(E L O U P) encre à l'amer

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j'en ai marre de faire semblant
j'en ai marre de faire comme si tout me glissait dessus
j'en peux plus d'entendre les sirènes
Même à travers le double vitrage
≡ e l o u p

Tu sais, les étoiles dans le ciel elles ne servent plus à rien depuis que tu m'as quitté
D'ailleurs, l'as-tu vraiment fait?
Tu ne me l'as jamais dit
Les autres, ils m'engueulent à aller chaque matin ouvrir la porte de l'entrée
Ils n'ont toujours pas compris que c'est parce que je t'attends.
ils n'ont toujours pas compris que chaque matin, tu viens te glisser dans mes bras
pour finir ta nuit
pour compter chaque étoile et faire un voeu à chaque filante

Sûrement que l'univers n'est pas plus au courant dans le fond
Parce que si tu l'as pas dit à haute voix, il ne peut pas le savoir
Tout comme moi
Alors, Stella ?

Encore un matin de plus à attendre. A attendre en regardant cette foutue porte qui reste fermée. (Je t'ai donné ma nouvelle adresse pourtant, non ?) C'est comme jeté une encre à l'amer, ça laisse un goût acrimonieux dans la bouche, ça donne envie de vomir des comètes et ça fait tourner la tête. Un peu comme la première fois qu'il l'avait rencontrée Stella, son esprit était parti droit dans les nuages, pour se frotter un peu à la douceur.
Maintenant, il dessine sur les murs du quartier dans les ombres ses démons de chaque nuit. Ses cauchemars qui ressurgissent, se rejouent, inlassablement. Alors il finit par chanter leurs hurlements dans la nuit, avec une bouteille à la main, le regard effacé, criant au loup, criant dans le vide. Sans s'apercevoir que ses larmes trempent dans son alcool. Dans le fond, qui est là pour le voir?
Pas toi, en tout cas.

Loup a peur parfois mais il sait qu'il peut courir plus vite que les monstres dans ses cauchemars. Alors ce soir, il court. Il court très vite. Il ne sait pas jusqu'où il va courir, jusqu'à ce que son coeur lâche peut-être? Jusqu'à ce qu'il se meure entre ses côtes? Parfois, il toque un peu sur sa cage thoracique, pour essayer de le surprendre, peut-être qu'il vit encore dedans, souvent il n'en est pas certain. Il pense qu'il a pris ses affaires, qu'il a fait ses valises, qu'il est parti avec Stella très loin, très haut, sommet insaisissable, une montagne d'orage, une montagne de pluie acide qui lui dévore les joues.
Alors Loup, il court toujours. Il essuie ses joues, se brûle les mains, comme si elles s'étaient transformé en volcan. Il s'arrête. Le bar. A croire que ses pieds sont réglés sur un GPS qui le commande. Se noyer. On lui a toujours répété que les problèmes savaient nager et que les comètes ne l'épargneraient pas plus mais il voulait bien courir le risque. Il jette sa bouteille. Rentre. Mardi soir. Peu de gens sont là. Il est tard. Etonnant.
Une jolie fille. Sur un tabouret. Il prend celui d'à côté. Fait semblant de ne pas l'avoir remarquée. Commande. Reçoit son verre. Robotisé.

- T'as pas peur toute seule ?

qu'il finit quand même par lâcher. Elle avait l'air ailleurs. Peut-être qu'elle aussi, elle a besoin de pommade pour les bleus du coeur. Peut-être qu'elle aussi, elle s'est égarée. Peut-être qu'elle aussi, elle a couru très fort, très vite, de toutes ses jambes, de tous ses pieds pour échapper à ses démons. Peut-être qu'elle aussi, elle fait des cauchemars.
Peut-être qu'elle aussi, elle recherche quelqu'un, quelque part.

Elles brillent dans ses pupilles.
La lumière bleutée et l’image pixélisée.
Ce soir elle est fatiguée Elea, épuisée par la répétition des gestes que le temps a rendu mécaniques. Ce soir elle fait tomber son tablier sur le sol carrelé, profite de l’absence du regard moralisateur de son patron pour prendre une pause bien plus longue qu'à l'accoutumé. Elea elle change ses habitudes, ne profite pas de la cour arrière du bar, préfère le tabouret inconfortable du bar, les coudes sur le comptoir et son esprit qui s’envole. Là-haut sur le toit du monde. Là-bas à observer les voisins dans un sourire mutin et amusé. Les petits points pas si innocents que ça. Les gentils points qui résistent comme elle.
Ce soir personne ne dira rien derrière les néons du bar du coin. Ce soir celui qui paye n’est pas là alors Elea elle s’échappe derrière l’écran de son téléphone, observe pour un temps la dernière photo prise. Un soupir qui s'échappe et lui semble résonner comme un écho contre les murs du bar. Dans son dos la salle anormalement vide l’enferme un peu plus. Pourtant elle n’étouffe pas Elea, pas encore. Au-dessus d’elle la pendule affiche l’heure tardive et elle, elle compte les minutes (heures ?) qui la séparent encore de l'errance tardive. Elle se laissera bercée par la mélodie des os que l’on craque si le sommeil veut bien d’elle. Elle montera toujours plus haut s’il refuse, comptera les étoiles.
Pour ne pas laisser la nostalgie venir à elle.
Elea elle murmure le nom de sa collègue de l’autre côté du comptoir, discute avec elle et n’entend pas les pas qui s’approchent toujours plus. Peut-être qu’elle se fera virer si le patron apprend qu’elle joue le rôle de la cliente au lieu de rester dans celui bien cantonné de la barmaid au sourire habituée. Mais elle s’en fiche Elea, s’amuse. Parce qu’elle au pire elle n’aura qu’à changer, ce sera pas la première fois. Alors quand sa collègue retourne servir les quelques personnes qui se confondent avec les meubles du bar, elle, elle reste accrochée au bois du comptoir, fais tinter ses bagues au rythme de la musique. Ne prête pas attention à la silhouette qui vient s’asseoir à côté d’elle, son esprit voguant déjà. Là où il fait plus beau. Se perd quelques secondes à dessiner les souvenirs oubliés de l’Angleterre. Sent ce quelque chose serrer son cœur. Mais il y a cette voix qui la ramène un peu trop brutalement sur la terre ferme, au milieu du Bronx, dans un bar un peu trop miteux.
Elle l’observe curieusement Elea, peut-être un peu trop, elle sait pas bien. Elle est drôle sa question qu’elle se répète en boucle. Pourtant elle se contente d’hausser les épaules, enchaine d’un J’devrai avoir peur de quoi à ton avis ? Elle veut toujours plus Elea, s’échapper toujours plus loin. Avec lui peut-être. Ca non plus elle sait pas bien, ne voit que le big bang de deux planètes qui se percutent. Pas de toi j’espère. C’est un sourire qui étire ses lippes, ses yeux fixés sur le visage qu’il lui offre. Il a l’air gentil lui.
Mais Elea elle n’a jamais su cerner les gens.

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j'en ai marre de faire semblant
j'en ai marre de faire comme si tout me glissait dessus
j'en peux plus d'entendre les sirènes
Même à travers le double vitrage
≡ e l o u p

Loup se voudrait chef de meute mais Loup n’est encore qu’un chiot, est plutôt aussi piquant que du houx et aussi résistant qu’un rafiot. Il est sûrement plus doué dans le rôle de l’araignée ourdissant sa toile, attendant patiemment sa proie pour l’enduire de gasoil mais qui tiendra alors le briquet qui fera tout sauter? Comment on fait pour
VIVRE
encore? Parce que poursuivre la mort, c’est comme une chute infinissable du haut d’un immeuble, c’est comme être un ballon qui menace à tout moment de s’éclater avant de prendre son envol. Que des instants noyés dans sa tête d'ébène, des faces emportées par les flots, des conneries
des conneries
des conneries
des c
des.
T'as un mode d'emploi pour la vie? J'l'ai pas reçu à la maternité, j'étais sûrement déjà absent.

je te déteste parce que t'es plus là
oui je te déteste, j'espère que t'entends ça
non c'est pas vrai
j'efface
on recommence?
j'en ai juste marre d'être continuellement dans le brouillard
de parler brouillard
de marcher brouillard
connard
ça m'brouille (la vue)
ça m'fout la trouille
j'ai pas de pansement,
pas de remède magique,
pas de solution miracle.
elle est où ma petite infirmière qui panser mes blessures?

- J’devrai avoir peur de quoi à ton avis ?
Et ses mots léchait son cou au parfum de la douce ivresse, ils se répandaient sur la commissure de ses lèvres rougeâtres de bagarres des autres soirs, ça voguait sur ses paumes bleutées et se noyaient dans le liquide de son verre où son âme répandait déjà des sos, donnant la main à sa question qui devrait en faire de même.
Si tu savais.
- Pas de toi j’espère.
Il sourit. Pour une fois, pas de ces sourires à l'envers. Mais pas de ces sourires sincères non plus, pas de ces sourires enjôleurs, pas même de ces sourires solaires et encore moins de ces sourires qui disent "tout va bien". Juste un sourire qui en disait long sur ses attentions, son regard étouffait les battements de coeur et il espérait ne pas trop le serrer, pour ne pas qu'il explose lui non plus. Faudrait peut-être dire au magasin des nouveaux-nés d'arrêter de mettre des myocardes dans les corps, d'ailleurs. Parce que Loup il pense que ça ne marche pas trop bien, ces conneries-là. Il entend trop souvent "j'ai mal au coeur", "tu m'as touché en plein coeur", il voit souvent des mains posées sur une poitrine, le poing serré, aussi serré que cet organe bon à jeter à la poubelle. Faudrait trouver le bureau des plaintes.
Tu sais où il est toi, Stella ? Il est peut-être là-haut.
- Non, j'suis venu en paix, t'inquiète. Je t'offre un shooter?
Parce que la vérité a son lot de malheurs et cette nuit, il ne voulait pas tuer de ses mots-couteaux des espoirs pourtant déjà ensanglantés. Puis peut-être que cette nuit, il a juste envie de fuir le fil rouge de sa destinée, peut-être que pour une fois, il a juste envie d'arrêter
On
y
croit
pas
(Lui non plus).
- Pourquoi quand on dort nos yeux se ferment mais pas nos oreilles? Tu sais, toi?

Est-ce qu’avoir peur c’est quand sa gorge se serre, quand les battements de son cœur accélèrent de concert ?
Est-ce que la peur c’est ce sentiment amère qui paralyse ses sens quand elle escalade (sans ses genouillères) les hauts immeubles ?
elea elle ne sait plus vraiment, se persuade vainement que la peur n'existe que dans ses cauchemars. elea elle connait l'ivresse, glorifie le sentiment qui électrise son corps et son cœur quand elle est là-haut. dis moi, c'est de cette peur là dont tu parles ? La peur d'une chute qui égratignerait sa peau douceur pour quelques rougeurs sur l'asphalte. Elea c'est avec la peur qu'elle s'endort quand tombe la nuit, Elea c'est avec elle qu'elle se réveille quand vient le jour.
Alors elle ne contredit pas, rentre dans le jeu de l’inconnu dans un sourire qui s’étire chaque seconde un peu plus. Patron n’est pas là et elle, elle n’a pas envie, reste assise sur ce tabouret à faire tinter ses bagues contre le bois déverni. à l’observer lui. Elle ne se méfie pas Elea, ne comprend pas qu’il ne parle pas de la peur électrisante qui relance les myocardes endormis.

- Non, j'suis venu en paix, t'inquiète. Je t'offre un shooter?

elea elle fait l'enfant, les mains sur ses oreilles pour ne pas entendre les avertissements,
pour ne pas comprendre qu'elle devrait s'enfuir dès à présent.
elea n'écoute pas, observe du coin de l'oeil le shooter déjà prêt à glisser entre ses doigts, à lui laisser une marque chaude dans son être. juste un et la promesse qui se repasse comme un vieux refrain dans son esprit. J’refuse jamais un cadeau, ça file d’une douceur maîtrisée, ne s’adresse qu’à l’ombre sans nom. Elle a des rêves plein la tête Elea, avait des envies de voyages quand elle est partie, a des envies de découvertes maintenant qu’elle reste. Elle se fiche du reste. Elle veut sentir la flamme, sentir la brûlure d’un alcool auquel elle s’habitue. Et elle n’aime pas être seule quand ça arrive Elea (parce que solitude bouffe un peu de son rêve peter-pan). Elle laisse une porte ouverte dans les maisons hôtels, laisse une place vide à côté d’elle dans le bar. Pour que quelqu’un entre. Pour que quelqu’un s’installe.

- Pourquoi quand on dort nos yeux se ferment mais pas nos oreilles? Tu sais, toi?

les shooter laissent une trace humide sur le comptoir, glissent jusqu'à eux quand ce sont ses lèvres qui se pincent. elea elle ne dit rien, observe du coin de l’œil dans un silence laissé aux souvenirs. Là-bas en Angleterre. Là-haut sur le toit. Son sac à dos sur ses épaules et la fuite sous ses baskets.
La nuit les coups et les cris ont remplacé les pleurs. Pour qu’on oublie jamais qu’on est vivant. Parce qu'elle ne veut pas Elea, ne plus rien entendre, parce que ça ressemble trop aux longues cérémonies des adultes (comme celle de papa). Alors quand sa tête se relève, de ses phalanges elle approche un des shooter de la main de l’anonyme, garde le deuxième pour elle.
Peut-être que ça, ça fera taire tous tes maux ? Parce que c’est de ça dont il est question, non ? Faire taire les mots et mettre sous terre les maux bleus.

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j'en ai marre de faire semblant
j'en ai marre de faire comme si tout me glissait dessus
j'en peux plus d'entendre les sirènes
Même à travers le double vitrage
≡ e l o u p

tu penses qu’il sera écrit
ogive nucleaire
sur ma tombe quand j’serai mort ?
parce que j’ai l’impression que tout autour de moi finit par exploser
électrométéore
un timbre de voix orageux
des pupilles pluvieuses
champ électrique au bout des doigts
tonnerre au coeur
feu à la bouche
j’ai des envies de meurtre, parfois

Sûrement aussi de mourir, souvent. Loup, c’est le genre de gamin à attendre sur le passage piéton qu’une voiture arrive à toute vitesse pour traverser. C’est le genre à attendre à un passage à niveau que les barrières tombent avant de passer. C’est le genre à traverser les voies sans même prendre la peine de regarder si un train va arriver. Il marche. Un pied devant l’autre. Ferme les yeux. Ferme les oreilles. Bouche ses narines. Ferme la bouche. Un pied. Puis l’autre. Il retient son souffle. Prêt. Prêt à quoi ?
À
l’
amor.
Moi sans toi
Toit sans mois.
Vide de sens
sens
Vide de sans.

- J’refuse jamais un cadeau.

Un sourire nait sur le coin de ses lèvres avant de tomber par terre. Ils ne sont jamais stables sur son faciès à Loup, il n'a pas les traits adaptés. Il a toujours eu un sourire à l'envers et c'est ce qui lui convient le mieux mais ce soir, ce soir, son défi est de dessiner l'illusion et cela implique de revêtir un masque dont il n'est pas accoutumé.
Il commande alors deux shooters de Cointreau flambé. Ce sont les préférés de Stella, elle disait toujours que ça faisait ton cerveau en gruyère. Même si les trous, ça lui fait peur à Loup. Les trous noirs, les trous de verre... Les trous ça fait penser au vide. Le vide, c'est oppressant. Comme un manque d'air, un manque d'oxygène. Comme ses nausées constantes. Le pire c'est le manque de vie, le manque de raison. Le pire, c'est le silence. Le vide et le silence. Le silence du vide ? Ou le vide du silence ?

- Pour qu’on oublie jamais qu’on est vivant.

Une goutte d’alcool tombe le long de son menton, en souvenir à tous ces baisers évanouis. Il la frotte avec le revers de sa manche, de ce sweat-shirt trop grand et troué. Ses mouvements saccadés étaient bercés par ses destructions majeures, la machine se rouillait de crachats d’étoiles. Elle est jolie l’inconnue. Elle sent le miel et a les cheveux d’un soleil (ou peut-être est-ce l’inverse) et il se dit que de briser les jolies choses, c’est encore mieux. Quel plaisir pouvons-nous avoir de briser un objet moche, qui n’a pas de valeur? Aucun et c’est ainsi que l’inconnue l’a séduit pour ce soir.
V-I-V-A-N-T. Les lettres se décortiquent dans son crâne, cogne un petit peu contre les bords, ça fait mal, aussi mal que de se cogner le petit orteil contre le coin d'un meuble (aie).

- Et qu'est-ce qui te dit qu'on l'est vraiment, dans le fond? Peut-être que tout se qui se passe à côté de nous, ce n'est qu'un écran géant. Juste un putain d'écran géant.

Loup se ravise, se tait. Se remet bien sur son tabouret. Ne pas perdre pied. Ne pas continuer dans ses explications houleuses, sinon le plan tombe à l'eau. Humain à l'eau. Il ne sait pas nager. A encore besoin de bouées. (Tu viendrais me sauver ?) Surtout que ce soir
Ce soir ça allait être comme tous les autres soirs
Ce soir c'est la déchetterie, la débauche, c'est se tirer toujours plus vers le bas, c'est continuer à creuser sa tombe en silence, ce soir c'est même mettre un pied dedans, ce soir y a tout qui part en fumée, les rêves, les instincts, la survie, ce soir y a rien qui l'attend (comme toujours) y a rien qui l'atteint, ce soir ce sera encore les échos de son coeur qui se répandront dans ses tympans usés d'entendre toujours sa voix résonner
Ce soir
Ce soir ça aurait dû être un bouquet de fleurs, des baisers-papillons, des
Non
Ce soir ça aurait
T'es plus là
(Si)
Il a envie d'fumer une clope (ou peut-être même tout un paquet).

- Peut-être que ça, ça fera taire tous tes maux ?

Il aimerait déjà terrer tous les mots dans son cerveau, ce sera déjà un bon début. Les enterrer peut-être aussi.

- Je t'offre une clope ? T'as dit que tu refusais jamais les cadeaux, donc... Tu vas être forcée de me suivre.

- Et qu'est-ce qui te dit qu'on l'est vraiment, dans le fond ? Peut-être que tout ce qui se passe à côté de nous, ce n'est qu'un écran géant. Juste un putain d'écran géant.

C’est comme panser une vieille blessure. La chaleur de l’alcool pour gommer les imperfections et faire s’effacer la peine au passage du bateau souvenir dans ses veines. La brûlure dans sa gorge et les images brouillées dans son esprit, bousillées par les bouffées toxiques. Elea elle s’était promis un verre rédempteur pour chasser l’aigreur des jours passés, un verre aux côtés des mots sans prénom pour libérer la solitude qui étouffe parfois dans sa poitrine.
Elea est fatiguée.
Elea s’en veut quelques fois, regarde souvent en arrière dans le cimetière des promesses envolées.
Alors elle préfère les noyer dans le liquide brun, noie la paresse et les je te promets oubliés (se noie avec lui, ombre sans nom, inconnu rassurant). Leurs vies projetées sur un écran géant, le spectacle sans suspens. J’préfère croire qu’on l’est. Pas toi ? Entre ses doigts tournent le verre vide, son regard faufilé entre les bagues qui ornent toujours ses doigts fins. Elea elle ne sait pas combien de temps elle a passé dans le silence mais quand son regard se relève c’est sur lui qu’elle le pose, las, comme réveillée d’un long coma. Lui il a l’air réel. Promesses jetées en l’air. Parce qu’il n’y a pas de 3D pour le cœur. Si tu ressens quelque chose c’est bien que t’es vivant, tu crois pas ? Elea elle l’observe un long moment, trépigne sur son tabouret dans un sourire accroché à ses lèvres maquillées. Alors sûrement qu’au fond elle l’aime bien sans savoir pourquoi.
Lui il est paumé (il a l’air).
Un peu comme elle.

- Je t'offre une clope ? T'as dit que tu refusais jamais les cadeaux, donc... Tu vas être forcée de me suivre.

Tout ça c’est comme un plongeon dans le vide (terrifiant et plaisant). Pourtant Elea elle a oublié la peur à la porte du bar, se plait seulement à avancer quand il lui indique le sens (big bang tant attendu). Elea elle se fiche bien de ce qu’il pourrait lui arriver, au pire un réveil brutal, au mieux quelques minutes loin du vide abyssal. Elle pousse la collision, n’offre pas un regard à sa collègue quand elle se lève pour passer dans le dos de l’anonyme. J’prends le risque. Elle en veut toujours plus elle. Joue toujours plus. Sa main cherche la sienne, l’incite à se lever pour qu’il la suive. Et puis elle relâche tout, se penche par-dessus le bar pour récupérer sa veste avant de s’éloigner vers la sortie. Au pire une sacrée remontée par le patron.
Dehors le vent fait s’envoler ses mèches blondes quand elle fait face à l’ombre derrière elle, s’assure qu’il est bien là. Toujours réel. (T’es pas un mirage toi, pas vrai ?) T’as pas peur que j’prenne goût à tes cadeaux ? Son sourire marque ses lippes, s’agrandit comme sa main se tend vers lui. Une clope. C’est bien ce qu’il a promis, non ? Et peut-être qu’elle en a besoin ce soir Elea, de faire s’envoler ses soucis dans les airs.

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j'en ai marre de faire semblant
j'en ai marre de faire comme si tout me glissait dessus
j'en peux plus d'entendre les sirènes
Même à travers le double vitrage
≡ e l o u p

- J’préfère croire qu’on l’est. Pas toi ?

Puis Loup, souvent, il ne sait plus. Tout ne ressemblait plus qu’à des instants noyés. Plus de port d’attache, plus d’endroit où jeter l’ancre. Juste ancré ses démons et l’encre de son stylo qui se répand sur des feuilles blanches, aussi blanches que ses nuits. Aussi noires que ses journées. Loup, il se sent naufragé de ses envies. Pris au piège dans des tourbillons d’ennuis. Les jours qui se répètent, les aiguilles d’une horloge qui ne font que tourner et il attend juste le temps où ça s’enrayera, où les mécanismes se casseront et que tout s’effacera, comme ses rêves qui étaient autrefois inscrits dans son esprit.

- Parce qu’il n’y a pas de 3D pour le cœur. Si tu ressens quelque chose c’est bien que t’es vivant, tu crois pas ?

Encore une fois, elle lui posait une colle parce que Loup ne savait plus s’il savait encore ressentir. Ressentir mais à quel prix ? Son âme au diable, son âme en sursis d’une vie qui tire à sa peine, peine capitale d’un myocarde qui rate des battements depuis que son astre n’est plus là, depuis que la lune a cessé de briller, depuis qu’un épais brouillard s’est installé tout autour de lui, tout autour de son système solaire qui maintenant apparait comme des trous noirs, comme des trous d’verre, comme le papier crépu qu’il y avait sur les murs du couloir de la maison de son enfance, sur lequel il se frottait toujours exprès pour avoir des tâches du cosmos sur la peau.

- T’as p’t’être raison, ouais.

Il a pas envie Loup, il a pas envie que ses mots parachèvent son masque délicatement porté sur ses yeux mesquins, il n’a pas envie de commencer à partir dans des soliloques qu’elle ne comprendra de toute façon pas, y avait que Stella qui l’écoutait quand son coeur se barrait en fumée, quand sa langue fourchait, quand ses doigts se croquaient et ses mains atterrissaient dans les briques pourries pour s’envoler en poussière (et pas d’étoiles).

- Parfois j’ai l’impression qu’ils font tout pour qu’on se robotise, qu’on se formate à des idéologies fixes et idéalisées pour chacun. Que l’on a des trames à suivre tu vois, des chemins à prendre, des portes à ouvrir. Et qu’on doit tous passer par là…

… un peu comme si le terrier d’Alice au pays des merveilles existait vraiment. Il débloque. Son cerveau s’inverse, les pôles se repoussent, c’est plus Loup, c’est juste un de ses démons qui accède à des parties qui s’enrayent comme un vieux disque, de ceux qu’on n’a plus envie d’écouter mais qu’on fait par mégarde.
D i s s o c i a t i o n
Où est la réalité ?
où est le tordu
t o r d u
Distordu
Distor
Diss

Plus rien n’est vrai, plus rien n’est faux. Tout est un langage dont il ne connait pas le vocabulaire, tout devient plat, tout devient terne. Les couleurs qui se dérèglent comme un vieil ordinateur, un XP, un 95. Une angoisse qui touche son coeur du bout de la phalange, qui le serre, qui veut trouver un aiguille pour l’enfoncer. Kyrielle de couleurs criardes qui sautent aux yeux. Il sort. Se perd dans les limbes de son esprit frappeur. N’entend même pas ce que lui dit l’inconnu. Ne relève pas non plus. Tente de se reconnecter à la réalité, comme si son serveur buguait face à un jeu nouvellement installé. Soupir. Clope au bec, il lui en tend une. Allume la flamme.
Sûrement pas la leur.

- T’as pas peur que j’prenne goût à tes cadeaux ?

- Et pourquoi pas ? C’est bien, les cadeaux.

Surtout les cadeaux empoisonnés. Mais ça, elle ne le savait pas encore.
Si elle voulait des surprises, elle allait en recevoir. Sans doute pas ce qu’elle espérait. Au loin, un vélo à peine accroché à un poteau. Un sourire de malice se dessine, s’ourle sur son faciès éteint dans l’obscurité de ses songes.

- Cap de voler ce vélo?

Se changer les idées.

Les sentiments elle n’aime pas ça. Souvent ça fait mal. Trop souvent ça se transforme en ressentiments. Ça reste même dans son esprit, (trop) longtemps, se cristallise en images qu’elle n’oublie pas malgré l’alcool qui ment. La fait mentir quand elle se réveille. Lui ment quand il dépeint une réalité déformée.
Les sentiments elle n'aime pas ça et pourtant Elea elle s’amourache à tour de bras.

- Parfois j’ai l’impression qu’ils font tout pour qu’on se robotise, qu’on se formate à des idéologies fixes et idéalisées pour chacun. Que l’on a des trames à suivre tu vois, des chemins à prendre, des portes à ouvrir. Et qu’on doit tous passer par là…

Quelques fois elle s’élève dans les sommets là-haut sur son Everest, les bras levés au-dessus de sa tête et une clope coincée entre ses phalanges. Pour que tout s’envole avec le vent, devienne nuage de souvenirs. Les amours et les regrets. Pour que les étoiles réparent les bleus. Le vide et les blessures. Sous sa poitrine ça bouge trop pour être mécanique, ça lui semble trop vivant pour être robotisé. Elle est vivante Elea, même si elle ne sait pas vraiment ce que ça veut dire au fond. Lui aussi il l’est. L’ailleurs dans les pupilles et les mots qui réveillent ce quelque chose à la place de son myocarde. Il est réel. Il lui fait du bien. Lui peut-être qu’il est comme elle à l’intérieur.
Elle aimerait y croire. Peut-être que pour lui aussi parfois le monde parait trop adulte.
Ou peut-être qu’elle se trompe.
Elle sait pas. Elle sait pas grand chose. De l’air. Elle a besoin d’air Elea.
J’veux pas les suivre. Jamais. Elle mord sa lèvre, observe l’anonyme et fait taire l’hésitation naissante. Et si ça veut dire qu’elle n’est pas normale alors elle en est fière Elea. Tu veux bien venir avec moi, toi ? Quitter la file et ouvrir ces portes qu’ils veulent qu’on laisse fermées ? Et si ça veut dire qu’ils ne sont pas normaux tous les deux, alors elle est en encore plus fière. (Tu accepteras pas vrai ? Au moins pour ce soir. J’crois que j’en ai besoin. S’il te plait.)

- Et pourquoi pas ? C’est bien, les cadeaux.

Elea elle ne prend pas la fuite ce soir, accepte un jeu dont elle ne comprend pas bien les règles quand elle pousse la porte du bar. Ne prémédite pas les conséquences. Accepte cette clope, s’amuse des courbes dansantes de la flamme dans ses iris. Son esprit enfumé et ses songes paralysés par l’alcool. Elle se fiche de tout ce soir, son boulot, ses remords, ses souvenirs pixélisés. Ils sont deux dans l’immensité ce soir, deux étoiles solitaires dans le cosmos. Il n’y a qu’eux.

- Cap de voler ce vélo?

Eux et un vélo. Et cette fois elle n’hésite pas. Marche à reculons en cherchant le regard de l’inconnu, ne sait pas ce qu’elle y cherche réellement, un sourire toujours plus amusée dessiné sur ses lippes. Cap. Toujours. Elle se détourne sans un mot, bataille quelques temps avec la chaîne du vélo avant de saisir le guidon.
Elle dira que c’est la faute du propriétaire, il n’avait qu’à faire plus attention. Elle dira qu’elle s’en fiche au fond.
à ton tour. Elle revient avec le vélo à la hauteur de l’anonyme, la clope au bec quand elle attache ses cheveux grossièrement. Cap ou pas cap de me suivre ? Elle se hisse sur la scelle en riant, n’attend pas sa réponse avant de s’éloigner sur le vélo. Pédaler vite. Parce que c’est comme une piste d’avion. Peut-être qu’elle s’envolera elle aussi. Mais Elea elle oublie de regarder au-dessus de son épaule. Pourtant elle espère qu’il la suivra. Qu’il ne la laissera pas seule dans les rues désertes. Qu’il brillera toujours à côté d’elle quand elle s’arrêtera.

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j'en ai marre de faire semblant
j'en ai marre de faire comme si tout me glissait dessus
j'en peux plus d'entendre les sirènes
Même à travers le double vitrage
≡ e l o u p

Il pensait avoir trouvé la lumière.
Il pensait qu’il ne perdrait jamais l’interrupteur (de ses rêves).
Il pensait qu’il ne suffisait plus que de tendre les bras vers le ciel pour enfin trouver les étoiles.
Il pensait avoir trouver la vocation d’être magnifique (surtout elle) (vous y étiez presque, non ?)
Et elle au final ce ne sont pas que ses bras qui ont rejoint les cieux, c’est même son corps en offrande. Il pensait avoir pourtant emprunté une bonne route (même si elle était remplie de cratère comme la lune), ça poursuivait un bel avenir quand même. Il voyait presque le paradis au bout. C’est peut-être pour ça que Stella (bobocœur)
n’est pas revenue, elle a confondu
Elle a confondu le fil de leur destinée avec celui de la
(Chut)
Puis du coup Loup, il aurait bien voulu se jeter dans l’univers.

- J’veux pas les suivre. Jamais.

Et sûrement font-ils partis de ces enfants indigos, de ces enfants 90s, de ces enfants qui ont tout compris mais à la fois qui n’ont rien compris non plus, (nous sommes juste des poussières dans ce monde)
(Notre présence est insignifiante)
Dis, t’accepterais de me donner la main un moment?
Loup il en oublierait presque que son âme à lui s’est enterré vivante il y a un bout. Que son âme-sœur ne lui donne plus la main (en public) depuis longtemps.

j’ai plus envie d’te parler ce soir
je sais pas
je sais plus
pour une fois, (j’t’oublie un peu)
j’ai honte tu sais
mais j’veux jamais que t’oublie toi
(nos paroles en soie)
toutes les larmes qui montraient ma peine
et toutes les fois
toutes les fois (où j’ai perdu la foie)
clébard dans les rues
bobards confondus
de mon cœur à la sauvette
de mon c....
j'ai plus envie d'te parler ce soir stella
laisse-moi

- Si on ferme les yeux très fort y a peut-être moyen qu'on s'évapore et qu'ils finissent par plus nous voir.

C'est ce qu'il faisait, parfois. Quand il était plus petit, avec ses parents. Il fermait ses yeux fort fort fort fort fort et oups, plus de Loup. Loup, où es-tu ? Chéri, t'as pas vu Loup ? Alors qu'il était juste là, sous leur yeux mais demeurait invisible pour toi. Invincible pour elle.

- Tu veux bien venir avec moi, toi ? Quitter la file et ouvrir ces portes qu’ils veulent qu’on laisse fermées ?

Et dans ses rétines s’imprègnent ses cheveux au vent et son sourire de poupée cassée. Sûrement qu’il s’en souviendra toujours, comme de ses paroles prononcées comme une mélopée se nichant dans les feuilles des arbres qui crissent au loin. C’est sûrement son cœur qui a souri ce soir à Loup, parmi toutes les blessures de guerre et les plaies même pas encore fermées parce que son infirmière a pris congé.

- Moi, j’aimerai bien. Mais t’es d’accord si on part dans un monde où ne demeurent aucun adulte?

Parce que s’aimer comme les adultes c’est s’aimer pour de faux. Y a qu’à voir ses parents qui s’aimaient à coups de poing.

- Cap ou pas cap de me suivre ?

- Cap.

Leur histoire ressemblait à un puzzle dont les pièces étaient manquantes. Certaines d’entre elles étaient pliées et les coins cabossés. Un peu comme leur cœur qui cognait souvent trop fort dans leur cage thoracique, qui menaçait de s’extirper et s’envoler comme des volutes de fumée émanant de sa cigarette.
Loup et Elea.
Deux inconnus à bord d’un vélo volé qui s’envolaient sur les routes désertes, sans but et sans ailes mais sur le boulevard de ses rêves, sûrement qu’elle y apparaîtrait (et peut-être pas comme un mirage).

- Cap ou pas cap de prendre une trace de coke avec moi?

Et c’est là le virage trop serré, le virage que son démon attendait; c’est là que les emmerdes allaient commencer.

Ferme les yeux. Il n’est pas réel. Le monstre du placard.
Ferme les yeux et quand tu les rouvriras tu verras que j’avais raison. Ferme les yeux. Le monstre sous le lit.
C'est ce que lui répétaient papa quand elle ne dormait pas bien.

- Si on ferme les yeux très fort y a peut-être moyen qu'on s'évapore et qu'ils finissent par plus nous voir.

Le monstre lui a toujours fait peur. Pourtant Elea elle cache ses craintes derrière un sourire pour éclairer dans la nuit. Les planque naïvement sous les comètes. Elle se sent poupée naïve, comme quand elle était enfant.
Elea est une toujours une enfant.
Comme quand un beau garçon lui murmurait à l’oreille son prénom. Comme quand elle se donne du courage pour croiser le regard de l’inconnu (mal)heureux. Seulement si tu me promets que moi je pourrai toujours te voir. Peut-être que c’est un peu idiot, cette façon qu’elle a d’ouvrir son cœur à une ombre dont le prénom lui échappe, dont l’existence même lui échappe. Elle ne l’explique pas Elea.
(J’veux pas que tu disparaisses toi aussi)
Pas comme pas Papa.
Parce qu’elle ne sait pas si elle l’acceptera. Parce qu’elle aimerait que tout ça dure éternellement, ce temps à partager leurs mélancolies heureuses.

- Moi, j’aimerai bien. Mais t’es d’accord si on part dans un monde où ne demeurent aucun adulte?

Le hochement de tête qu’elle lui offre raisonne comme une promesse qu’elle grave sur le bitume, un sourire dicté par son cœur qu’elle aimerait graver dans son esprit. Un peu comme son visage restera dans le sien. Un peu comme ses mots la berceront quand elle retrouvera son lit, bercée par les météores et le son de sa voix. Je suis d’accord. Pourtant elle est adulte Elea. C’est bien ce qu’on dit une fois un certain âge dépassé, non ? Sur le papier elle doit en être une. Une adulte un peu perdue au cœur enfant. Les adultes elle n’en connait pas beaucoup en réalité, elle, elle ne connait que des vrais adultes. Son père. Mauvais souvenir. Sa mère de substitution. Mauvaise idée. Un monde où on ne vieillit jamais. Elle ne veut pas finir comme eux. à crever ou à pleurer un disparu. Elle ne veut pas connaitre ces sentiments. Sûrement que c’est pour ça qu’elle a trop peur d’aimer et de vieillir.
Elea est une enfant amoureuse.

- Cap ou pas cap de prendre une trace de coke avec moi?

Elle pédale vite sur son vélo, tourne à une intersection et emporte avec elle son étoile. Sauf qu’elle finit par freiner un peu trop fort Elea, le vélo à l’arrêt en plein milieu d’une rue sans nom. Elle ne devrait pas.
Cap. Et cette fois-ci une nouvelle personne se rajoute à l’équation. Lui. Elle. L’erreur. Ça lui coûtera peut-être plus que qu’une liberté éphémère. Ça bousillera bien plus que son corps. Sauf qu’elle ne le sait pas Elea, se persuade qu’au pire elle s’en sortira avec une petite égratignure.
Ce n’est qu’un jeu pas vrai ? Elle balancera le prochain cap ou pas cap et lui il continuera. Jusqu’à ce que le soleil se lève.