someone you loved --/ agnes.

dialogues :

Elle est nerveuse, Agnes. Plus agitée que d’habitude. La tête ailleurs, à s’emmêler les pieds, maladroite comme pas possible. Ses pensées orientées vers une seule et même chose - ce rendez-vous avec son frère. Ce n’était rien, pourtant, juste un brunch organisé pour fêter son retour en ville. Pouvoir le revoir, après autant de temps. Après tout ça. La dernière fois qu’ils se sont vus, Agnes n’avait pas encore eu son accident. Encore avec Henrik, aussi, accessoirement. Oswin serait le même, malgré les deux années passées, elle n’en doutait pas. Mais elle savait qu’elle avait changée. Malgré ses souvenirs retrouvés, elle n’était plus la même, ne le serait plus jamais. Une pièce mal assemblée par ici, une pièce manquante par là. Et si ça ne se passe pas bien ? Les scénarios catastrophes et les pires idées qui s’empilent dans sa tête, alors qu’elle s’efforce à respirer. C’est ton frère. La famille, elle est toujours là. Elle s’était toujours bien entendue avec son frère. Alors pourquoi ça changerait ?

Mais elle ne peut pas chasser l’appréhension de son estomac. La nervosité qui empire au fil des minutes qui passent. Agnes qui ne peut penser à rien, mais qui pense à tout en même temps. A versé du lait dans le café de Joel, puis a enfilé son pull à l’envers. Les sourires et les petits baisers pour rassurer, jusqu’à finalement filer de l’appartement. Elle marche, en direction du restaurant. Ce n’est que Ozzie. Et elle a hâte de le revoir, son petit frère. Trop de temps depuis, le bonheur de le retrouver, de le savoir tout près. Après autant de temps hors de portée, il était à New York. Alors elle se convainc, Agnes. Que tout ira bien, que rien n’aura changé. Marche en direction du restaurant, qui est en vue à présent. Croise une petite famille, deux policiers, un jeune avec une cigarette aux lèvres. Se demande si Oswin aura grandi, si…

« Hey ! » Elle s’arrête, Agnes. La voix étrangement familière. Et elle tourne sur ses talons, en direction de cette dernière. Le jeune à la cigarette. Elle fronce des sourcils. « Were you coming in without saying hi ? » Elle le toise. Le temps qui s’effrite, qui ralentit. Alors que les traits étrangers se transforment lentement. Ce n’est pas un inconnu.

C’est ton frère.
C’est Oswin.

Elle vacille, Agnes. Clique des yeux, son coeur qui se serre dans sa poitrine. L’envie de s’effondrer en sanglots. Même pas reconnu ton propre frère. Maintenant, ça lui semble si clair. Le visage qui se replace dans les souvenirs et dans l’instinct. « Ozzie ! » Elle lance, en se retournant vivement vers lui. S’approchant, pour poser deux mains sur ses bras. Les yeux posés sur lui, humides, les lèvres tremblantes. « Shit, I’m… I’m so sorry, I… » I didn’t recognize you. Ça ne veut pas passer ses lèvres, elle ne veut pas, elle ne peut pas. « Look at you. » Le rire qui vient ponctuer ses mots, alors qu’elle sourit. Les yeux remplis de larmes, bien malgré elle. La honte, brûlante, l’échec, cuisant. « Give me a hug, will you ? » Qu’elle répète, à nouveau, l’attirant contre elle. La gorge serrée. Quel genre de soeur ne reconnaît pas son p’tit frère ?

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Oswin.
Il est là.
C’est Oswin.

Elle se souvient, Agnes. Se souvient de son petit frère, de ce petit bonhomme à qui elle a lu tant de livres, à qui elle a tenu la main pour traverser la rue. Se souvient de son petit frère pas tout à fait comme les autres, qui voyait le monde d’une manière si rafraîchissante. Se souvient de ce jour-là, la gorge serrée et les yeux humides, où elle l’a embrassée sur la joue avant qu’il ne parte loin de New York. Quatorze ans, quatorze, et déjà dans le monde. Elle se souvient du souci qu’elle s’était fait, de comment il lui avait manqué. Des appels nocturnes, des messages échangés. Oswin à l’université. On dirait que ça appartient à une autre vie, tellement c’est lointain. Et en même temps, tout existe juste là, dans le creux de son coeur. Son petit frère.

Son petit frère qu’elle n’a pas reconnue.

La honte lui donne envie de s’écraser sous le sol. De disparaître, le temps de reprendre son souffle. De réaliser qu’elle n’a pas su le reconnaître, qu’elle l’a vu, et qu’elle n’a pas su. Elle sait qu’elle ne doit pas être aussi dure envers elle-même, qu’elle doit se laisser une chance, tu ne l’as pas revu depuis l’accident, mais elle se sent coupable tout de même, Agnes. La gorge serrée et les larmes brûlantes, l’envie de frapper quelque chose, de frapper Henrik,
tu me l’as fait oublier,
tu me l’as fait oublier.

It’s ok, qu’il dit. Et elle sait qu’il est sincère, qu’il ne lui en veut pas. Comme personne ne lui en voudrait. Mais elle, s’en veut. S’en veut à elle, et à sa mémoire de merde. Elle le serre contre lui, comme si ça aiderait à la cacher, comme si ça permettait de se rattraper. De le sentir contre elle, présence physique. Plus juste un souvenir à lequel s’accrocher. Son petit frère redevenu tangible, après la noirceur complète. T’es là, Oswin. T’es là avec moi. « Hi, sis’. » Il est grand. Toujours la même crevette, qu’elle tient dans ses bras. Et quand il recule, il lui sourit. Avec ses cheveux emmêlés, son regard à lequel rien n’échappe, les tatouages. Ça, elle ne s’en rappelle pas. Ou peut-être que si. La confusion, dans son regard. Mais il reste là. Stable. Tangible. Oswin. « Please. Don’t cry. » Et y’a un petit rire qui s’échappe de ses lèvres, alors qu’elle essuie les coins de ses yeux. Renifle doucement, en secouant la tête. « C’mon. You know I always cry. » Trop sensible, Agnes. Les émotions à fleur de peau, depuis toujours. Comme un livre ouvert - pas douée pour se cacher.

« Are you hungry ? » Il ne lui en veut pas. Et Agnes est rassurée, bien que ça ne la surprenne pas. Y’a tellement d’éléments dans la tempête. Mais Oswin ne lui en veut pas. « Yeah. Let’s go. » Elle acquiesce, rassurée par sa main dans la sienne. À s’y raccrocher, la serrer à son tour. Renifler encore, alors que leurs pas les mènent vers le petit restaurant. Elle serait bien restée dans ses bras encore longtemps. Mais elle se souvient - pour Oswin, c’est plus compliqué. À l’hôtesse, elle indique deux personnes. Bientôt, ils se laissent retomber dans une petite banquette. Menus déposés là, et Agnes qui ne cesse de le regarder. Se refamiliariser, avec ces traits. Et elle les connaît, elle le réalise. Le connaît bien. « So. How was the trip ? » Qu’elle lui dit avec un sourire. Calmée, à présent, et juste heureuse de l’avoir retrouvée. Même si elle est toujours terrifiée d’en avoir trop oublié. « I didn’t remember you had so many tattoos. » Qu’elle avoue doucement, en pointant ses mains. Hésitante, ne sachant pas trop si c’était de sa faute, ou si c’était juste nouveau - ne pas trop savoir sur quel pied danser.

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Malgré la maladresse des premiers pas, ça fait du bien d’être de retour avec Oswin. Il dégage quelque chose de calme, de contrôlé, qui parvient à apaiser les battements un peu erratiques du coeur de sa soeur aînée. Agnes, qui n’arrête pas de l’observer, en détaillant ses traits, comme pour mieux s’en rappeler. La couleur de ses yeux, les tatouages sur sa peau, sa manière de se tenir à ses côtés. L’odeur du café, et la quiétude du petit restaurant. Elle se sent mieux, maintenant qu’elle est là. Maintenant qu’Oswin est là. Réalisant à quel point il lui avait manqué, ces dernières années. Une absence qui n’avait pas été volontaire de la part du plus jeune, mais Agnes ne pouvait s’empêcher d’être heureuse qu’il soit enfin de retour. Maintenant qu’il était là, devant elle, en chair et en os, elle réalisait à quel point il avait manqué à sa vie. Et elle ne fait pas grand-chose, à part le regarder, en espérant ne pas trop le mettre mal à l’aise. Alors elle lui demande comment s’est passé le voyage, pour entamer la conversation et entendre sa voix à nouveau. Retrouver pied, dans tout ça. « ‘t was ok. I took a pill, slept most of the flight. » Elle acquiesce, en baissant les yeux vers le menu. Pas trop capable de se concentrer pour choisir ce qu’elle a envie. « I still don’t like flying. » Un petit sourire sur ses lèvres, alors qu’elle fouille ses souvenirs. Oui, ça lui disait bien quelque chose. Oswin qui n’aimait pas les voyages en avion. Elle savait ça. Elle le savait. Elle s’en souvenait. « But the stewardess woke me up, like, two hours before landing, and I couldn’t get to sleep anymore after that. It was the worst two hours of my life. » Son rire réchauffe le coeur d’Agnes, qui le suit sans difficulté. Elle sait qu’elle a déjà pris l’avion, mais ses souvenirs sont un peu loins. Mais elle aime le son de la voix d’Oswin, elle l’écouterait pendant des heures. Dis-moi, petit frère. Dis-moi tout. « Y’know. In the pool of all the worst hours of my life. » Et quelque chose dans sa voix lui fait relever les yeux pour de bon de son menu. Une tendresse, une douceur. Elle sait ce que ça veut dire - à quoi il fait référence. Et elle lui rend son sourire, doucement. Je suis contente que tu sois là, moi aussi.

Elle lui montre ses tatouages, et il sourit à nouveau. « Hm. Yeah. I got most of them quite recently, and I didn’t send anyone pictures, so… I’ll give you a tour, if you want. » Elle rigole un peu, Agnes, à la manière qu’il lui fait un clin d’oeil et pose ses mains sur la table. Un rire sincère, face à la malice de son petit frère. « Gladly. With commentary, of course. » Qu’elle lui répond avec un sourire, rassurée, à quelque part, qu’elle ignorait des choses autant que les autres. À ne pas être la seule à ne pas savoir, pour une fois. « So, what about you ? You still working in that little bookshop ? » Et elle acquiesce, en déposant son menu sur la table. Son choix est fait, il ne reste plus qu’à répondre à Oswin et à attendre sagement la serveuse. « Yeah, yeah. It’s a nice place. Not too much work, but I really like it. » Et il semble sincèrement curieux de tout savoir, et ça lui fait dub ien. « You have a new apartment, right ? Well, new… Like, since the last time I was in New York. » La petite complicité qui fait en sorte que le souvenir n’est pas trop brûlant - et elle acquiesce à nouveau. « Oh, yeah. I moved a while back. » Ça avait été compliqué, avec son accident - quelques temps chez ses parents, avant de pouvoir trouver un appartement pour elle-même. « I got a place on Burley Avenue. The kitchen is kinda tiny, but there are two rooms, which is nice. » Elle rigole un peu, Agnes, en haussant les épaules. « Well, one of them is basically just… an empty room with boxes full of books, but still. » Ça fait de la place, si jamais tu veux venir. Tu le sais. Et alors qu’elle veut lui proposer, la serveuse arrive - Agnes commande un thé et une omelette, et laisse Oswin faire de même. Le sourire poli en redonnant son menu, et la tasse vide qu’elle approche d’elle. « I also, hm… I work at a community center, I lead support groups. One, mostly. For people with amnesia, like me. » Le petit sourire au coin des lèvres, c’est tout de même une fierté pour Agnes de faire ça. Elle observe Oswin, ne sachant pas trop pourquoi elle hésite. Dis-le juste, Agnes. « By the way, I… I know it’s a little soon, but if you ever need a place to stay, you can come at my apartment. I have space, and… I’d enjoy the company. » Les yeux doux, posés sur son petit frère. « But no pressure. It’s just an idea. » Si jamais tu veux te détendre, et venir passer un peu de temps avec moi.

Mais dans tous les cas, je ne te lâche plus, Ozzie.

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