obsession - Quinn

traits de caractère /

Il fait noir.
Et c’est effrayant. Pour une gamine qui se cache sous la couette, pour une enfant, qui tient à garder une veilleuse allumée. Mais à quoi bon ? Une faible lueur n’empêchera pas le néant de la prendre, de la dévorer… Elle a peur. Mais comment le faire savoir ? Comment le dire ? Comment s’en protéger ? Elle aimerait bien en parler à ses parents, mais papa est en bas, devant la télévision, probablement avachi comme à son habitude, bière en main, et regard mauvais se perdant dans les méandres des pixels redondants et grésillants. Elle aimerait bien en parler à ses parents, mais maman est en haut, occupée comme d’habitude, à vider les bouteilles d’alcool, à se lamenter sur sa vie, et surtout, sur celle qui n’est pas la sienne. Qui n’est plus la sienne, depuis qu’elle est partie.
Alors la petite est seule. Seule avec ses frayeurs, seule avec ses pleurs, qu’elle n’a pas le droit de laisser s’éterniser, et dont le bruit doit impérativement être étouffé par ses draps. Elle est seule, et laissée abandonnée dans cette petite chambre, la douceur n’ayant jamais pu atteindre son cœur.
Elle est seule. Seul père occupé à broyer sa vie sous les liquides malsains, qu’ils soient alcoolisés ou spermatisés. Seule mère occupée à envier son ancienne personne, celle qui, en Suisse, avait tout pour réussir. Seuls parents refusant d’aimer un enfant qu’ils n’avaient pas prévus, refusant d’admettre qu’ils sont les seuls fautifs de cette dépravation, refusant de comprendre que jamais les Ziegler ne seraient un nom flambant. Seule vie qui la bouffe doucement, la prépare à mourir à petit feu, tandis que ses seuls espoirs résident dans les bouquins, vieux et poussiéreux, qu’elle trouve pour s’évader. Une âme qui cherche une porte de sortie, qui cherche une alternative, qui se bat contre ses démons, ses peurs, pour parvenir à voir le début d’une lumière, celle qui effacera les ténèbres.

Il fait noir.
Et c’est affreux. Pour une adolescente dont le futur vient de s’embrumer. Qui se voit disparaître à petits feux, dans le mode de vie acerbe de ses parents. Pour cette fille, femme en devenir, qui attend impatiemment une opportunité, les études n’étant pas une option, ne l’ayant jamais été. Pas d’argent, pas d’avenir. Le lycée, la dernière étape de sa vie, avant de dévalement de la pente, et l’affalement de la vie sur ses épaules, alors qu’elle devra se trouver un vice pour ressembler à ses géniteurs. Elle se doit de l’admettre, elle se doit de l’accepter, il faut qu’elle puisse oublier ses rêves de grandeur, pour se concentrer sur une vie de malheur. Parce que rien d’autre ne viendra sonner à sa porte, rien ne lui permettra de s’envoler, et de ne pas rester dans le purin de sa famille.
Elle est seule. Seule dans cette vie qui lui prend tout avant qu’elle ne puisse s’en emparer. Seule, dans ce monde qui veut la faire souffrir. Seule, parents occupés, et vie assiégée par une condition misérable. Seule, qui regarde en arrière, ne pouvant apercevoir que la désolation en avant. Qui regrette d’être née, d’avoir tant abîmé la vie de son père, d’avoir tant démoli la vie de sa mère. Seule, en grand besoin d’attention, en grand besoin de consolation, qui croit avoir tout gâché, qui ne se rend pas compte que l’homme de la maison n’avait pas la moindre chance de parvenir à retrouver une situation stable, même une fois le déménagement occasionné. Qui ne se rend pas compte que sa maternelle s’est empêtrée elle-même dans ce fossé dont elle se plaint, sans chercher, jamais, une solution pour s’en sortir.
Elle est seule… Elle est seule, et se doit de trouver une voie qui lui permettra d’échapper aux monstres qui entachent son nom, et détruisent la vie de ceux qui le porte. Addiction. Colère. Destruction.

Il fait noir.
Et c’est l’horreur. Pour une jeune femme à peine mariée, qui n’a rien choisi de son partenaire. Qui se retrouve à devoir aimer un jeune médecin, gynécologue, pour son argent, qu’il a gracieusement offert à ses géniteurs. Une adulte qui s’est retrouvée vendue, sans aucune échappatoire à sa vie. Une épouse qui se forçait à l’aimer, qui espérait pouvoir trouver en son cœur le courage de tomber amoureuse de cet inconnu qui la voulait tellement. Qui la voulait terriblement. Qui la voulait assurément. Mariée en peine, elle pensait réellement que la bonté viendrait compenser ce manque affectif, et qu’une fois la procréation lancée, elle parviendrait à trouver un sourire. Mais rien. Aucun œuf en bon état, forcée de se retrouver sans aucune utilité pour un mari violent qui ne voulait qu’un héritier. Elle subit son courroux, elle subit sa brutalité, toute seule, avec ses larmes. Toute seule, avec ses espoirs qui partent en fumée, retrouvés uniquement dans les études qu’il lui a payées. Celles qu’il regrette.
Victime, qui se retrouve seule. Seule, sans paroles aucunes, ne pouvant pas dénoncer un homme que tout le monde semble admirer. Seule, sans confiance aucune, ne sachant pas se faire entendre, devant retenir sa langue, pour éviter qu’il ne vienne la couper. Seule, dans ce monde sans lumière, tandis qu’elle tente encore en vain, de croire qu’il peut changer…
Seule, obligée d’accepter, lorsqu’il vient lui proposer de repartir sur de bonnes bases. Naïve, effrayée, ou simplement esclave, elle ne peut refuser, et se retrouver à connaître la souffrance dont il jouit désormais, et dans laquelle il jouit sans sommation. Une fleur retaillée, une fleur ajustée, pour son plaisir intime, à lui, pas à elle. Une douleur qui ne s’effacera jamais.
Une lueur qui s’éteint pour toujours.

Il fait noir.
Et c’est atroce. Pour une femme qui survit, dans une relation qui lui échappe, dans une vie qui ne lui appartient pas. Qui ne lui appartient plus. Qui rêve encore parfois, de bonheur, de voyage, et de s’évader de cette prison, de cette cage qu’il construit toujours plus durement. Editrice, seule consolation, dans un monde de ténèbres, elle se retrouve à crier, à pleurer, lorsque personne n’écoute, lorsque personne ne regarde. Elle se retrouve à vomir, une fois qu’il a fini sa besogne, qu’il s’est satisfait en elle, l’irritant plus encore, la forçant plus encore, sans se soucier de cette blessure qu’il lui inflige, continuellement, entre ses jambes couvertes de bleus et de sang, entre ses cuisses ouvertes couvertes de cicatrices qui resteront toujours présente, dur rappel à la réalité qui se veut difficile à accepter. Ce n’est pas de son ressort à lui, les marques indélébiles de tranchant sur sa peau. Il n’a été que l’instigateur, pas l’exécutant. Il n’a été que le déclencheur, se faufilant dans son esprit, encore et toujours, la brisant, encore et encore, toujours présent, toujours pénétrant, tandis qu’elle n’a plus eu qu’une solution pour oublier la souffrance qu’il lui causait, le mal-être qu’il lui créait. Il a fallu qu’elle s’inflige douleurs sur douleurs, couteau empli de sang, qu’elle use pour taillader sa peau, seule qu’il regarde, seule qui l’intéresse. Mais rien n’y fait, elle reste plongée dans les abîmes de son esprit, incapable de trouver une réelle solution.
Elle est seule. Seule, pour affronter la situation, seule, pour se défendre sans succès. Seule pour parvenir à sourire. Seule pour s’en sortir. Seule, sans plus aucune nouvelle de ses parents ingrats, qui, aussitôt fortunés, ont décidé de détaler.
Elle est seule, incapable de s’évader. Une réelle prison enserrant son annulaire.

Il fait noir.
Et c’est insupportable. Pour une femme qui ne vit plus, pour une femme qui ne ressent plus rien, à part le mal, à part la désolation de son âme, de son corps. Qui n’est plus qu’une ombre se repliant sur elle-même, oubliant de rêver lorsque les lignes parcourent ses yeux, et que ses yeux parcourent les livres. Elle n’a plus rien, et se rend compte qu’elle n’a jamais rien eu. Mis à part des parents qui ne la voulaient pas, et un mari qui l’a complètement brisée… Enchaînée à une vie qui ne lui convient pas, qui parait la brûler de l’intérieur, la consumer entièrement. Elle n’est qu’une coquille vide aux multiples fractures mentales, qui reste allongée pour qu’il finisse son affaire, qui reste apeurée lorsque le noir revient, et que ses yeux se ferment. Qui ne rêve plus de monstres et de dragons venus la dévorer, mais de cet homme qui la tourmente, qui se vide en elle. Objet. Elle n’est plus qu’un objet, elle l’a toujours été, et le sera toujours. Un simple artefact utilisé pour son bonheur à lui, pour ses vices écœurants et ses pratiques ignobles.
Elle est seule. Seule, comme toujours, dans une vie, qui ne lui accorde aucun plaisir. Seule, comme jamais, ayant pour unique compagnie que ce visage disgracieux et ce corps fétide qui s’insinue en elle sans aucun consentement, chaque soir, chaque matin, chaque fois. Seule, comme avant, vivant la même amertume qu’elle décelait petite dans le regard de ses parents, dans les yeux de son père, dans la voix de sa mère.
Elle est seule.
Elle n’a plus aucune envie de continuer. Elle se demande même pourquoi elle a tant attendu pour passer à l’acte. Pourquoi elle n’a pas mis fin à ses jours plus tôt… Pourquoi elle n’a pas mis un terme à sa souffrance lorsqu’elle avait encore si peu à perdre… Pourquoi elle a attendu qu’elle devienne cette poupée sans vie pour finalement décider de faire ce que ses parents auraient sans aucun doute dû faire…
Une mort qu’elle décide, une mort qu’il ne contrôle pas. Une arrivée dans ce bar, pour boire à en perdre la tête, avant de finir par crever, pourriture dans le caniveau, mais débarrassée de cet infernal démon qui réside dans sa vie, et la tient en laisse.
Une mort qu’elle aurait tant voulu réussir à s’administrer… Mais dont le simple regard sur cette fille fut fatal. Parce que son cœur recommença à battre lorsque ses cheveux s’envolèrent d’un mouvement de tête, lorsque son sourire se plaqua contre sa poitrine dans une force qui la déstabilisa.
Sa lumière. Enfin trouvée, sans que la concernée ne le remarque. Sa lumière, en face d’elle, liquide aux lèvres, et beauté fatale. Sa lumière, le seul exutoire possible, dorénavant.
Un soleil, dans sa nuit éternelle. Ce dont elle a besoin, qui l’obsède, et qu’elle désire plus que tout au monde.
Un éclat, qu’elle prendra, qui la sauvera, coûte que coûte.
Une flamme qui renaît en son cœur.
Une espoir qui revient dans sa vie.