(wp #15) / vi stygian

Citation :

tu regardes tes mains tâchées de sang et recules finalement d'un pas pour t'éloigner de ce corps qui gît à tes pieds. "je suis désolée, je t'aime. je suis désolée". tu murmures tandis que les larmes perlent le long de tes joues.

La Faucheuse l'enserre de ses bras cadavériques et embrasse son front encore chaud de cette vie volée, ne faisant bientôt plus qu'un avec cet être qui n'est plus et annihilant les restes d'une âme qui se bat pour ne pas être effacée. Les jambes de Vi lâchent et son corps se fracasse sur le sol froid de son appartement, à l'instar du couteau de cuisine déjà abandonné au milieu des taches de sang sur son parquet. You knew I'd come back for you, baby. Elle le savait. Elle l'a toujours su, hantée par ses prunelles obscures à l'autre bout du pays, dans ses rêves cauchemardesques où ses doigts pressaient son cou jusqu'à l'asphyxie, où elle l'entendait murmurer des mots d'amour à son oreille tandis qu'il l'arrachait à cette vie qui n'avait pourtant commencé que lorsque sa main avait attrapé la sienne, que ses lèvres s'étaient posés à son front comme celles d'un père, que sa voix avait résonné contre sa peau I'll always be there, Vi. Elle savait qu'il reviendrait, qu'il la retrouverait même à l'autre bout du monde, la ferait revenir à la vie pour la tuer de ses propres mains s'il le fallait. Inconsciemment, Vixen l'attendait. Elle l'avait attendu à Portland, puis ici, à quelques heures seulement de Five Points, si près et pourtant si loin, là où il a fait d'elle Vixen Stygian, sa Vi, la sienne, seulement la sienne. Elle le savait, mais elle n'avait pas imaginé le pendant, ni l'après, comme si cette seule pensée n'avait pas lieu d'être.

Il était beau, peut-être plus qu'il ne l'a jamais été, ses yeux acidifiants anéantissant les siens. Il était beau dans sa rage aveuglante. Il était beau jusque dans ses poings déposés comme les plus acides des baisers sur sa peau porcelaine, parsemées de cicatrices ici et là, certaines étant de ces cadeaux qui ne se refusent pas, de ceux qu'il avait offert avec amour, l'amour d'un père, l'amour d'une âme sœur trop longtemps cherchée, l'amour immaculé des films qu'Enis regardait dans la salle commune, son index et son majeur enfoncés dans sa gorge, prétendant se faire vomir sous le flux d'idioties sortant de l'écran, l'amour qu'elle réclamait en silence, dans les nuits les plus noires et les jours les plus gris. Are you surprised to see me? Il était beau au-dessus d'elle, ses doigts retenant son col pour l'approcher à lui. No. Qu'il était beau, Blaise, même quand les traits de son visage se tordaient sous la colère ou que ses yeux s'assombrissaient jusqu'à n'en devenir que deux billes d'un noir aussi profond que celui des nuits nuageuses et sans étoiles. À cet instant, Vixen aurait seulement voulu le retenir à elle, plonger son nez au creux de son épaule, attendre que sa main vienne caresser ses cheveux comme elle en avait l'habitude et l'écouter lui dire à quel point il l'aimait, à quel point il était fier de sa Vi, qu'il la protégerait toujours, au-delà de la mort et la brutale finalité de leurs deux existences. Please. Mais elle ne l'a pas fait parce que de son Blaise, ce soir, il ne restait rien, rien d'autre que la haine viscérale et le désir de tuer, tuer, tuer.

À genoux, son corps à seulement quelques mètres du sien, elle s'attend à ce qu'il se réveille. Elle s'attend à ce qu'il l'achève, que sa dernière vision soit ses prunelles autrefois si chaleureuses, que le dernier son qui lui parvienne soit celui de sa voix, qu'il lui crache qu'il la déteste ou qu'il lui répète I love you d'un ton enflammé par la rage. Sauf que Blaise ne se relève pas. Rationnellement, Vi aurait pu le savoir dès le moment où le couteau a transpercé la chair, mais la raison s'est envolée comme une poussière emportée par le vent. Elle a froid. Elle est gelée, à l'image de ce cadavre qui n'a plus assez de sang à laisser s'échapper sur le sol. Et dans un coin de sa tête, une voix lui hurle de s'en aller, mais elle reste. Vixen s'approche doucement de Blaise, ses mains attrapant son visage et l'obligeant à la fixer de ses iris sans vie. Elle caresse ses joues de ses doigts ensanglantés et étouffe un sanglot au creux de son cou. I'm sorry. C'était moi, moi, moi, pas toi qui devais mourir. Why did you hesitate, B? Elle relève la tête. Ses lèvres rencontrent le front refroidi du corps sur son parquet. Elle ferme les yeux, les rouvre, les plonge finalement dans les siens. C'est comme s'il était là sans l'être, comme s'il l'attendait dans l'ombre, là, quelque part, que ses bras l'attrapaient et le collaient à lui brutalement.

Il lui faut plusieurs minutes avant de se relever, encore plus pour prendre la décision de s'en aller. Les paupières de Blaise sont désormais fermées. Il semble dormir paisiblement entre le sang sur le parquet et le couteau qui y traîne encore. Vi sait que son ADN y est imprimé, qu'il ne faudra pas longtemps aux flics pour la retrouver, mais elle n'en a plus grand chose à faire. Elle attrape les clés de voiture de Blaise dans la poche de sa veste en cuir, ses doigts reposant quelques secondes sur son torse immobile. I'm sorry, Blaise. Un dernier regard comme pour imprimer ses traits, les garder éternellement dans son esprit. Ses pas sont lourds, mais jamais autant que son myocarde. La porte s'ouvre, elle s'éclipse, la referme et pose une dernière fois son front contre le bois craquelé.

I love you. I'm sorry.