enfants de la lune (vito)

nuit consumée. verres balancés. danses effrénées.
rythme usuel régnant entre les murs insonorisés du club.
la même rengaine soir après soir. les mêmes danseuses soir après soir. les déesses qu'elle s'imaginait pouvoir remplacer parfois. parce que la ballerine qui pensait mériter mieux, avait presque envie de se fondre dans ce moule-là parfois. quand elle brillait du plus noir de ses éclats. quand elle cherchait à ce qu'on la regarde, à ce qu'on l'admire, à ce qu'on la désire.
et elle a le vice aux lèvres, quand sur elle, les iris se relèvent.
poupée façonnée, pour répondre à l'offre et la demande.
le cristal qu'elle essore, les cocktails qu'elle enchaîne et les regards furtifs qu'elle jette alentour. les cibles potentielles qu'elle repère. et les sourires qu'elle lance pour conquérir. pour statufier une place qui lui revenait de droit.
c'est finalement l'heure de la pause qui sonne. celle où on la renvoie à l'arrière. le patron est à cheval sur les règles. ne bafoue que rarement les contrats. éloignant les risques de rébellion éventuelle d'employés à l'affût de la moindre occasion. et il insiste, même quand elle rechigne à quitter son poste. parce qu'elle est exactement là où elle a envie d'être sahar.
prédatrice parmi les prédateurs. némésis dans son costume ravageur.
plier, elle finit par le faire. elle cède aux ordres, se couche face aux demandes du roi. puis file se retrancher dans l'arrière-cour. à l'abri du bruit et des clients insistants. à l'ombre de la nuit étoilée.
sortie nocturne pour la danseuse en devenir qui saisit un filtre qu'elle enflamme d'un mouvement qui trahit l'habitude. les yeux qu'elle ferme un instant sur le monde. l'oxygène coupé dont elle s'enivre. elle les entend les bruits du coin. les cris et les bagarres qu'elle devine à deux pas d'ici. pourtant, elle ne prend pas peur. c'est son domaine, son terrain de jeu. elle connaît les lieux et s'y sent en sécurité. comme la maîtresse du quartier, comme celle qui gérerait les sorties et les entrées.
trop souvent, elle se rêve reine mère d'un empire. un contrôle qu'elle voudrait avoir quand elle n'en a déjà aucun sur elle-même.
retrouvant la lueur nocturne des lampadaires, elle expire encore la fumée enchanteresse. et les pupilles clignotent. tentent de deviner une silhouette floutée par les buées et le déclin du jour.
c'est quand l'ombre approche que tout fait enfin sens. que sa tête assimile toutes les informations. les triant sur le volet.
un revenant sur le lieu de ses crimes passés. le reproche est déguisé. voilé sous une plaisanterie qui anime un bref sourire. j'aime pas qu'on m'fausse compagnie. les vieux démons qu'elle expose. l'éloignement des autres qu'elle ne supporte pas. surtout quand ils ont été là, longtemps. un temps. incapacité chronique à se détacher de ceux qui ont compté. qui ont marqué de leur empreinte un instant de vie. c'était mieux ailleurs ? la grimace qu'elle n'essaie même pas de masquer. piquée par l'idée qu'il ait pu prendre des habitudes dans un endroit qui avait remplacé le velvet.
par chance, les vapeurs apaisent la tigresse. juste assez pour ne pas qu'elle saute à la gorge de ceux qui auraient osé la défier. t'es chez toi au velvet. le toit de tous les défis et de toutes les folies. tu refuses qu'on lui préfère un ailleurs. tristement pas à la hauteur.
elle attend la décharge. le désamorçage de la bombe qui se matérialisera sous la forme d'une réponse. pas croyante pour un sou, elle se surprend à prier pour qu'il soigne la démarche. pour qu'il ne fasse pas tout voler en éclats. pour qu'il prouve sa dévotion et sa bonne foi.