love gangster

traits de caractère / Serena est un hymne à l’amour. Un petit bout de femme au sourire omniprésent, les lippes illuminées d’un optimisme débordant. On lui prête un moral d’acier, une volonté à toutes épreuves. Gaminé forgée dans les affres d’une existence douloureuse, elle aurait pu s’affadir et se laisser gagner par la mélancolie. Au contraire, c’est un soleil, un éclat de vie qui s’est emparé d’elle. Serena goûte à la vie sans s’interdire d’y prendre du plaisir. Elle sait ô combien tout peut s’envoler dans l’instant, alors fait de chaque seconde un moment précieux. Elle rêve toute éveillée, évoque ses projets avec la certitude qu’ils se réaliseront. Naïve, peut-être. Ou simplement déterminée. Car elle veut s’extirper de sa vie actuelle, des mains sales et des appartements miteux. Elle danse, elle chante, elle rit pour ne pas penser à cette réalité si banale qui l’attend lorsqu’elle est seule avec elle-même.

Elle craint les ténèbres et la solitude, et pourtant, elle s’y réfugie quand les obstacles lui semblent insurmontables. Serena n’est pas du genre à fuir le combat, sauf en amour. Elle perd toujours, imparfaite. Elle ne s’attarde pas, Serena, convaincue qu’on trouvera toujours mieux qu’elle et ses imperfections. Elle aime mais préfère céder sa place, nie son droit au bonheur, se réfugie derrière des barricades. L’amour efface son sourire et lui noue l’estomac. Alors elle force ses rictus à l’excès, efface le doute et recommence à s’amuser comme une enfant. Elle en rajoute, parfois, pour cacher son mal sous le tapis, et pour rappeler, aussi, qu’elle est un torrent d’émotions, pétillante et divine, tout l’inverse de ce que la génétique la prédisposait à être ; chaque sourire distillé est un rappel utile: Serena est tout l'inverse de son paternel.

C’est un petit appartement aux murs fins et aux voisins bruyants. C’est le théâtre de ses malheurs, de la haine distillée par son père. C’est pas la belle vie, mais c’est tout ce qu’elle connaît. Sa peau métisse marquée par les bleus, son coeur brisé par les mots vomis par le mépris permanent. Son paternel ne l’aime pas, et Serena ne sait pas vraiment pourquoi. Moins docile que sa mère, peut-être. Trop souriante, aussi. Et qu’importe les gifles qu’il porte pour effacer le sourire, il finit toujours pas revenir. La gamine est une écharde dans le doigt de son père. Une plaie purulente qu’il voudrait mettre à la porte. Impossible, qu’on lui répond. Il n’est encore dans le pays que parce que la gosse, née américaine, dépend de lui. C’est peut-être pour ça qu’il enrage, aussi: devoir son salut à une gamine aussi frêle, c’est humiliant. Alors il s’en débarrasse, comme un fardeau trop lourd. Les grands-parents maternels et leur amour inné, c’est la seule parenthèse que la gamine connait. Serena ne voit de l’amour que ce qu’ils acceptent de lui donner pour un temps trop court. A chaque retour au bercail, c’est un crève-coeur, et les emmerdes qui recommencent. La môme grandit entre deux mondes, celui trop violent de ses parents, et celui trop rare de ses aïeux sur le déclin. Elle apprend de son père à garder son sang froid, à bomber le torse et à relever la tête. Par fierté, parce qu’avec les années, elle gagne en caractère et refuse de le voir triompher. Et de ses grands-parents, elle découvre un autre monde. Celui des femmes puissantes, des chanteuses de blues, des femmes modestes devenues géantes. Elle se rêve à les imiter. D’abord comme un jeu d’enfant, drapée dans les robes trop grandes de sa grand-mère, à mimer devant le reflet du miroir. Et puis l’âge avance, et elle rêve encore un peu plus fort. Elle veut en être, de ces femmes d’exception. Elle veut chanter ses peurs, partager sa mélancolie. Illuminer la salle de ce sourire dont elle ne se sépare jamais. Son joli brin de voix, elle l’entretient avec sagesse, car ce rêve, doucement, surpasse tous les autres.

Son père se moque. Sait-il seulement faire autre chose ? La gamine n’attend pas le soutien, et encaisse les remarques comme autant d’humiliations supplémentaires. Elle a treize ans passés, et dans un coin de sa tête, s’est résolue à n’être rien d’autre que cette chanteuse de soul qu’elle se rêve depuis toujours. Parce qu’elle ne sera jamais rien de plus, Serena. Le verdict est tombé, cruel. Elle n’aura pas d’enfants, vivra dans la douleur d’être une femme imparfaite. L’horreur amplifiée par les bassesses du père, moquée de n’être qu’à demi femme, incapable d’offrir autre chose qu’un ventre vide. La scène est son seul avenir, à présent. Et Serena est plus déterminée que jamais à devenir celle qu’elle a toujours voulu être. A seize ans, elle fait ses valises, s’émancipe de ce foyer trop oppressant. Elle est livrée à elle-même, ses grands-parents n’étant plus là pour apaiser ses souffrances. La gamine abandonne le lycée et se confronte au monde des adultes. Les petits boulots se multiplient, mais l’espoir ne faiblit pas. La gosse n’a pas le choix, il faut qu’elle tienne. L’optimisme débordant suffit à maintenir le morale à flot. Elle en a vu d’autres, après tout. Serena a le sourire facile, l’optimisme contagieux. Alors quand elle décoche son plus beau sourire aux patrons des bars et des cafés où elle propose de chanter le soir, on lui refuse rarement. Un jour, la chance tournera.