heureusement tout n'est pas si noir. On peut dire de lui qu'il est loyal. Loyal en amour, en amitié, en affaire, au boulot. Il s'en tient à ses dires, il ne cherche pas à sortir des clous, il aime énormément cette image de lui comme un élément fiable. C'est comme ça qu'il voyait son père, c'est aussi comme ça qu'il aimerait qu'on se souvienne de lui, et que rien ne vienne entacher cette conduite de vie.
Mais ce n'est pas un ours pour autant, il s'intègre bien à n'importe quel groupe, se lie facilement à quelqu'un avec trois sourires, deux bonnes blagues et un café offert. Il est charismatique même s'il ne cherche pas à en jouer. Sa mère lui a toujours répété qu'être bien avec les autres était un paramètre indispensable pour être bien avec soi-même.

Enfin il est important de noter qu'il est endeuillé, c'est une évidence, son conjoint est décédé dans des circonstances bien étranges. L'enquête suit son cours, il n'a pas le droit de mettre son nez dedans mais ça le démange tellement qu'il prend sur son temps libre et transforme la table de la cuisine en étalage de pistes, preuves, paperasse et brouillons qui ne mènent nul part. C'est sa façon à lui de gérer sa disparition, il n'a pas de larmes à verser, elles ne veulent pas venir, pas sortir, c'est le désert. Le deuil le rend plus revêche, plus instable, presque lunatique, au rythme de la marée de sa tristesse. Quand il l'oublie tout va bien, il est naturel, quand elle revient elle ébranle ses habitudes et le fait plier un genou.

« Je ne dis pas qu’il m’emmerde, je dis juste qu’ici c’est pas une auberge espagnole. » Ethan ouvrit la bouche à ces mots qui venaient le piquer dans sa sensibilité, mais il n’était pas du genre à se jeter à corps perdu dans un conflit stérile. Il préféra donc refermer ses lèvres sur des paroles qui auraient pu dégénérer et agita plutôt la cuillère en bois qu’il avait à la main. C’était leur truc, de toujours se trouver un moment dans la semaine pour cuisiner, se retrouver…et se disputer autour d’une sauce tomate et du cas Nolan. « Donc je retrouve enfin mon frère et tu me dis de le dégager ? » Livio glissa ce regard réprobateur qui en disait long, bien connu de tous les couples : ne me fais pas dire ce que je n’ai pas dit. C’était des grands classiques de toute chamaillerie, mais ils étaient assez matures pour ne pas s’enflammer et se jeter des assiettes à la figure. Il était heureux que son conjoint ait retrouvé un frère perdu  même s’il avait été plus que de dubitatif et prudent au premier abord – Nolan, sérieusement ? Le type médecin légiste avec qui il avait déjà eu l’occasion de travailler sans vraiment faire sa connaissance ? Mais il aimait son intimité, il voulait pouvoir tomber dans le canapé après une longue journée et envisager de faire l’amour à Ethan sans tomber sur le sourire de leur nouveau colocataire. « C’est un grand garçon, il pourrait se trouver un appart pas loin, tu ne le perdras plus …mais honey, c’est chez nous. Il est charmant mais j’ai horreur de devoir penser à m’habiller avant de faire quoique ce soit de ma journée pour pas passer pour l’exhib’ de service auprès d’un mec avec qui je bosse. » Il souffla et reprit la découpe des tomates pour s’occuper les mains. Il n’aimait pas cette situation délicate, il ne savait pas la gérer. Et tout ce qu’il ne savait pas gérer lui déplaisait fortement. A contrario, Ethan rit de cette image et vint se coller à lui avec ce regard amoureux qui signait le cessez-le-feu. « C’est vrai que mes petits déjeuners sont très tristes maintenant que tu t’habilles dès le réveil. »




Ethan est mort. Ses draps avaient toujours son odeur, son hideuse tasse de café à l’effigie de Paris traînait encore dans l’évier, son livre entamé était resté ouvert sur la tranche, posé à côté de canapé qu’Ethan avait absolument tenu à acheter sur une brocante et qu’ils avaient peiné à ramener – combien de fois sur le trajet l’avait-il insulté, lui et son foutu canapé ? C’était autant d’objets qu’il ne parvenait pas à déplacer, à ranger, à laver, malgré le fait qu’Ethan était décédé depuis une semaine et qu’il était persuadé qu’il était du genre à tout débarrasser dès le premier jour. Lui qui était si ordonné dans son travail devenait anarchique dans leur chez eux – chez lui maintenant ? S’il se laissait aller à ses rêveries il pouvait encore sentir l’odeur de café corsé qu’il préparait le matin. C’était religieux. Les gens n’ont pas idée du jus de chaussette qu’ils ingurgitent avait-il l’habitude de grommeler lorsqu’on lui faisait remarquer qu’il était un peu excessif quant à ses exigences sur son pur arabica de Sumatra et rien d’autre.
 Les réveils étaient hasardeux depuis, paralysé dans cet entre deux où il pensait que s’il prenait le temps pour se retournerait il le trouverait encore assoupi à ses côtés et il pourrait alors venir frotter son nez contre le sien pour le réveiller. Et aujourd’hui encore plus qu’hier. Il devait se lever, se traîner jusqu’à la salle de bain, prendre une douche et enfiler le costume le plus difficile de toute une vie. De ce noir sinistre qui étale aux yeux du monde cette peine lourde du deuil. Aujourd’hui, Ethan devait être enterré. Il en aurait ri, de toutes ces conneries, du costume qui donnait cet air sinistre à Livio, de cette tasse de café toujours pas lavée et sans doute de tous les gens qui allaient se réunir autour du trou béant en terre alors que son quotidien n’était fait que d’une poignée d’amis et de Livio. Deux semaines de congés, c’est tout ce qu’on obtient au décès d’un proche. Plus si on est marié, mais ça n’était pas leur cas alors il avait obtenu la période réglementaire, qui équivalait aussi si on perdait sa tante ou son cousin – et c’était injuste, il valait plus que deux semaines.

Il envisagea de se rouler dans les draps et d’attendre la mort, ou, à défaut de la trouver, d’attendre au moins jusqu’au prochain levé de soleil pour s’éviter cet enterrement. Ils se les représentaient déjà tous avec leur mine désolée, leur tape dans le dos, leurs yeux humides, et lui incapable de rendre le moindre hommage ou même de défier du regard ce trou qui avalerait le cercueil de son conjoint. Cela semblait un programme idéal que de jouer aux absents mais quelqu’un en avait décidé autrement, et ce quelqu’un c’était Nolan. Il grogna, tourna dans le lit, espérant qu’il change d’avis, revienne demain ou jamais. Mais le bruit étouffé de Nolan qui menait sa vie dans leur appartement le força à sortir du lit malgré lui. Ça aurait pu être une magnifique journée, le ciel n’avait même la pudeur d’accompagner sa tristesse, préférant offrir un soleil plein qui pénétrait l’appartement et le baignait de cette lumière matinale. Lumière qui avait séduit Ethan, parce que s’il en fallait un plus sensible que l’autre, c’était lui le meilleur candidat, le plus poétique. Il ramenait la légèreté là où Livio imposait le pragmatisme du flic terre à terre. Pourquoi lorsqu’une personne disparait tout nous ramène à elle ? Il n’en avait jamais rien eu à faire de cette lumière, de l’exposition plein est, et aujourd’hui elles lui faisaient mal.
Lui qui était prêt à sortir Nolan de leur appartement se félicitait de l’avoir toujours sous le coude. Il comblait l’absence, il évitait l’écueil de la solitude dans un appartement où tout lui rappelait qu’il avait passé plusieurs années à vivre en couple. Il l’empêchait, par sa présence de verser dans trop de sentimentalisme, lui permettant de prendre cette distance qui sauve et permet de se préserver.