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 the dreamers — Sahel

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Message Sujet: the dreamers — Sahel   the dreamers — Sahel Empty Sam 19 Déc - 21:19


the dreamers

Voilà longtemps qu’elle sait, qu’elle a compris.
Est-ce depuis des mois ?
Depuis des années ?
Bien plus que quelques semaines.

Il trône comme une ombre auprès d’elle sans être vraiment là, empestant une candeur que sa belle gueule met en exergue, manquant souvent de faire sourire, malgré elle, celle qui n’est plus une enfant ni une innocente depuis longtemps. Voilà des mois que leurs chemins s’étaient décroisés, qu’il s’était perdu, non loin de là, dans un musée où tout sent le plâtre, le bois, le vieux, le passé de toute part, un endroit où elle se perd souvent avec passion, avec envie, un péché mignon qu’elle s’octroie sans le dire mais l’art la fascine, qu’il soit peint ou sculpté, même dansé ou chanté, elle se sait sensible à l’Art en ce qu’il est et exprime, se surprenant à se faire rêveuse des époques qu’ont connus les vestiges gardés et rénovés de ces grandes silhouettes de marbres, peut-être quelques répliques mais elle s’abandonne souvent devant la même figure, trouve toujours le même banc, venant à une heure où les visiteurs sont bien rares, peu importe si cela veut dire que les portes, bientôt se fermeront, elle aime le calme qui habite l’immense pièce au haut plafond. Tache pourpre, elle s’est revêtue d’un rouge provoquant, les résilles saignant les cuisses pâles où sillonnent quelques veines bleutées, l’intérieur d’une cuisse cachant l’inéluctable brûlure des St-Clair, toutes femmes de la fratrie se voyant marquée par le fer rouge du symbole mystique que représente leur nom qui n’a plus rien de clair ou d’immaculé. Toutes les femmes se châtient, se protègent, s’élèvent, se flagellent, exigent l’excellence, torturent leurs propres enfants, assassinent ou délaissent leurs enfants masculins, avortent lorsqu’il le faut, semblable à une époque féodale où il fallait tuer les filles pour garder un avenir assuré. Pas chez eux. Pas chez les St-Clair où tout semble tenir sur les épaules des femmes, où l’on crache sur les hommes et leurs désirs immondes, leurs viles pulsions qu’ils ne savent retenir, leurs dominations qu’il faut, à tout prix, écraser. Alors il serait mentir que de dire qu’elle n’a pas voulu rugir contre la silhouette bien fine qu’elle a perçut entrer du coin de l’œil dans la pièce illuminée, qu’elle a croisé il y a longtemps déjà. Il n’y a eut que leurs regards pour se parler, quelques fois, lorsque la fausse timidité ne les rongeait pas, lorsque le jeune homme sans nom ne se laissait pas aller dans ce qu’il esquissait sur sa feuille blanche, lorsqu’il ne fuyait pas carrément la pièce quand ce n’était pas elle, agacée, troublée, qui déboulait loin de la pièce où les sculptures, statues ou bustes s’amoncellent comme un grenier bien entretenu.

Les jambes étendues devant elle, elle se fait courtisane pour l’artiste qu’elle pense qu’il est, se joue de ce fusain qu’elle voit parfois gratter l’écorce, laissant venir ses longues mèches noires sur une épaule couverte, dévoilant le creux de son cou que rien ne tache, si ce n’est quelques baisers discrets que l’on appelle grains de beautés. Elle n’ose le regard, elle n’ose qu’à peine bouger, comme si elle se faisait modèle, la Rose d’un Jack qui ne se dénudera pas, faisant mine d’être la plus à l’aise possible, admirant la statue d’un ange aux ailes éclatées, le sourire presque au bout des lèvres, le cœur paisible. Quelques fois, dans la même heure, cette idée d’être sous l’œil de l’artiste la fait divaguer, la détend, la rend presque heureuse, elle, qui n’en a jamais connu la saveur ni vu la couleur. Elle n’en connait que le mirage au travers des livres lus. Il doit ignorer qu’elle n’est pas faite pour être peinte ou dessinée, qu’elle ne mérite rien. Tybalt le lui a dit : laide. Laide, elle l’est belle et bien. Hideuse de l’intérieur, rongée par la vermine de sa furie, de ses excès de violence, de ses tourments intérieurs qui sont bien sombres, peu semblables à quiconque. Il devrait être aveugle, indifférent à sa présence, comme tous ceux qu’elle a un jour croisé. Si elle a su perdre le voile discret de son innocence ce n’est qu’en attirant le Diable dans sa couche et en le laissant la martyriser jusqu’à la persuader qu’elle adorait cela, si elle a su attirer quelques clients jusqu’à elle lorsqu’elle se devait de payer loyer et factures, ce n’était que parce qu’elle a l’art d’attirer à elle ceux qui semblent fasciner par les gens ordinaires et le sombre. Comme des moustiques viendraient se déposer là où ils finiront par se brûler, masochistes à l’extrême ou idiots. Peut-être les deux.

Toi, qu’es-tu ?
Idiot ou maso ?
Tu ne sais pas encore que tu aurais pu trouver un plus bel ange que moi.


Alors elle ose, elle ose détourner la tête vers lui, planter les poignards d’onyx dans son regard, sa main habile aux phalanges bien fines qu’elle a eu le temps elle-même d’étudier, lui serrant la gorge, laminer une autre feuille d’elle ne sait quoi encore. D’elle ? Un rire amer manque de la secouer alors qu’elle se lasse de jouer avec lui, qu’elle se lasse du silence qui les enlace, qu’elle se lasse de se prélasser ainsi sans rien dire. Le mouvement est sec et brutal lorsqu’elle se relève faisant sursauter quelques passants venant à peine de se déposer près d’elle sur un banc quand d’autres sont bien libres. Elle les ignore et ses mêmes chaussures usées jurant avec le rouge qui moule un corps aux formes parfois timorées, elle s’avance, guerrière, lèvres nerveuses, la joue caressée par les mèches repoussées sur cette épaule réchauffée par la toison longue et sombre qui recouvre même un sein qu’il ne saura voir. La veste en cuir au bout de ses phalanges, elle s’avance de quelques pas encore, se sentant aussi stupide que les enfants venus parler à un garçon qui ne pourrait que lui recracher son mépris, elle l’a déjà bien connu lorsqu’il fallait bien étudier au lycée, dans ces grands selfs où la populace côtoie les populaires sous le prétexte de leurs noms et rien de plus.

« Arrête ça. » lâche-t-elle de sa voix tuméfiée par les clopes et la gravité, la lassitude surtout, une sempiternelle fatigue qui erre même dans sa posture et dans ses yeux sombres, mise en valeur par les lumières blanches au-dessus d’eux. Abaissant ses prunelles sur le calepin sur lequel il bave elle ne sait quoi, elle tend la main, paume vers le ciel, ses ongles au vernis écaillé, soulignant sa misère, froide quand elle aimerait tant jouer à la fille normale, sourire et rire, plaisanter comme dans ces films stupides où l’un et l’autre se rencontrent, tombent amoureux, se désirent du regard, s’aiment puis finissent par vivre ensemble. Ce n’est pas ce qu’elle lui offrira, ce n’est pas ce que les esprits veulent pour elle. S’il faut le maudire, peut-être le fera-t-elle mais la douceur émanent de lui lui serre la gorge davantage maintenant qu’elle le voit de plus près, des cheveux ondulés, à la peau quelque peu tannée, examinant les creux et les pleins, sentant le parfum de l’homme venir murmurer jusqu’à son nez; Craintive, elle recule avant de soupirer « Fais moi voir. J’suis certaine que tu m’embellis beaucoup trop. » Et la tête se secoue, comme si elle le méprisait quand elle se questionne sérieusement, incapable de se croire méritante d’une telle attention « Tu perds ton temps, tu sais ? Y’a mieux à dessiner ici. Genre les statues ou j’sais pas … une autre femme, un type qui passe mais moi ? » Elle entrouvre les lèvres, se voit devenir muette, secouant la tête sans comprendre, soufflant son incompréhension dans un soupire sec, la main toujours tendue, le corps agité des frissons qui agitent ceux qui viennent de quitter le cocon de leur zone de confort.    


(c) corvidae
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Message Sujet: Re: the dreamers — Sahel   the dreamers — Sahel Empty Lun 28 Déc - 18:58


{ the dreamers }
☾ w/@Imra St-Clair
Le myocarde au bord du désespoir,
ces iris noirâtres tout aussi éprises
et ces pas dans une hâte se précipitent.

Cela fait des mois.
Des mois qu’il l’attend, l’espère et tente de se remémorer.
De ces détails à l’abîme mystique,
de ces traits sortant tout droit d’un récit fantasmagorique.

Rendez-vous hebdomadaire ou rendez-vous éphémère, il ne sait plus. C’est ici qu’il l’a vu pour la première fois, tout de noir vêtue. A l’ombre d’un projecteur et de ces ailes déployées qu’arborait cette divine statue de plâtre blanchâtre et froide. Et son imaginaire aurait certainement dû rester sur cet art antique et pourtant, il en oublia sa présence un en battement de cils. Sûrement le sien. Ses pupilles l’avaient arraché à cet art sacré qu’il était venu chercher par ici. Il y avait passé du temps, virevoltant entre ces silhouettes, retraçant chaque courbe et se demandant laquelle d’entre elles serait souillé par la pulpe de ses doigts. Cet esprit malin en viendrait au bout de ces airs purs et délicats délicatement sculptés dans le marbre afin de les faire devenir ce fruit autant convoité qu’illégal. Il n’était ici question que de satisfaire. De plaire à ces hommes les mieux chaussés, à ces souverains des libertés, perchés sur ces trônes de glaises. Et pourtant, seul roi de ce musée est Sahel. Prêt à tout pour assoupir cette soif de pouvoir et de libertés incongrues. Prince à l’identité inconnue et aux nobles pensées. C’est dans cette spirale frauduleuse que ses pas arpentaient les galeries parfaitement meublées. Seul le travail n’embrumait cet esprit limpide mais c’était bien avant. Bien avant de l’apercevoir. Bien avant de projeter tout ce désir sans pareil sur celle dont il ne connaissait pas même le nom. Il l’a nommé, renommé et inventé de toute part grâce à cette simple rencontre. Si ce ne fut pour Aphrodite, Persephone ou bien même Olympe qu’il se pencha, il ne put s’empêcher de l’assortir à ces histoires aussi mythologiques soient-elles. Une déesse ? Probablement pas mais une chose était bien plus certaine ; il crevait d’envie de chérir le papier de ses traits. Et c’est ce qu’il fit. Durant des mois. Au fusain tout d’abord, puis au crayon et puis, il la reproduit même dans cet art qui est le sien ; la sculpture. A l’allure d’un plâtre pieux, il retranscrit ce regard âpre dans cette argile bien moins commode. Déesse, elle n’était pas, c’était certain. Mais aguicheuse de son génie, c’était pour sûr. Elle n’était là rien d’autre qu’un éclair d’invention, d’imagination et de fantasque allégorie. Ce n’est ni d’Eve, ni d’Adam qu’il la connaissait et pourtant, il aurait pu rester là, des heures durant, à l’attendre, seulement pour pouvoir l’admirer quelques instants.

Chimère de ses nuits,
doux oracle de ses vies.

Où es-tu ?
M’as-tu entendu durant tout ce temps ?
Seule prisonnière de mon génie, je t’attends.


Et c’est là, en relevant le regard le temps d’un court instant, qu’il la distingua. De ce rouge criard, de ce rouge perçant, en parfait contraste de ces arts opalescents qu’elle fit son apparition. Sur ce même banc, qu’elle occupait des mois auparavant, il l’attrapa dans un geste brusque et pourtant si léger. Son calepin. Et ses doigts se hâtèrent, son fusain s’écrasant sur ce papier grainé, son coeur palpitant sous l’ardente impulsion de son excitation. Elle était là. Après des mois d’attente, de questions. Sa muse. Celle qui avait éveillé son esprit durant des nuits entières, à se demander s’il ne s’agissait dorénavant que d’un simple souvenir ou non. Et ses traits se précipitent, autant que son doigt estompe ces ombres qui l’entourent. Et puis, alors qu’il relève à nouveau son regard d’opale, il la voit s’approcher. Son coeur se serrant davantage à chaque pas qu’elle effectue, il doute. De tout et de rien à la fois. De son talent, de son droit et de sa place au sein même de ce musée. Il n’y avait certainement jamais pensé. Oeuvre d’art protégée qu’on ne peut toucher, il n’était en rien question d’une réelle connaissance. Mais à présent, tout se mêle à mesure qu’elle approche. Doux mélange d’Aphrodite et d’Athéna, il se meurt de ce sourire qui pend sur ses propres lèvres. A l’instar d’un Dieu, il l’observe, aussi près que jamais. Ces détails qu’il avait tant l’habitude de dépeindre sur ses feuilles devenant bien moins abstraits, ces iris sépulcrales dans lesquelles il n’avait encore jamais rêvé de se plonger le surplombaient maintenant, tout autant que sa voix rauque qu’il entendit pour la première fois.

« Arrêter quoi ? » demanda-t-il de cette voix presque matinale, ce fusain positionné entre deux doigts à l’image d’une cigarette déjà bien consumée. Mais il savait ce qu’elle voulait dire. Elle l’avait observé, elle aussi. Elle l’avait pris sur le fait. Et tel un imbécile, voilà qu’il jouait les innocents, refermant ce calepin d’un geste abrupt, refusant indéniablement qu’on puisse admirer ce travail à peine terminé qu’il avait produit. Malgré cette envie fulminante de se détacher d’elle, il n’y parvint pas. Pas même un instant. Absorbé de cette aura au mysticisme impénétrable, il se veut la dessiner, encore et encore, à en perdre l’usage de ses doigts, à en perdre l’esprit. Enième homme à ses pieds, il en est persuadé. Innocence gâchée d’une vie saccagée, certes. Mais l’innocence quant à son reflet ne se peut être effacée ; assommante harmonie et l’éternelle ombre du sort semblent s’être éprises d’elle, presque autant qu’il l’est de sa beauté. Alors il se lève, sûrement pour être à sa hauteur. « J’avais aucune intention de te gêner avec mes dessins mais je crois que les natures mortes ont fait fuir mon inspiration, contrairement à toi. »

Je t’attendais.
Depuis si longtemps.
S’il te plaît, ne m’en veux pas.


Lui montrer son travail lui sembla être une idée impensable. Il ne pouvait se résigner à lui ouvrir ce carnet, regorgeant de secrets, de ses dessins les plus sombres, les plus inspirés. Ce qui le dérangeait le plus, sûrement, devait être de la laisser ouvrir cette boîte de Pandore. Ce trésor qui ne représentait qu’elle. De toutes ses formes, de toutes ses postures et de tous ses états d’âme. Ce travail, aussi minutieux, soit-il, allait être exposé à celle qu’il ne le souhaitait pas et pourtant, il le devait. Il avait passé des heures à la représenter et maintenant qu’elle ordonnait d’y jeter un oeil, il ne pouvait refuser. Alors il lui tendit ses chefs d’oeuvres, là, où sur chaque nouvelle page, se cachait une nouvelle facette de son allure. « J’ai pas envie de dessiner autre chose. » lâcha-t-il de cet accent prononcé, dansant, aux allures de sable chaud et d’intense poésie. La douceur se mêlant à ce timbre de voix obscur. Et il aurait aimé lui dire que cela faisait des mois qu'il passait ses journées sur ce banc, à l'attendre mais ils ne connaissaient pas et l'envie de lui faire fuire n'était pas dans ses projets. Parce qu’il l’avait retrouvé. Après des mois de désespoir à arpenter le musée, dont la simple pensée de la revoir lui faisait hisser le poil. Et il avait envie de savoir. Tout. Son nom, son histoire. Mais en un éclair, elle était passée de simple muse, ignorante de ce halo extatique à juge inébranlable de ses ébauches.

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Message Sujet: Re: the dreamers — Sahel   the dreamers — Sahel Empty Lun 8 Mar - 17:18


the dreamers

Joues-tu les idiots de tes jolis yeux de rêveur ?
Te joues-tu de moi, qui n’ait rien à t’offrir de plus que le malheur ?


Elle observe ce temps d’arrêt du corps, cette pose que lui même prend, digne d’un penseur, d’une sculpture à la poitrine agitée par le sifflement d’une inspiration silencieuse. Et elle le regarde avec les yeux d’une artiste qu’elle n’est même pas, ne sachant qu’à peine tenir un pinceau, ses délires de fausse peintre perdus dans l’oubli depuis longtemps, faite pour maudire les silhouettes qui viennent se déposer devant l’autel de sa table où elle se fait tisseuse d’avenir, de sa langue au longs fils noirs, elle brode des prémonitions parfois peu tendres, d’autrefois aussi niaises que semblent l’être le client qui se présente à elle, une vile putain s’adaptant aux désirs qui semblent se dessiner devant elle. Il ignore que face à lui il a bien quelqu’un qui ne mérite pas la perte de ce temps précieux à esquisser des traits qu’elle a toujours trouvé disgracieux mais dont elle a accepté la laideur assemblée. Il n’y a que ses cheveux et quelques détails qu’elle apprécie, rien, autrement, ne lui dit qu’il y a de quoi être désirée même platoniquement et encore moins par lui qu’elle n’a pas vu trainer sur le banc de ce musée depuis des lustres. Où était-il alors ? Et l’intrigue l’agace car il n’est rien qu’une ombre qui devrait passer sans qu’elle ne le remarque. Sauf que l’audace de son regard sur elle a souvent failli la faire sourire, l’a poussé, comme aujourd’hui, à presque poser pour ce qu’il reverrait du bout de son fusain. Qu’est-ce qu’il voit de si beau chez elle pour en souillé le papier ? La bête l’observe, de cet air qui ne se froisse quasi jamais d’émotions, comme de la glace ne fondant pas. Même ses sourires sont des injures, semblent craquelé le masque destiné à faire fuir n’importe qui. Elle n’est rien d’autre qu’une anomalie errant dans le monde des vivants, une briseuse de charmes et une tisseuse d’avenir.

Elle hausse un sourcil à sa question qui semble vouloir la prendre pour la première simplette du coin. Ils savent. Ils savent depuis le premier instant ce qu’ils sont l’un pour l’autre malgré leurs noms méconnus, malgré leurs visages qui n’ont jamais rien fait d’autres que se toiser de loin. C’est comme un rendez-vous silencieux qui promet une histoire digne d’un film d’auteur, comme un scénario déjà écrit qui dirait que la fin sera peut-être tragique si l’auteur l’a choisi, comme un vieux poème dessinant les regards noirs qui s’esquivent, comme la sensualité naissante d’un peintre ayant trouvé sa muse, disant qu’elle l’aime sans le dire, disant qu’il l’aime sans le dire mais pas comme on aime dans les romans, pas comme on aime, pas comme on désire normalement. C’est tout un monde d’art, d’une solitude comblée qui s’est offert à eux et elle ose briser cette promesse inscrite dans le marbre des jours passés ici qui disait qu’ils n’auraient jamais dû se parler, jamais. Jamais elle n’aurait dû se lever, elle, si pleine de couleur d’un coup alors qu’elle n’est souvent habillé que de noir, provocante pour attirer ses yeux, espérant qu’il soit là lorsqu’elle a pénétré plus tôt dans l’enceinte du musée. « T'sais très bien quoi. » On pourrait croire qu’elle veut l’attirer, son timbre de velours, un pas après l’autre, une note en suivant une autre, charmante apparition qui élève encore sa main pour qu’il lui montre son œuvre. Elle cille alors, les paupières balbutient à la place de ses lèvres, sans comprendre, un silence de quelques secondes s’étendant dans la haute pièce pâle qui les entoure, d’une pureté magnifique mais empestant les vieilleries qu’on y surveille et qu’elle contemple. « J’ai autant d’charme qu’une pomme posée sur une table. Qu’est-ce que tu m’trouves d’plus ? » Sans agressivité, la voilà curieuse, la voilà intriguée par ce qu’il lui dit, par ce qu’il lui fait sentir, le décrivant sous ses grands yeux sombres, entendant les échos d’une langue d’ailleurs dans l’anglais vacillant. Ca écorcherait les oreilles de sa mère qui ne supporte qu’à peine la peau tannée de ces autres, des nègres s’étant installé sur les terres américaines et Imra a abandonné depuis longtemps l’envie de lui dire qu’ils étaient là bien avant, que ce sont elles, les colonisateurs. Comme elle vient coloniser l’esprit de cet artiste dont elle ne sait rien si ce n’est qu’il n’est pas laid à observer lorsqu’il se concentre, qu’elle aime ses yeux qui valsent de sa feuille à elle depuis un temps infini, qu’elle aime le mouvement même de ses mains sur le papier où il grave elle ne sait quoi. Qu’elle aimerait lui avouer qu’il lui fait traverser bien des émotions depuis le premier temps de leur rencontre muette.

Elle voit son hésitation, cette réserve qui pourrait l’attendrir et parvient à faire naître l’ombre d’un sourire au coin de ses lèvres, pleine de sang comme elle l’a toujours été, maniant la vie et ses doigts alors attrape les croquis qu’il a passé du temps à esquisser de ces gestes qu’elle pourrait répéter tant elle l’a vu faire, peu certaine que cela donne des brouillons désastreux que la beauté de ce qu’elle découvre, le fantôme de son sourire mourant en un seul coup d’œil. Il parvient à faire ce que peu pourrait se vanter d’avoir réussi à faire naître en elle. Il la trouble de ce qu’elle voit, de ce qu’elle perçoit, de la beauté saisissante et si elle demeure figée, blêmissant peu à peu, gorge serrée, elle retrousse les pages, encore et encore dans un charivari désordonné, se voyant sous tant de formes, sous tant de profils et quelque chose en elle se fissure, ce calme lié à cette vie bien noire qu’elle a vécu jusqu’ici. Il l’a saisie. Il l’a saisie comme une photo pourrait le faire, il n’a épargné aucun de ses défauts sans appuyer dessus, il l'a saisi dans ce qu’elle aime d’elle et ce qu’elle hait, il l’a vu, parfois souillé par la pluie, parfois plus triste, parfois colère, parfois désir après une nuit de stupre qui s’oublie vite, parfois même souriante pour une pensée qu'elle déjà oubliée. Il l’a vu tant de fois et au fil des esquisses qui défilent sous son regard comme une toile se mettrait à bouger, elle recule, offre toute son humanité à sa vue, l’entendant de loin, comme un sifflement lointain, comme une voix perçant un long brouillard après une implosion. Car quelque chose se fêle en se découvrant ainsi. Lentement, elle élève ses yeux vers lui, l’écho de ses dernières palabres résonnant entre eux, dans cette immense pièce où elle étouffe alors. C’est comme ouvrir le cœur d’un artiste, c’est comme découvrir ses secrets et ses pensées, cette folie qui n’appartient qu’à eux et qu’elle ne pourrait se vanter de comprendre totalement. « Qui es-tu ? » Elle le soupire, saisi par ce qu’elle vient de voir et elle enserre le carnet comme si, désormais, il devait lui appartenir, osant abaisser ses yeux sur un dessin où elle était alors pleine de pluie, pleurant sans qu’aucune larme ne vienne sur ses joues rosées par l’effort d’avoir couru pour se protéger des caprices du ciel, la pulpe de ses doigts venant épouser son profil, les cheveux filasses, s’abreuvant de ce qui ne peut être elle mais n’est pas un mensonge. Ses cheveux secs aujourd’hui glissent le long de sa joue ronde, leurs pointes tombant comme mille pinceaux sur le papier avant d’élever à nouveau le regard, fermant le calepin d’un coup sec, d’un coup rageur le lui renvoyant sans prévenir, s’éloignant d’un pas. « Il faut que t’arrêtes. Arrête d’me dessiner ou d’faire … je ne sais quoi avec ton fusain. Va ... Va t'trouver un autre putain de modèle au lieu de t'foutre de moi. » C’est comme si l’enfant qu’on avait traité d’horrible sorcière, laide et fade toute sa vie, venait de faire face à quelqu’un lui jouant le plus mauvais des tours. Elle le voit comme un ensorceleur, comme quelqu’un qui ne devrait même pas être. Est-ce un esprit qui le lui envoie ? Un djinn car l’accent lui rappelle le sable des déserts d’Egypte mais elle n’y connait rien et se refuse à se réchauffer contre son timbre.

Pour la première fois depuis longtemps, depuis trop longtemps, elle repousse les mèches qui barrent son visage derrière son oreille, nerveuse, secouant la tête « Qu’est-ce que tu veux ? Qu’est-ce que tu cherches en f’sant ça ? Me baiser ? Pas besoin de passer par les dessins, c’est passé d’mode. » Bien sûr, le fiel ne peut que revenir errer sur le bout de sa langue, que cracher son venin pour se protéger des hommes, de l’aura masculine et pourtant insaisissable, il n’est pas comme les autres, il est un Autre, il est de ceux qui pourraient lui faire mal. Il dégage même une pureté qu’elle ne comprend pas, une pureté qu’elle aimerait déchirer entre ses doigts pour qu’il comprenne qu’il aurait dû se contenter d’esquisser les traits d’une infâme gargouille, d’une Méduse, d’un Prince Démon dont les cornes et la queue rappelleraient le Diable, Seigneur de l’Enfer. « Tu perds ton temps. » Voilà l’épilogue et elle déteste ce qui tremble chez elle, ce qui glaviote dans sa gorge et avoue qu’il a réussi à percer la peau morte entre elle et le monde, à détruire un peu de cette morne sérénité rappelant la déprime qui vient avec l’hiver et le deuil. Il a fait fleurir les premiers bourgeons d’un trouble purement humain sous sa poitrine et elle déteste le plaisir secret retiré de s’être vu au travers des yeux d’un autre.

Qui es-tu ?
Qui es-tu pour oser me faire sourire ?
Qui es-tu pour oser me donner envie de m’habiller de couleurs ?
Qui es-tu pour me faire sortir, parfois, pour rien, simplement pour t’attendre ici ?
Qui es tu que je te maudisse et que plus jamais tu ne viennes tenter de me faire espérer ?
Car l’espoir tue, ne le sais-tu pas ?
Car je ne laisserai personne m’achever, je te l’apprendrai bien assez tôt.



(c) corvidae
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Message Sujet: Re: the dreamers — Sahel   the dreamers — Sahel Empty Dim 14 Mar - 19:54


{ the dreamers }
☾ w/@Imra St-Clair

Pourquoi me renvoies-tu tant de désarroi,

Moi qui n’ait voulu que ton éclat ?

Là, devant lui, le spectre de ses désirs s’acharnant sur ses esquisses et sur ce sort qu’il réserve à ce papier grainé. De son regard fiévreux, devant inspirateur avant de devenir chef d’oeuvre, il ne pouvait s’empêcher de l’admirer, de la contempler. Son esprit en effervescence devant tant de possibilité, devant tant de traits se dessinant dès lors que les mots trépassent ses lèvres. Pourvoyeur de son talent, elle ne semble prendre conscience de l’image qu’elle dégage, de cette énigme à échelle humaine qu’elle parait porter, à bout de bras. L’image insolente d’une muse jouissant de ces esquisses s’efface pourtant peu à peu pour ne laisser que le doute s’installer en lui. Il sait ce qu’il a vu, durant des mois à l’observer du coin de l’oeil, sous toutes ces moues qu’elle arpentent, sous toutes ces expressions aussi sombres puissent-elles être, il la dessine, sans relâche, sans sécheresse d’inspiration. Parce que sous chaque nouveau qu’elle habite, une nouvelle figure se désinhibe. De ses iris mortelles et intenses, il en dessine des éclats et de ses traits quelque peu bruts, il en parvient à en faire des délices. Le fusain comme seule arme destructrice, il ne peut échapper à son venin, à ces regards qu’elle lui jette, lorsqu’elle le soupçonne d’un quelconque trait.

Et il n’attend que ça, chaque jour, à chaque nouveau lever du soleil. Il n’attend qu’elle, sur ce banc, qu’il pourra admirer le temps d’un instant au loin, le temps d’un éclair de génie. Mais il sait, qu’elle sait. Alors il la voit, se pavaner devant lui, afin de lui offrir ces angles qu’il dépeint sur son papier. Peut être fait-elle exprès, peut être n’est-elle pas au courant de ce qui se trame entre ses doigts mais il ne peut s’empêcher de se dire, qu’elle sait tout et qu’elle seule détient le pouvoir de le tenir en haleine. A mesure des jours, elle a fini par trouver cette place, au fond de lui, où chaque beau poème loge ; aux côtés des célèbres Rimbaud, Eluard et tant d’autres, elle se fraie un chemin sinueux, arrivant à cette place qu’elle ne saurait plus échapper. Au sein de son palpitant, entre le désir de la connaître et celui de la vénérer encore un peu plus, elle devient la poète la plus mystique qu’il ait pu lire. Et même si elle aurait voulu l’intimider de cette voix basse et de ces mots un peu brutaux, ses lèvres ne peuvent qu’esquisser ce sourire en coin. Bien sûr qu’il sait de quoi elle parle, bien sûr qu’il devrait arrêter de la reproduire mais sa raison lui dicte tout le contraire, tentant de laisser place à cette illumination qu’elle lui permet à chaque rencontre. Sous ses interrogations, il se trouve soudainement sans réponse ; il ne sait pas. Que lui trouve-t-il ? Est-ce ce mystère qu’elle arbore fièrement, cette aura planant au dessus d’elle qui lui permet de ressembler à une sorcière sortant tout droit d’un conte ou bien, est-ce l’image d’un ange déchue qui lui va à ravir ? Il ne saurait réponse clairement mais c’est sans appel que le combo de ces trois attraits bien particuliers lui font cette chaleur intense en lui, cette chaleur symbole iconique de la fièvre artistique. « Tu ne le vois donc vraiment pas ? » demanda-t-il de son sourire chaleureux, de ce sourire harmonieux. « Si toutes les pommes te ressemblaient, je crois que mon carnet en serait rempli. », ose-t-il avouer d’une voix basse, ses iris incapables de la quitter du regard. Et de ses pupilles noirâtres, il se voit la dessiner, encore et encore, afin d’en créer toute une collection, de portraits, d’esquisses, de surréalisme… Sous le charme d’une tentatrice encore méconnue, il ne cesse de vouloir la comparer à ces divinités éternelles qu’on lit dans les romans. Héroïne de fiction, héroïne de son propre coeur, elle détient le parfait secret d’une fantaisie débordante.


Dis-moi qui tu es et je nommerai chaque merveille par ton nom,
Dis-moi tes secrets et je les garderai entre mes tréfonds,
Murmure-moi tes désirs et je n’en ferai que des réalités,
Murmure-moi tes peurs et je les détruirai.


Le modèle de ses oeuvres devenant à présent seule juge de celles-ci, une inquiétude le gagne. La peur de la décevoir, de n’apercevoir qu’un rire se dessiner sur ses lèvres en guise de réaction le gagne peu à peu. Alors son regard la fuit, préférant de loin, poser ses pupilles sur cette sculpture qu’ils ont bien trop l’habitude d’observer. Chef d’oeuvre qui ne saurait juger son propre travail et qui ne saurait détourner le regard devant celui qu’il lui porte. Ses pensées se veulent alors vagues, se refusant d’apercevoir une once de vérité dans le regard de celle qu’il admire depuis tant de temps. Et il espère. Il espère tant lui plaire par ce fou travail d’observation, il espère tant lui ouvrir ce regard ténébreux pour n’apercevoir une touche de gaieté. Mais tout ce qu’il voit en relevant ses yeux vers elle, c’est cette confusion, ces émotions qui passent devant ses iris une à une pour ne laisser qu’un arrière goût d’incompréhension. Et ce carnet s’échappe l’un de ses secrets qui tente à tout prix de se transmettre. Un secret à la lisière d’un partage des plus sincères. De ces dessins s’ouvrent lentement son coeur et son génie qu’il ne souhaite rendre visible en temps normal mais devant elle, sa garde s’abaisse, se laissant aller à cette image qu’elle a reflété durant des mois. Simple hologramme de ses désirs ou diablesse de ses aspirations, il ne saurait dire mais ce qu’il sait, c’est qu’elle ne peut renier ce lien qu’ils entretiennent au fil des regards et des ressentis trépassés. « Certains m’appellent Claudel. » Et ce fut ses seules paroles. Aurait-il dû lui donner son vrai nom ? En réalité, ce surnom que seuls ses coéquipiers lui donnaient, le rendait plus sûr de ses mots, se sentant légitime alors de ces oeuvres qu’il fournissait.

« Arrête d’me dessiner. » Non non, pas encore, pas maintenant. Laisse-moi te regarder encore un peu, laisse-moi t’imaginer le temps que mon fusain trace ton visage. Le temps que je ne recouvre de lumière à travers ces ténèbres que tu rejettes.

Mais il ne répond pas sous ces paroles qui se veulent agressives. Non, non, il n’arrêtera pas parce que la seule chose qu’il ressent, c’est cette hantise qu’elle lui échappe, qu’elle fuit son esprit éveillé, qu’elle fuit tout ce désastre qui se cache sous ses crayons. Artiste à la peur qu’elle ne disparaisse et que ce banc, devant lui, ne retrouve son éclat à jamais. Se fronçant légèrement, trahissant l’incompréhension totale dans laquelle elle le plonge, il lève sa paume de main, comme pour lui demander de s’arrêter ici, dans ce discours décousu et complètement incohérent. « Te baiser ?! Je sais pas pour qui tu me prends mais c’est pas du tout dans mes intentions. Je suis navré de t’avoir fait croire ça mais… » il s’arrêta, installant un léger silence, ne parvenant pas tout de suite à trouver les mots adéquats pour la rassurer, pour lui montrer qu’il n’est pas chasseur. « J’t’ai aperçu un jour, fixer cette sculpture que j’adore et même si j’étais parti pour la reproduire, elle, tout ce que j’ai pu faire, c’est te reproduire toi. T’es comme l’inspiration que je cherche sans arrêt. » Mais il sait que son discours peut paraître peu rassurant, peu flatteur pour lui-même et qu’il pourrait même la faire trembler, l’effrayer mais il ne sait comment lui dire autrement qu’avec ces mots. Elle est ce qui le maintient le plus à flots et il se refuserait de la terroriser, de passer pour un homme dont les désirs ne reposent que sur son talent. « J’voulais pas te faire peur. » et il reconnait. Unique proie de son inspiration, elle était. « Garde-les. Ils sont pour toi. » De cette rencontre, il n’en gardera que la flamme intérieure qu’elle a réveillé. Mais de ses mots, il n’en gardera que la piètre image qu’il a su rejeter. Et tout ce qu’il trouva à faire, ce fut de récupérer ses affaires et de lui adresser ce sourire à mi-chemin entre la gêne et le pardon. La laissant là, son carnet qu’il abandonna volontairement sur le banc où il était afin qu’elle puisse le récupérer et faire ce qu’elle voulait de ses esquisses.

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Message Sujet: Re: the dreamers — Sahel   the dreamers — Sahel Empty Mer 24 Mar - 11:45


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« Voir quoi ? » Sécheresse, l’aridité dans le ton l’agresse malgré elle, n’aimant point le sourire offert qui illumine le visage qu’elle n’a jamais vu d’aussi près. Il lui semble être de ces hommes bienheureux de vivre, des hommes des royaumes de lumière où elle n’eut jamais sa place. Il ne semble pas comprendre qu’elle n’a rien à apporter de plus que la nudité bien laide de sa profondeur humaine, de sa cruauté basique, sorcière de ce siècle ou d’un autre, elle n’est pas de celles qu’il aurait bien envie d’approcher pour jouer la bagatelle d’un flirt sans fond. Il lui semble pourtant être revenue à un temps d’avant où les dessins comme les lettres savaient exprimer les sentiments mieux que les paroles, mieux que les regards, à une époque où l’on savait encore se parler sans se toiser, s’aimer sans balbutier. Son regard le vrille, crépuscule où la nuit tombe et sombre dans la sienne, un instant figé où elle pourrait bien rougir de ce regard d’admirateur qu’il dépose sur elle. La sauvage n’en aime pas la douceur, la chaleur et il est bien le premier à parvenir à lui faire abaisser les yeux, faisant mine de retourner aux croquis qu’il esquisse depuis des mois, voir des années, se découvrant encore et encore, loin d’être vraiment laide. Mais la peur la transcende, refusant de croire à ce qu’elle perçoit, à ce qu’elle caresse de ses doigts vernis de sombre, ne se donnant pas la douceur du droit de se voir belle au travers des yeux d’autrui. Depuis toujours, elle fut celle qui n’était pas belle, qu’on traita comme la crasseuse de la cour d’école, que l’on éloigna en faisant mine de sentir une odeur pestilentielle sur elle pour se venger du nom qu’elle portait et porte encore. St-Clair, synonyme de maléfices, de crimes, de sang, rouillé par la souillure dont sa mère et ses ancêtres féminines l’imbibèrent. Elle en perpétua l’héritage en se cachant sous les apparats noirs de grandes robes trainantes, de ses cheveux qu’elle ne coupa pas jusqu’à que leurs points frôlent ses reins et que sa mère se décide à lui tirer les mèches pour les couper à la va vite, rageant de la voir négligée, se débrouillant pour paraître aussi maudite que les autres le murmuraient. C’est la voix de l’artiste qui la sort de sa transe de souvenirs, qui la fait élever son regard vers lu, cillant face à ce nom qui finit par laisser apparaître l’arrogance du doute en un sourcil haussé « Claudel hein ? Je me fiche de comment t’appellent les autres. Je veux savoir ton nom. Celui qu’tu portes vraiment. » Ou sinon tu ne sauras rien de moi, ou sinon je te priverai de mon image, de ma fausse beauté, de cette inspiration qui emplie les pages de ton carnet granulés. Je te ferai mal, peu importe le nom que tu porteras pour que tu ne puisses plus jamais me voir, me peindre ou m’esquisser jusque sous tes paupières tombantes.

Ses vaines menaces semblent inutiles, ne l’atteignant pas et elle découvre dans son expression l’affirmation d’une ténacité qui pourrait la faire sourire, l’enchanter et la charmer mais elle s’agace, hésitant à s’avancer avant d’entrouvrir les lèvres pour baver des insanités qui pourraient faire rougir les joues de ce visage particulier, beau sans vraiment l’être, elle lui trouve pourtant quelque chose, elle pourrait se laisser aller à l’inviter entre ses cuisses si c’est cela qu’il veut. Mais la main qui s’agite la détrompe, les mots qui viennent démontent ce qu’il semblait lui inspirer et elle élève à peine la tête, ne comprenant pas l’excuse. Personne n’a jamais été navré de la voir comme une putain potentielle qu’il serait bon culbuter dans un coin pour la délaisser pantoise ou frustrée, objet sexuelle qu’il faut bien ravir au sol et que les hommes font semblant d’aimer avant de se lasser. Elle le toise de sa froideur et de sa blase quand le cœur ne cesse de s’agiter, sa paume remontant discrètement contre sa poitrine comme pour le forcer à se taire, la douleur irradiant de sous l’épiderme chaud de cet être pourtant glacé par l’indifférence crasse. Il parle et sa voix l’enchante comme un poète qui aurait en lui le pouvoir de faire rimer les mots sans qu’elle ne le veuille vraiment. Elle sourcille, détournant à peine la tête vers la sculpture qu’elle-même s’était mise à admirer, comme ces tableaux dont on ne peut se lasser, comme des cocons visuels dans lesquels on se fond pour avoir l’impression, un bref instant, d’être heureux, que tout est possible et une fois sortie, tout implose, la lassitude reprend, la déprime et ses nuages noirs emplis de pluie reviennent dans l’esprit qui se morfond toujours.

Fou. Il doit être fou pour voir en elle quelqu’un qui pourrait inspirer autre chose que des insultes, qu’un mièvre désir qui s’estompe une fois l’acmé offert et la nervosité l’embrase, la poussant à lui rendre trop violemment les esquisses, la crainte de se découvrir stupidement lumineuse aux yeux d’un autre être, ne comprenant pas ce qui ploie dans la main qui décima ses traits hideux. Soufflé par le sourire qui veut s’excuser, timide et humain, elle se voit percuter par un respect qu’on ne lui offrit jamais, la gorge serrée, reculant lorsqu’il lui passe devant, observant un instant le carnet abandonné. Détournant les yeux vers le chemin emprunté par la silhouette longiligne, aussi maigre que la sienne, elle s’empresse d’attraper le présent dont elle ne veut pas pour presser le pas de ses bottes vernis et écaillées, les jupons pourpre de sa robe flottant autour de sa croupe prête à être devinée si elle se penchait bien trop, provocante malgré elle, laissant ses cheveux caresser une joue qu’elle sent échauffée par sa propre gêne. Sa main se tend et l’attrape par le coude, l’enserre avec une force que nulle ne pourrait soupçonner, n’ayant jamais laissé la chance à quiconque de lui échapper. « Pas si vite. » Secouant le carnet entre eux, elle cherche à fondre son regard d’acier dans le sien, à trouver un mensonge, une preuve d’une manipulation quelconque « Qu’est-ce que tu veux en échange ? Y’a rien d’gratuit dans la vie. Et qu’est-ce que … » Un instant, elle perd ses mots, sa voix pleine de velours et craquelantes parfois se taisant pour mieux revenir, se fichant du premier contact qui vient entre eux par ce coude saisit, pieuvre noire enroulant sa tentacule autour de lui pour qu’il ne puisse pas la fuir tout de suite « Qu’est-ce que tu veux que j’foute de ça ? » Détournant les yeux, se découvrant faiblarde face à ces yeux qui l’ont si longuement scrutés, mais de loin jamais d’aussi près, elle se détache, délie sa poigne phalange après phalange dans une caresse involontaire « Tu m’as pas fait peur, détends toi. J’suis juste … » Ses bras se croisent sur sa poitrine, en une posture de timidité inavouable, de malaise palpable, abaissant la tête pour déclamer dans un soupir discret « C’était beau. C’est beau ce que tu fais. » Les compliments lui tordent la langue, elle, qui a tant l'habitude de rabaisser que d'élever. Son regard oscille, hésite, observe sa tenue, ses jambes, ses hanches jusqu’à l’abdomen avant de revenir rapidement à son visage, croisant ses propres jambes entre elles, comme une sale gosse ne comprenant pas ce qu’on lui trouve « Mais j’suis pas l’bon modèle. J’suis … J’ai pas l’habitude de tout ça. » Elle se détourne à peine, regardant la pièce qui est presque devenue la leur au fil du temps, tombant sur la sculpture qu’ils observaient à deux avant qu’elle ne devienne celle que le sculpteur veuille voir prendre vie sous son fusain « Elle me rassure. Elle me rend bêtement heureuse alors que j’en suis incapable. » Un sourire s’esquisse, discret, à peine un trait léger sur ses lèvres mutines, lui offrant son profil « Je t’ai vu. Je t’ai souvent vu me regarder, prendre ton carnet et te mettre à dessiner sporadiquement comme si t’étais … en pleine transe. » Retrouvant ses yeux elle le cille, le fixe en un silence qui ne la gêne pas tant que ça, les échos des voix des visiteurs se rapprochant lentement, l’agaçant d’avance, comme s’ils étaient prêts à couper la première rencontre officielle entre elle, objet d’inspiration et lui, artiste ayant trouvé en elle une inspiration sans failles. « Tu te lasseras, tu sais ? De me dessiner. » Sa douceur étonnante se déploie du bout de ses lèvres, comme une déclaration mélancolique, digne d’un automne donnant envie de pleurer sur bien des souvenirs qui ne reviendront jamais avant d’ouvrir le carnet, tendant la main vers lui pour retrouver un crayon, hésitante avant que la mine n’esquisse quelques numéros sur le bas d’une page où son visage s’est figé mais semble bien vivant. Et au fil des secondes, les visiteurs se rapprochent, filent dans les couloirs, emplissent la salle qui était à eux, leur décor, leur pièce et la possessivité qui agite sa main et son visage la troublent plus encore. Elle aurait aimé que le silence demeure. Observant son numéro, elle sent son ventre rendre grâce à une osmose étrange, se parjurant en faisant l’idiote avant de s’avancer, plaquant contre son torse carnet et crayon, élevant son visage vers le sien en une provocation peu tendre « T’auras qu’à me dire ton prénom par message. Je suis sûre qu’on se reverra … Claudel. » Et elle murmure ce faux prénom comme pour le gémir, moqueuse et tentatrice, esquissant un sourire qui est le bon, celui de la déesse Hécate charmant les hommes qui croiseraient sa route, le fixant un instant de trop, jouant avec les nerfs sensible d’un jeune éphèbe qui lui semble encore bien vierge de la vie « Et j’espère que t’as aimé ma robe. J'l'avais mise pour toi. Et peut-être avec rien en-dessous. » Soufflant un rire, courtisane aux mots tranchants d’érotisme, elle se recule de quelques pas quand la foule les emporte, les sépare, se détournant pour lui offrir toute la vue sur son corps, sur ce jupon bataillant avec l’audace, l’incertaine nudité de la tendresse de ses reins, manquant à chaque pas de se découvrir et la voilà qui sourit d’avoir laissé sa propre trace en quelques numéros sur le bord d’un cahier, sortant, pour la première fois du grand musée grisée par un sentiment étrange, se fondant dans la foule, une tache pourpre qui se confond bien rapidement avec les couleurs vives ou ternes des manteaux ou des habits quelconques, se laissant avaler par la mer humaine pour se faire oublier, muse fuyant l’artiste, attendant qu’il la joigne pour lui donner ce nom qu’elle pourrait bien se laisser aller à prononcer.

Et dans le marbre, viendras-tu me graver ?
Et dans la terre, viendras-tu me modeler ?
Et sur la toile, viendras-tu me dépeindre ?
Moi qui ne suis pas mieux qu'un fruit flétrit,
Je me suis vu belle et désirable,
Je me suis vu humaine et aimable,
Sous ton fusain me voilà douce,
Tentée de m'étendre pour me laisser éprendre
par ton insatiable inspiration.



(c) corvidae
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