Décembre, son froid mordant, les projets... si proches... Tu en as le tournis. La ville vibre d'excitation sourde, scintille d'illuminations. Tu vibres d'attentes et de doutes.
L'an passé... L'an passé, les clients se suivaient, s'enchainaient. Décembre, janvier... Des mois fastes. A trop passer de temps en famille, certains étaient prêts, pour s'évader, à payer ces tarifs que tu augmentais... Et comme ils te dégoutaient, comme tu les vomissais. Toi, la sans famille, tu enchainais les pères, les frères, les mères, parfois, tous ces fantômes qui fuyaient cette vie que tu rêvais de connaitre. IL payaient pour tes désillusions, leurs trahisons, tu aurais voulu les mordre, les griffer, le spunir, tu aurais voulu les tuer, parfois.
Mais tu n'as plus de corps contre toi, à griffer, mordre, caresser, plus de visage à haïr, et tu es là, seule, à regarder les passants, prisonnière des illusions, de leurs apparences heureuses, fidèles, de leurs mensonges, de ces visages masqués qu'ils offrent au monde, qu'ils perdaient dans le secret d'un lit moite. Et tu essaies de ne pas y penser. Ils sont lointains, ces souvenirs, et effacée, cette vie-là. Tu l'as égarée au détour d'une nuit de cauchemar, abandonnée pour deux yeux sombres et un sourire rare, lumineux.
Tu ne sais que faire, que penser d'eux tous. Sans parvenir à te laisser gagner par l'effervescence générale, dévorée d'angoisses, d'espoirs. Parce qu'il y a, sous peu, ce voyage fou. Parce que, cette fois, Tu ne passeras pas Noël à te vendre. Que tu as des cadeaux à offrir.
Entre tes mains nues, le carton d'un gobelet plein de thé brûlant, les volutes d'évaporation, dans l'air froid, sous ton nez. Tu te perds dans le parfum des épices, et tes pensées, tu ne vois qu'à peine les arbres nus, la neige sous tes pieds. Tu te perds dans des rêves silencieux. C'est peut-être parce que tu es si loin que tu n'entends pas la voix qui te poursuit, qui t'appelle. Qui finit par harponner tes idées vagabondes.
« Mademoiselle, votre gant !! »
Tu la contemples, tu fixes ce gant qu'elle te tend, son rouge chatoyant, tu le reconnais. Surprise, ta main se pose dans ta poche, dont il s'est évadé.
"Oh... Merci... Merci beaucoup."
Tu souris un peu, puis plus franchement, en reprenant le fuyard, désigne à sa sauveuse l'échoppe où un vendeur retourne des marrons.
"Des marrons? En guise de remerciement?"