/ je veux tes yeux --- pallex

il s’impatiente en entendant la voix de l’autre videur qui lui raconte sa journée. aujourd’hui, il en a rien à foutre de la vie des autres, rex. il voudrait juste qu’on le laisse tranquille, rex. il pense au propre désastre de sa journée à lui et ça le met de mauvaise humeur. des problèmes qui pleuvent comme une averse tropicale et pas de parapluie pour se mettre à l’abri des intempéries. c’est la débâcle totale, le cataclysme personnel. d’abord, y’a la bande pavlo qui le menace de lui exploser sa joli gueule. ensuite, y’a les thunes et tous les problèmes de la vie d’une loque sociale. et si c’était que ça encore, ce serait pas grand-chose. ce serait supportable, ce serait rien que la vie. nan, ce qui lui arrache vraiment le cœur ; ce qui le rend incapable de supporter les suppliques et les aberrations des minettes de seize ans tentant de forcer l’entrée ; ce qui le mord jusqu’au plus profond des tripes, ce sont les jolis yeux de primrose qui ne brillent plus. ils se sont encore engueulés ce matin. ils ne font que ça, récemment. mais c’est qu’elle est tellement en colère, la princesse america, aussi. elle est comme cachée par un mur transparent : rex la voit, rex l’entend, mais elle reste hors de sa portée. perdue dans le monde dont elle garde jalousement la clef, il ne peut pas l’atteindre. et quand du bout des doigts, il parvient à ne serait-ce que l’effleurer, elle le brûle, venimeuse et même caustique dans son amour. agacé, rex soupire. il regarde la queue qui semble ne jamais rétrécir, se languissant, empressé, de la voir se terminer. en scrutant la nuit déjà tombée et l’horizon qui se remplit, il la voit arriver, fière et forte, une clope à la main. sans doute aucun, elle se glisse à l’avant de la ligne comme si ici, elle était reine. et ainsi proche de l’entrée, nonchalante, l’air désintéressée, le téléphone en main ; rex la regarde. il la regarde vraiment. avec sa tenue trop simple pour l’ambiance de la boîte, on jurerait pourtant qu’elle est née ici, au milieu du glamour. ou alors ce serait juste son élément. quand elle prononce son nom, il s’étonne. rex ne la connait pas. il en est certain. doté d’une très bonne mémoire des visages, il n’aurait jamais oublié un rouge à lèvres comme le sien. « c’est moi. » c’est ce qu’il répond sans sa chaleur habituelle encore refroid par ses altercations fraternelles. ses yeux se posent encore la fille, peut-être trop insistant dans leur regard. c’est qu’il la trouve belle aussi. pas comme ces nanas qui se pointent tous les soirs, potables seulement quand on les regarde à partir d’en-bas. nan, cette fille-là, elle est sincèrement exquise dans la simplicité d’un jean et d’un pull et dans l’élégance de ses lèvres rouges. rex sait très bien les reconnaître : c’est le genre d’éclat qu’on évite, surtout quand on crame vite à la lumière. « et toi, tu es? je suppose que t’es une habituée ou un nom de tête de liste pour me connaître par mon prénom. en général, les gens m’appellent juste cute eyes » malgré sa mauvaise humeur, il tente la blague foireuse. 30% pour se donner du courage et finir cette soirée en vie. 70% pour les jolis yeux qui le fixent.

elle est mignonne. les mots s’échappent de sa bouche comme une mélasse qu’elle ne contrôle pas et rex ne peut pas s’empêcher de lui sourire. il n’est pas sûre d’avoir compris tout ce qu’elle avait à dire ; quelque chose à propos de tom, de la soirée, de lui et d’elle-même, une certaine pallas. d’accord pallas, je te suivrai n’importe où. elle passe devant et rex la suit sans rien ajouter de plus, simplement un sourire béat lui courbant les lippes de part et d’autres de son visage. l’intérieur du club brille écarlate sous la lumière perçante des néons et des stroboscopes. rex fait la grimace. c’est bien trop propre, bien trop luxueux pour lui ce genre d’endroits. lui, il se complait dans les boites miséreuses, les seuls lieux où on le laisse entrer quand il fait pas le videur ou mieux encore, dans le garage du père de kenny ou dans son appart moyen-pourri quand prim n’est pas là. assez ironique pour celui qui en garde l’entrée, mais les clubs, ça a jamais vraiment été son truc. c’est que ça lui plait pas cette idée d’aller se frotter avec des inconnus dans une salle bien trop petite pour le nombre de personnes présentes et qui empeste le sueur. c’est peut-être à force d’être videur qu’il s’est lassé de ce qu’abritent les soi-disant portes du paradis ou peut-être pas. toujours est-il qu’à choisir, rex préféra toujours une house party classique. « ce ne sont que des jolis lumières. les gens d’ici sont comme des moustiques, il leur suffit que ça brille pour qu’ils se précipitent à l’intérieur. » remarque lancée l’air de rien dans un demi-sourire avant d’y réfléchir sincèrement. il la regarde, espérant ne pas l’avoir vexé. sait-on jamais, elle pourrait être de ceux qui se plaisent ici. même si – rex le reconnait volontiers – elle, pallas, a l’air beaucoup trop bien pour traîner au milieu du reste d’entre eux. elle demande la direction du bureau et c’est une légère envie de rire qui secoue rex. bien qu’elle ne savait même pas om se rendre, elle marchait avec cet air de savoir parfaitement où aller et quoi faire, comme si le ciel lui-même l’avait mis sur cette route. elle marchait avec cet air d’assurance qui rendaient les filles comme elle tellement belles. « viens. » avec douceur, prend sa main pour – dira-t-il – ne pas la perdre à travers la foule. mais ça ne dure qu’un instant, le temps d’une traversée parmi les gens qui s’agglutinent et s’égosillent puis la porte du bureau qui se referment sur eux comme un barrage contre la musique et les néons. « voilà. le bureau. » d’un geste bien trop grandiloquent, rex désigne les alentours, découvrant lui-même l’endroit. c’est qu’il ne vient presque jamais ici. pas assez souvent pour se souvenir de la configuration des choses en tout cas. aussi, lorsqu’il s’avance pour tirer une chaise à lui et s’y assoir, il trébuche sur la différence de niveau entre le sol et l’estrade sur laquelle repose le bureau et manque de tomber. maladroit par nature, il parvient néanmoins à garder plus ou moins l’équilibre sans se ramasser la gueule. finalement, il fait le choix de ne pas s’assoir du tout et de rester debout, adossé au mur. « je l’ai fais exprès. je voulais te faire rire. » menteur. menteur. menteur. imbécile. il lui sourit, loin d’être à sa première honte de ce genre. au contraire, il en a l’habitude. en général, il s’en sort avec une pirouette. de toute façon, le ridicule ne tue pas comme dirait l’autre. il n’a qu’à rire, ça finira par passer. « alors tu t’appelles pallas, c’est ça ? » feint l’ignorance lorsqu’il a très bien retenu son nom – l’une des seules choses qu’il ait pu relever dans l’adorable discours haché menu qu’elle lui a servi tout à l’heure. « c’est un joli prénom. » ça l’est en effet. un son royal aux oreilles qui sied si bien à son port princier. « donc je supposes que tu travailles avec moi ce soir? » peut-être que la nuit n’allait pas être si mauvaise après tout.