feels like home. (lù)

oh, you can't hear me cry, see my dreams all die, from where you're standing on your own, it's so quiet here and i feel so cold, this house no longer feels like home. -- @lù paxton

Un instant de flottement avant qu’il ne débarque. Avant qu’il ne vienne rendre sa vie plus belle, comme à chaque fois qu’il se trouve à proximité d’elle. Lù, il est son meilleur ami, celui qui a toujours été présent quand Jeff, lui, ne l’était plus. Lù, il est, comme la bande, une seconde famille. Celle que le cœur a choisi, celle que l’esprit a découverte lorsqu’elle était au plus mal. Lorsque les nuits étaient trop sombres, lorsque les hivers étaient trop froids, lorsque la douleur se faisaient assourdissante, ils étaient là. Lù était là. Toujours et coûte que coûte. Et malgré ça, t’as jamais été capable de lui dire la vérité. T’as jamais été capable d’aller au-delà des addictions aux drogues dures de ta mère. T’as jamais été capable de lui confier ce que tu fais, pour elle. Parce que t’as peur, Bianca. Parce que t’as peur de ce qu’il pourrait penser de toi, peur de voir son regard changer, d’y lire le dégoût. Peur. Et elle n’est pas capable d’affronter cette peur. Elle n’est pas capable de de passer outre parce qu’au fond, ils sont tout ce qu’elle a. Ce qu’elle possède de plus précieux. T’as jamais su te laisser aimer, Bianca. T’as jamais su te laisser toucher. Mais avec Lù, tout est différent, parce qu’elle ne doute pas de lui. Parce qu’elle a besoin de lui comme un phare dans son obscurité. Elle attend qu’il arrive jusqu’à elle, qu’il égaye son appartement, qu’il ravive les flammes de son cœur. Elle attend. Mais quand son visage entre enfin dans son champ de vision, elle le trouve différent. Changé. La lumière s’est éteinte. Envolée en un claquement de doigts. Hey… Un sourire, naturel, comme chaque fois qu’elle se trouve en sa présence. Mais l’inquiétude au bord des lèvres, parce qu’elle le connait, parce qu’elle le connait trop bien pour ne pas voir. Installe-toi, j’ai préparé un apéro. T’as la volonté de prendre soin de lui, Bianca, parce que tu l’aimes, parce que t’es comme ça. Parce que tu préfères prendre soin des autres plutôt que laisser quelqu’un prendre soin de toi, au risque de le voir finir complètement écœuré. Tu vas bien ? Mauvais pressentiment, vis-à-vis de celui qui est son indispensable. Son indissociable.

(c) calaveras.

Sous ses orbes princières, le paysage défile pénétré de silence, s’immobilise par moment, pétrifié par le bruit. Le bus se repaît, puis dégueule l’instant d’après; une bile d’effervescence dont Lù s’extrait, les songeuses jetées au travers de la fenêtre. Il y distingue à peine le reflet de son âme, comme il n’est pas capable de se reconnaître sous l’image vagabonde et inachevée de son portrait.

S’observer des milliers de secondes
et s’oublier toujours,
pour ne s’être jamais connu, l’espace d’un jour.

Lù est bien las de ne s’enraciner nulle part. De ne posséder les endroits que l’on appelle “chez soi”. Pas de cadre au mur, aucun bibelot rappelant les souvenirs itinérants, aucune clé accrochée au portant de ses artères. Le corps en friche, une maison vidée, habitée de rien. Une existence qu’on endure à se passer à côté.

L’enfant-rien;
quels sont les chemins dans l’étendue du néant qui vous mène à vous-mêmes?
Où sont les branches qui portent vos lambeaux de peau pour être, un jour et peut-être, passé par là?
Où s’est emmêlé le poil chérubin, de celui à peine né?

Il ressasse, inlassablement, l’absence qui s’est lovée dans les profondeurs de sa cervelle, celle d’une identité. Les yeux flanqués sur la dérive du panorama, il pense que ce monde-là ne porte rien de lui, qu’il n’est guère fait de sa chair; qu’il fallait désormais se résoudre à une existence spectrale, dubitable, et qui ne se prêtera jamais à la paix.
Dernièrement, Lù s’est achoppé sur ses ressentiments. Aigri sous le chapiteau qui rend mièvre, à s’arrêter sur les canons à paillettes et les paillettes elle-mêmes; aigri à ne plus entendre la joie qui s’élève. Alors parmi l’émoi, il se dit quand même; et si les ombres ont des parents, pourquoi pas moi?
Il n’a pas fini de se flageller quand il se pointe jusqu’à elle. Il ne s’exalte pas de son sourire, une main accroché sur la hanse de son sac à dos, rigide, le môme ne lâche pas de première boutade qui vaudrait vengeances.
“Salut Bi”, la nonchalance brise son silence quand il s’immisce dans l’appartement. Il y a bout d’ici qui est à moi, on dirait.
Il jette son sac dans l’entrée, en gamin qui néglige ces possessions dérisoires.
“C’est cool, merci. Qu’est-ce qu’ils foutent Oscar et Jules, ils sont pas là?”, ils promènent ses azurs sur le salon bien vide de leurs seules présences. S’accroche à la silhouette de la poupée à l’oeillade maternelle qui pèse déjà sur ses épaules.
“Ouais, ça va. J’suis crevé c’est tout, on a fini tard hier soir” qu’il lâche, le verbe déjà teinté d’agacement devant les inclinaisons de son amie. “Et toi, quoi d’neuf, t’as pas des mannequins à me présenter par hasard?”. Ça lui est tout aussi pénible, à Lù, de blaguer pour distraire Bianca.

@bianca rosen

oh, you can't hear me cry, see my dreams all die, from where you're standing on your own, it's so quiet here and i feel so cold, this house no longer feels like home. -- @lù paxton

Les voix libérées, qui viennent animer cet espace vide, appartement empli de la solitude dans laquelle elle se mûre, depuis toujours. Grande solitaire dans l’âme, difficile d’accepter que qui que ce soit puisse vouloir l’approcher. Bien plus encore après l’abandon de Jeff, le départ de Jeff, son pilier, son repère. Mais ils se sont quand même approchés, cette bande de mecs, trop doux, trop protecteurs pour venir la juger. Le regard plus tendre que celui des filles, à son égard. Douce bianca, souvent isolée, souvent mise de côté. tu sais pourtant que c’est ta faute, que t’es responsable, que tu te mets bien trop souvent en retrait toi-même. Mais comment expliquer aux filles de ton âge que tu te prostitue depuis tes quinze ans. avec lù, avec oscar, avec jules, elle n’a pas eu besoin de parler. Pas eu besoin de s’exprimer, de s’expliquer.
Avec eux, auprès d’eux, elle s’est sentie immédiatement adoptée. Comme une seconde famille, comme une main tendue dans l’obscurité, une stabilité retrouvée. Et elle le sait, qu’ils seront toujours là pour elle. Elle le sait, ayant tout de même terriblement peur de voir leur relation changer, s’ils apprennent la vérité.
plus de facilités à te concentrer sur eux, sur lui, particulièrement, bianca. Sur lù, qui en dit trop pour être sincère. Qui meuble la conversation, vient t’envahir de ces quelques mots en priant pour que tu oublies ses maux. non, j’crois qu’on sera que tous les deux ce soir. petit clin d’œil en sa direction. oui, je sais, c’est ton pire cauchemar. elle ironise pour détendre l’atmosphère, pour le pousser à parler, d’une manière ou d’une autre. Parce qu’au fond, elle sait bien que plus que tout, ils se comprennent, tous les deux. Que lù est bien celui de la bande avec qui sa relation est la plus profonde. je n’ai pas de mannequins à te présenter, par contre, si tu veux me dire pourquoi ta mine est si triste, je suis toute ouïe. qu’elle balance, naturellement, en apportant le tout sur la table. tu ne vas pas te mettre en face de lui et arracher de forces ses confidences, bianca, tu vas surtout attendre qu’il se décide à parler, qu’il se laisse aller au fil de la soirée. Parce que c’est comme ça, entre vous : naturel.

(c) calaveras.