sorry not sorry ☽☽☽ joe

Passée ta rage de voir tes affaires disparaître aux mains d’un inconnu, tu commençais à te détendre à mesure que la fumée encrassait tes poumons à l’instar de la pollution que t’inhalais chaque jour en arpentant les rues. C’est que vous commenciez même à avoir un début de conversation. Tu ne gênais donc pas à partager ton avis sur ses manières même s’il ne t’avait clairement rien demandé. Tu voyais bien que c’était l’genre de mec qui avait toujours raison, même quand il avait tort. Tu n’allais pas perdre ton temps à essayer de lui expliquer la balance bénéfice-risque de sa stratégie, au lieu de quoi tu fumais juste ta clope, le poing fermé sur cette dernière. Tu avais gagné au change finalement même si ce con t’avait bien fait mal à taper dans tes genoux, tu savais te contenter de petites victoires, tu ne te laissais même plus atteindre par ses provocations.
« Oui » confirmais-tu avec ce petit sourire de satisfait, bien contente de l’énerver même si quelque chose avait changé, vous n’en étiez plus à vous entretuer, c’était déjà un premier pas vers le progrès. Dans le fond, peut-être que vous vous ressembliez plus que tu ne voulais bien l’admettre. Tu ne tardais pas à lui poser la question franchement d’ailleurs. Sa réponse eut d’ailleurs de quoi te faire rire, c’était bien un mec ça, de préciser son activité sexuelle comme si tu en avais quelque chose à cirer franchement ! « Waw putain j’suis épatée d’un coup t’imagine même pas ! Vas y laisse-moi 3 sec que j’m’en remette ! » exagérais-tu en ricanant, t’étouffant avec une goulée de fumée. C’était sa faute à lui si tu devais mourir sur le champ !
Quand il reprit sur un ton que tu devinais un poil plus sérieux, tu tâchais de respirer droit à nouveau. Tu la connaissais la rengaine du pas d’bol, ça vous arrivait à tous, ici-bas. Il ne te laissa pourtant pas loisir d’y songer plus longtemps, te retournant la question tout naturellement. « Bah parfois la rue c’est encore plus safe que c’qu’il y a derrière les portes. » avouais-tu avant de relever le nez sur lui. « J’sais pas, tu trouves que les tiens ont réussi leur job ? » provoquais-tu avant de tirer une dernière fois sur ta cigarette avant de la jeter d’une pichenette sur la route. « Moi c’est Joe. Et toi, ton blase ?»

Tu te fiches bien de passer pour une gamine immature ou quoi, vous veniez de vous courir après comme des dingues à travers tout le quartier, tu n’étais plus à ça près. D’ailleurs tu ne te gênais pas pour te foutre de sa gueule comme si vous étiez de vieilles connaissances. Le truc c’est que vous vous moquiez bien de votre vexer, imite c’était le petit jeu qui avait débuté entre vous alors que tu te payais de sa tête tandis qu’il crut bon de préciser ce qu’il faisait dans son lit. Cool mec.
Sauf que lentement, les mots avaient cessé d’être des flèches, vous parveniez même à commencer à discuter tous les deux, vous avouer l’un l’autre que vous n’étiez guère plus que des gosses, toi des rues et lui pas beaucoup mieux. On se comprenait entre gamins des caniveaux. Et la rue, tu la connaissais que trop bien malheureusement, tu la vivais chaque jour, chaque seconde.
« J’confirme, 3/10 pour l’effort » soufflais-tu. « Et parce que tu cours vite » rester sérieuse ? tu n’aimais pas. C’est avec sérieux que les grandes conversations débutaient. Ce n’était pourtant pas méchant, sans doute même pas conscient. Tu finis pourtant quand même pas lui donner un petit quelque chose à se mettre sous la dent. Pas grand-chose, ton prénom. Et le sien suivit aussitôt. Lyes. Tu ne t’attendais pas trop à ça, c’était bizarre. Pas américain. Enfin tu n’en savais trop rien en fait alors tu te gardais du moindre commentaire, haussant juste des sourcils alors qu’il reprit avec la famille. C’est qu’il insistait en plus pour savoir ! Il n’y avait pourtant pas grand-chose à dire, sans doute qu’elle n’était pas très fonctionnelle ta famille puisqu’il ne te restait plus rien d’elle aujourd’hui.
« Pff t’as cru j’étais mainstream ou quoi ? » claquais-tu de la langue en secouant de la tête. Accident de voiture…ça aurait pu, faut dire qu’à la loterie de la vie tu n’étais pas la plus chanceuse. Mais une chose de certaine, tu pouvais bien inventer n’importe quelle excuse, la vérité semblait encore plus dingue et t’étais presque sure qu’il serait épaté.
« Je les connais pas vraiment, j’suis né à Rikers. Ma mère a tiré sur son mec mais j’sais même pas si c’était lui mon père ou pas. Content ? »

Ce n’était pas la première fois que ça t’arrivait, une rencontre mal commencée qui finissait pas si mal. Vous étiez tous comme ça, les gamins des rues, des putains de caractériels, des combattants qui ne lâchaient rien parce que céder, c’était mourir un peu. Ça n’arriverait sans doute pas ce soir et puis tu t’en sortais avec la satisfaction d’avoir gagné un peu de son respect. Ce n’était pas grand-chose, ça ne valait sans doute rien mais ça ferait déjà un de moins pour te faire chier. Un autre de ceux qui avaient compris qu’il ne valait mieux pas s’frotter à toi sous peine de se faire piquer et pas qu’un peu. T’étais comme ça, plus oursin que sirène.
Sympathiser avec Lyes ne t’empêchait pourtant pas de garder ton humour piquant, un peu immature et pas des plus distingué mais ça tombait bien parce qu’il n’était pas beaucoup mieux. Vous étiez vraiment très semblables et si ça aurait pu être inquiétant, toi ça t’apaisait de croiser d’autres saletés d’gosses comme toi. Il semblait d’ailleurs très curieux soudain à ton sujet, comme s’il était content de tomber sur une vraie SDF et pas juste une de ces gamins mécontents d’leur vie. Genre un peu comme lui en fait. Parce que des parents et un appartement, il en avait, de l’argent aussi il pourrait en avoir s’il fermait plus souvent sa grande gueule mais tu t’en doutais que ce serait comme lui demander de respirer par les oreilles. Ce n’était pas pour le critiquer ou quoi mais même s’il se comportait comme toi, il n’était pas comme toi. Une chose pour lui que tu sois indulgente.
« Ouais merci merci j’remercie mes parents pour ça » fis-tu, posant une main sur la poitrine comme si tu venais de remporter un oscar. A vrai dire, tu ne les remerciais pas tant que ça mais tu ne leurs en voulait pas non plus. C’était plutôt un voile d’indifférence qui couvrait tes pensées. Ses questions ne se tarirent pourtant pas pour autant et le visage levé vers le ciel, tu pivotais légèrement ce dernier vers lui.
« Et pour faire quoi ? Pourquoi j’irais l’emmerder alors qu’on s’connait même pas ? » tu étais d’une implacable logique et d’une féroce indépendance. Retrouver un père qui ne t’avait jamais réclamée aux services sociaux ? Pas la peine, ce n’était plus aujourd’hui que tu avais besoin de lui. « J’sais pas trop. Je sais pas grand-chose d’elle, j’ai pas l’souvenir d’une mère aimante ou quoi. » vous aviez été arrachés de ses bras beaucoup trop tôt pour que vous puissiez avoir le moindre souvenir et on ne vous avait pas vraiment aidé à reformer une famille non plus. « T’as de la thune sur toi ? Si tu m’payes un kebab je te raconte la suite ! » proposais-tu soudain, un petit sourire au bord des lèvres.