what doesn't kill me better run. (matthias)

« J’en reviens pas qu’on ait encore cette discussion : la décision est prise. » « Oui, ta décision. » Le soupir est brutal, exaspéré, et les yeux roulent dans leurs orbites. Elle ne paraît pas trouver cette circonstance déterminante et s'esquive derrière le montant de la cuisine. Loin de se laisser convaincre, Matthias la rattrape alors qu'elle se saisit d'un verre sur le bord de l'évier. Les phalanges encerclent le poignet mais l'emprise est sèchement rompue. Adora lui lance un de ces regards de haine, qu'elle réserve à ses harceleurs dans la rue. Brûlé par son audace, il la relâche mais ne démord pas de l'idée : « Il faut qu'on en parle. » Il y a des semaines que le sujet est abordé, par touches et par insinuations, car il ne sait pas cautionner leur air de rien, quand ils rentrent du travail et flânent ensemble dans l'appartement. « Pour quoi faire ? elle rétorque en faisant volte-face. Pour que tu m'expliques quoi faire de mon corps ? » Après un demi pas de recul, Matthias lui décoche un regard blessé, les pupilles de celui qu'on accuse à tort. « Non, tu sais très bien que non. » « T'es sûr ? » Bien sûr, elle a saisi son hésitation au vol : Adora sait qu'il pense à la position de sa mère sur le sujet. « Je vais aller en Enfer, c'est ça ? » Le rictus qui fleurit au bord des lèvres est méprisant. « Je ne suis pas comme ça... » Il le pense sincèrement mais ça se voit qu’elle ne le croit pas. « Et quand est-ce que tu me demandes ce que j'en pense ? » La déviation lui facilite les choses, bien qu'il se précipite à être cruel. « C'est facile, toi tu veux avorter et c'est tout. » Comme il le dit, ça n'a l'air de rien ; une formalité qu'elle aura expédié sur sa pause-déjeuner. Son imprudence a le mérite de clôturer la conversation : rétive, Adora croise les bras sur sa poitrine doucement gonflée. « Mon corps, ma décision. » « Je suis son père aussi ! » La figure transpire d'une telle certitude que sa protestation tombe froide, inerte. « Tu es le père de rien du tout. Ça n'existe même pas. »

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Un matin, elle a disparu. C'était quelques semaines après la naissance de Madi, la fille que Matthias voulait ardemment et qu'Adora ne souhaitait pas. Et elle avait raison : même après qu'il l'a convaincu de garder l'enfant, un doute corrosif l'habitait. Une fois que la môme a été dans ses bras, ça a été pire. Pas qu'elle ne l'aimait pas. Sans doute l'aimait-elle. Ce n'était juste pas pour elle et elle en a beaucoup voulu à Matthias. Alors elle est partie, sans un mot, sans un adieu. Rien. Il en a eu le cœur brisé.

Cinq ans qu'il n'y a qu'eux. Puis un matin, il y a quelques mois, voilà qu'on frappe à la porte. « Bonjour Matthias, elle a dit. » Aux ridules qui s'étaient formés au coin des yeux d'Adora, il s'est senti vieillir aussi. Il a été tellement surpris qu'il n'a rien dit. Un bourdonnement s'amusait de des tympans. Avec le cœur au bord des lèvres, il était aussi près de la haïr que d'en retomber amoureux quand, finalement, l'image s'est faite plus nette : « Tu m'entends, Matt ? Je suis venue récupérer la garde de ma fille. »

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« Comment elle s’appelle ? » Il l’aperçoit tout de suite, plantée devant le 5B. Une enveloppe kraft est bloquée entre le flanc d’Adora et son sac à main. Matthias n’y jette qu’un bref coup d’oeil, détermine que c’est de sale augure et oublie jusqu’à la question. « La femme, elle précise pour ne pas le laisser tranquille. » « Quelle femme ? rétorque pour lui son manque de patience. » Les lèvres découpent un mince sourire méchant. « Y’en a tant que ça ? » Si les rôles étaient inversés, ce serait du slut-shaming, une chose qu’Adora n’accepterait jamais. Ça ne la frôle pas. « Que veux-tu que j’te dise ? il répond une fois à sa hauteur. » Lui aussi a la carne des lippes qui tourne mesquine et malveillante. « T’as laissé pas mal d’espace disponible, tu te rappelles ? » D’une légère poussée de l’épaule, il la bouscule sans véritable violence et crochète la serrure en deux coups de clef brutaux. Bien qu’il s’engouffre sans plus la considérer, Matthias ne l’empêche pas de le suivre à l’intérieur. Quoi qu’elle soit venue lui dire, il est sans doute plus sage de l’entendre de sa bouche que par injonction officielle. « Madi raconte qu’une femme vient parfois ici. » L’ennui avec les mômes, c’est qu’ils sont plus malins que les adultes ne l’imaginent. Et sagaces. Deux objections explosent néanmoins dans son crâne : 1/ Madi et Nana ne s’étant jamais rencontrées, elle les aura aperçus un soir où Matthias l’avait confiée à leur voisine, c’est tout ; et 2/ il se fiche bien de l’avis d’Adora. « Qu’est-ce que tu veux ? » Il est sûr qu’elle n’en viendra pas au fait de son plein gré et il n’a aucune envie de tenir le crachoir après la nuit épouvantable qu’il vient de passer. « Il va y avoir une enquête. » Le visage plus fermé, Adora dépose l’enveloppe sur la table de la salle à manger. Il suffit qu’elle balaie le salon en désordre pour flairer la menace. « C’est ta convocation, j’ai préféré te l’apporter moi-même. » Il n’est pas près d’y voir de la générosité. Le pli est rapidement décacheté et les lignes sont repassées en vitesse accélérée. « Y’a aucune chance qu’un juge te donne la garde d’une fille que t’as abandonné. » Il s’efforce d’avaler sa rage mais le lettrage est tellement blessant, le fait même que l’on considère, dans les instances, la demande d’Adora lui fait un mal de chien. « Et tu crois que y’a combien de chance qu’on laisse la garde d’une enfant de cinq ans à un crevard qui filme des paraplégiques dans des restes de BM et qui s’envoie bien la moitié du Queens, hein ? »