flashback - la mort a toujours tort. (dakota)

LA MORT A TOUJOURS TORT

les murs immaculés sont ornés de tableaux colorés, mais sally ne les voit plus. les sourires auxquels elle a l'habitude de répondre, les moindres parcelles de vie dans la pénombre, tout est devenu invisible, comme si un filtre était venu se poser devant ses pupilles couleur océan. aujourd'hui, l'océan déborde de perles salées, le flou a remplacé son optimisme légendaire. mourir. c'est ce que le médecin a dit. elle va mourir bientôt, sûrement seule dans la chambre de son appartement avec vue sur l'océan. mourir avant d'avoir trente ans, mourir avant d'avoir vécue alors que des milliers d'humains méritent ce soir plus qu'elle. ce n'est qu'une enfant sally, une poupée qui vient d'ouvrir les yeux sur ce monde. son téléphone vibre dans la poche de son short, même sans décrocher elle peut entendre l’inquiétude d'un père qui ne parle pas suffisament, l'appel au secours d'un jumeau qui se ronge les ongles jusqu'au sang à l'idée de perdre sa moitié. qui s'occupera de lui quand elle sera passée dans l'autre monde ? personne, maman n'est plus là depuis quelques années. elle n'a pas le droit de le laisser sans soutien, pas le droit de lui arracher la moitié de son coeur, alors elle va se battre. bientôt, mais pas aujourd'hui. ses pas glissent en direction d'un bar non loin de l'océan, ce n'est pas dans ses habitudes de boire, mais ce soir c'est un cas d'urgence. le choix entre l'ivresse et une soirée avec la solitude pour seule compagne. la soirée avance, les larmes disparaissent vite au profit d'un sourire simulé par le rhum qui coule dans son sang, comme s'il pouvait détruire les cellules cancéreuses qui s'accrochent sur sa chair comme des boules sur un sapin de noël. ce n'est pas un soir de fête pour son corps, il doit lutter à chaque secondes pour ne pas craquer, mais le mental prend bien vite le dessus. le monde valse autour d'elle, la lumière fait de nouveau irruption pour chasser les ténèbres qui tentent de la tirer vers un gouffre sans fond. la fleur éclot, laisse son parfum enivrer ceux qui croisent sa route. rien n'est logique dans ses actions quand elle se rapproche d'un homme qui la dépasse facilement de deux têtes. du genre baraque, tatoué, le teint mat. ce n'est pas son style en temps normal, mais le sourire qu'elle affiche dit tout le contraire cette fois. sally engloutit la fin de son verre d'une traite avant de pencher légèrement la tête sur le côté, comme une enfant curieuse à l'idée d'une nouvelle rencontre, d'un potentiel sauveur de vie. « toi aussi tu t'es perdu dans ce bar qui empeste l'alcool ? » du coin de ses iris elle peut voir les corps qui tombent comme des dominos, les jambes qui n'avancent plus correctement, les yeux vitreux. heureusement sally n'est pas dans cet état. pas encore.

(c) élissan.

LA MORT A TOUJOURS TORT

autour d'elle, le monde gravite. tout semble tourner comme il faut, les gens passent une énième soirée dont ils n'auront aucun souvenir le lendemain. ils sont du genre à croire dur comme fer à leurs convictions, au karma, à cette foutu roue qui est censée tourner, elle aussi. est-ce que c'est ça le karma ? s'épuiser à agir comme un soleil incandescent pour ses proches et se retrouver condamnée par les médecins ? sally n'est pas sûre de mériter ce sort, préfère noyer ses pensées envahissantes dans l'alcool. pourvu que sa mémoire se taise au moins le temps d'une soirée, d'une nuit, peu importe. elle serait bien capable de se planter un couteau dans la jambe si ça pouvait lui permettre de ne plus penser à sa mort programmée comme un vieil appareil usé. son esprit est déjà brouillé quand elle s'avance vers l'inconnu qui enchaine les verres autant que la malade. sans parler elle devine qu'il tente de noyer ses blessures, panser les plaies à grands renforts d'éthanol. ses premières paroles semblent la percuter, elles sont criantes de vérité, blessantes et attirantes à la fois. les doigts graciles viennent attraper un nouveau verre pour s’enivrer encore un peu plus, plonger dans cet abîme dont elle ne ressortira pas indemne. elle ignore ce qu'elle fait ici, c'est peut-être le pote du karma qui la mène ici, celui que l'on appelle le destin. « sally. ce que je fou ici, j'en sais rien. j'oublie. » la gorge se serre sans prévenir, la nouvelle malade fait fuir son émotion en goûtant encore une fois au liquide de son verre. « et toi, qu'est-ce que tu viens noyer ? »  quitte à se déchirer le palpitant, autant que ce soit fait à deux. le regard joyeux de sally laisse sa place à des pupilles qui transpirent la nostalgie d'une vie qui défile pour se terminer trop tôt. elle ne maintient plus le regard, rêve seulement de fuir assez loin pour faire taire le vacarme de son crâne. autrefois elle aurait assuré à dakota que ça ne sert à rien de se venger sur l'alcool doré, mais ce soir elle ne sait pas faire la morale alors qu'elle est elle-même incapable de suivre ses propres conseils. sous la carapace de muscles elle devine les fêlures qui doivent abimer son âme, sûrement plus profondes que celles de la cancéreuse. « je sors fumer, tu viens ? » c'est sans attendre de réponses qu'elle embarque son verre pour rejoindre l'air extérieur, cramer ce qui sera la dernière cigarette de sa vie, puisque cette dernière est sur le point de se consumer pour finir en cendres.

(c) élissan.

LA MORT A TOUJOURS TORT

il y a des personnes sur cette terre qui donnent envie d'avancer, donner le dernier coup de collier pour franchir les barrières grandioses. quelques mots du bout des lèvres et tout devient plus facile. un regard, une main tendue pour insuffler une énergie nouvelle. sally veut être de ces gens-là, de ceux qui aident les autres à gravir les obstacles dans le plus grand des altruismes. partager un bonheur discret pour que le karma se penche sur son cas. un jour, elle sera le soleil d'une vie, brûlante et lumineuse à la fois, forçant les sourires sur sa trainée radieuse. pas aujourd'hui, pas ce soir. elle a besoin d'étendre sa masse sur le sol pour mieux se redresser. mourir un peu avant de ressusciter. auto-destruction qui plane au-dessus de son enveloppe corporelle comme une menace invisible. dernier bâtonnet cancérigène, c'est une promesse silencieuse qu'elle s'adresse. elle a besoin de se sentir défaillir, de s'oublier elle et ce crabe qui s'est invité dans son organisme sans y être invité. il y a l'inconnu qui grogne quand elle confie tout bas la possibilité d'un exutoire, loin des carcasses qui se déhanchent, seulement animés par l'alcool coulant dans les veines souillées. la question précédente se dissimule dans les contrées de l'oubli. il n'a  pas besoin de savoir le mal qui ronge ses tripes dans une lenteur agonisante, la fleur refuse de voir le visage s'assombrir un peu plus pour cette nuit. soupir las qui s'échappe quand sa dernière tige de nicotine est subtilisée par l'étranger qui lui a finalement emboité le pas. et il a raison, il a les mots millimétrés qui tombent pile où il faut pour la secouer tout en douceur. électrochoc tendre qui étire un sourire discret. le crépuscule vient agresser sa peau, mais cette morsure lui prouve que son corps fonctionne encore. elle est vivante. « il n'y a pas de salaud dans l'histoire. » les menottes se réfugient dans sa veste, iris bleutés qui se posent sur le gardien de son début de nuit. « ça n'existe pas les méchants, il y a toujours un éclat qui se cache au fond. il suffit de gratter un peu. » elle ignore les raisons qui la poussent à croire que le brun fait partie du clan de ceux qui se tapissent dans l'obscurité en ignorant la lumière qui clignote comme un néon fatigué. rentre chez elle. pour se confronter aux démons qui attendent patiemment l'occasion de l'étouffer. se réfugier dans son appartement pour inviter l'ombre dans son existence. « tu me raccompagnes alors. » l'ordre prononcé de sa voix fluette, aucune autorité dans l'intonation. elle ne veut pas être seule, pour quelques heures elle veut garder ce bouclier de naïveté qui la protège. « je m'appelle sally. » sans le savoir, l'ombre deviendra le soleil de ses nuits, éloignant les terreurs nocturnes qui gravitent autour de sa petite personne. elle se fiche de l'effet répulsif d'une compagnie, refusant simplement de laissant une âme perdue dans ce genre d'endroit. ce n'est la place de personne, tout le monde mérite d'être sauvé de cette enfer aux allures festives.

(c) élissan.

LA MORT A TOUJOURS TORT

A mi-chemin entre le tyran et le bienfaiteur. Sally a du mal à cerner l'homme qui n'était qu'un inconnu quelques secondes avant, mais il l'intrigue. Ce n'est pas seulement sa carrure imposante qui lui donne envie d'en savoir plus sur lui, ni même la voix qui gronde quand elle glisse le bâton de nicotine entre ses lèvres. Une dernière clope, un dernier verre, puis le néant. Sans la connaitre, il veille sur elle, comme pour la protéger d'une noirceur qui la menace. Il ignore que Sally ne craint plus les ténèbres, encore moins ce soir où elle a seulement envie de laisser son esprit s'évader, juste quelques heures. Le gardien de nuit ordonne, la malade abdique et bientôt elle quitte la chaleur étouffante de la fête pour le froid extérieur, celui qui vient réveiller son épiderme. Ce n'est pas grave, rien n'est grave. Même pas le ton sévère de Dakota quand il veut lui faire ouvrir les yeux sur la cruauté du monde qui les entoure. S'il savait à quel point elle côtoie le mal au plus proche depuis l'annonce. « Je tomberais sur du moins beau, c'est certain. Mais combien de belles rencontres auront été loupées à cause de cette méfiance ? » Elle réplique sans hésiter, sans perdre son sourire. Elle ne s'est jamais assez méfiée, pas franchement du genre à courber l'échine devant la peur. Sally elle préfère se concentrer sur le vrai et le concret, ces petits détails qui la font vivre un peu plus chaque jour. Même quand le corps de l'inconnu se rapproche du sien, elle ne sourcille pas, l'innocente aux yeux bleus. « Il y a une route là-bas. » Son menton pointe une rue où les voitures filent sans se soucier des piétons. Des hommes d'affaires pressés de retrouver le confort de leur maison, des jeunes à l'ivresse incontrôlable, des mordus d'adrénaline. « Qui me dit que je ne vais pas me faire renverser si je traverse ? Et si je vais dans un bar, un malade peut très bien me tomber dessus. Je te parle même pas du risque de noyade quand si je profite de l'océan. » Un brin ironique quand les yeux sont fixés sur le visage de l'homme. « Si tu me raccompagnes, je veux bien connaitre ton prénom. » C'est une nouvelle initiative qu'elle prend quand elle se met en route en direction de son appartement payé par le paternel. Ce cocon avec vue sur l'océan qui n'est pas si loin, à quinze minutes de marche à peine. Alors que peut-être que c'est juste une excuse pour passer un peu plus de temps loin de la solitude.

(c) élissan.