You have no idea how much I miss you (Bianca)

|	You have no idea how much I miss you  ; Jeff & Bianca

Et s’il l’avait croisée à plusieurs reprises sans même le savoir ? Sans même s’en douter ? Comment aurait-il pu passer à côté d’elle sans la reconnaître ? Comment aurait-il pu humer son parfum sans même tourner la tête vers elle ? Combien de jours a-t-il perdu à ses côtés à cause de son manque de vigilance ? Combien de semaines aurait-il pu passer à ses côtés s’il ne s’était pas laissé ronger par le désespoir de ne plus jamais la revoir, après qu’il a retrouvé un appartement déserté à son retour de New York ? Mais il aura beau s’en vouloir comme jamais, se détester de ne pas s’être davantage démené pour la retrouver, ça ne lui fera pas gagner une seconde de plus, ça ne lui permettra pas de revenir en arrière. En fait, ça ne leur apportera rien, à part de l’amertume, et leurs retrouvailles sont bien trop précieuses pour les gâcher avec ce genre d’émotions négatives.

- Pourquoi je disparaitrais ? Plus personne pourra plus jamais nous séparer désormais.

Plus de parents, plus d’emmerdes, plus rien pour les tenir éloignés l’un de l’autre, plus rien qui soit en mesure de déchirer le lien si fort qui les a toujours rattachés. Et il avait suffi d’un seul regard pour que Jeff réalise que ce lien n’avait jamais disparu ni faibli. Un seul mot pour prendre conscience que tout ce qui avait été enfoui pendant des années avait toujours été présent, si proche, tout en ayant l’air si lointain à la fois, presque inaccessible. Finalement, il lui avait suffi de souffler un peu sur la poussière et les gravas pour que les jeunes pousses de leur relation surgissent au milieu des craquelures de la terre.

- Peut-être que tu pourrais me donner ton numéro de téléphone pour qu’on se programme ça bientôt ? Enfin, si t’es d’accord ?

Jeff d’habitude si brutal, si sec, si pugnace, se montre soudainement si doux et attentionné, comme s’il perdait tous ses moyens en présence de Bianca, comme si elle était le seul être humain capable de faire céder l’armure derrière laquelle il se cache, se tapit, pour se protéger du monde extérieur, et de toutes les choses effroyables qu’il recèle.

D’un geste fébrile, il sort son téléphone de la poche de sa veste, le déverrouille et le lui tend, presque timidement, comme s’il avait peur de lui imposer quoi que ce soit, d’aller trop vite, de la brusquer d’une quelconque manière.

- C’est pas facile tous les jours mais… On s’y fait.

Il va pas s’étendre sur toutes les choses horribles qu’il peut parfois entendre au téléphone, sur toutes les fois où il a juste eu envie de pleurer quand il décelait le désespoir à l’autre bout du fil. Au moins, c’est un boulot qui lui donne le sentiment d’être utile, de pas être complètement bon à jeter.

Il ne saurait expliquer pourquoi, mais il est presque soulagé quand elle lui assure qu’elle n’a personne, que son coeur est toujours esseulé malgré toutes les années qui ont passé. Ca lui donne un peu le sentiment qu’il n’a pas tout raté dans sa vie, qu’il ne va pas débarquer au beau milieu d’un film, sans avoir suivi le début de l’intrigue. Ca le conforte aussi dans ce sentiment égoïste qu’il n’a pas été remplacé. Par personne. Et il s’en veut de ressentir tout ça, parce qu’il voudrait pas qu’elle soit privée de la moindre opportunité d’accéder au bonheur.

- Tu sais bien que j’ai trop mauvais caractère pour garder quelqu’un auprès de moi plus de quelques semaines…

Non, elle doit rien en savoir, Bianca. Parce que la dernière fois qu’elle l’a vu, il était pas aussi brisé. Parce qu’avec elle, il s’est jamais montré aussi incisif, percutant, brutal. Parce qu’avec elle, il s’est toujours senti trop bien que pour nourrir le besoin de se montrer sous son plus mauvais jour.

- Hésite pas si tu veux qu’on commence la séance photo, hein. Parce que je parle, je parle,... Mais j’voudrais pas que tu sois en retard dans ton planning. Tu dois avoir d’autres séances après celles-ci, non ?

Il voudrait qu’elle lui dise que non, que par un curieux hasard, le reste de sa journée lui sera entièrement consacré. Mais une fois de plus, ce serait égoïste. Ce serait souhaiter que tout le monde de Bianca gravite autour de lui, alors qu’il vient seulement de débarquer, de réapparaître. Mais il y peut rien s’il ressent ce besoin de faire durer ce moment privilégié à ses côtés, car au fond de lui, il est encore hanté par cette peur de la voir disparaître de nouveau.

|	You have no idea how much I miss you  ; Jeff & Bianca

Ils se promettent de ne plus jamais se tenir à distance l’un de l’autre. Ils se jurent que plus jamais personne ne les séparera, que plus jamais personne ne leur dira quoi faire, ne choisira pour eux ce qui serait le mieux, alors qu’il s’agit en réalité du pire. Ils ne sont plus des enfants aujourd’hui, leurs parents ne pourront plus jamais les brider d’une quelconque manière, les arracher l’un à l’autre. C’est pour cette raison que Jeff a mis les voiles il y a quelques années déjà, préférant vivre à la rue plutôt que de supporter plus longtemps la présence de ceux qui lui ont tout pris, sans se soucier de son bien-être, de son bonheur, de son épanouissement. Pour ses parents, Jeff n’a jamais été qu’un nuisible, un boulet qu’ils étaient obligés de se traîner sans jamais pouvoir s’en débarrasser.

Le téléphone récupéré, il détient désormais le moyen de la contacter à tout instant, afin de rattraper le temps perdu, de récupérer toutes ces années gâchées. Intérieurement, il se promet de mémoriser les chiffres qui composent son numéro, afin de ne pas être confronté au même désespoir que la dernière fois, quand il avait réalisé, une fois qu’il s’était retrouvé à plusieurs milliers de kilomètres de New York, qu’il ne disposait plus d’aucun moyen pour garder ne serait-ce qu’un lien infime avec celle auprès de qui il avait grandi.

L’atmosphère devenue suffisamment paisible, Bianca semble assez à l’aise pour se permettre les taquineries d’autrefois, celles qui lui avaient tellement manquées, dont il a été privé injustement.

- C’est mieux que rien, pas vrai ? qu’il lâche avec un sourire discret posé sur les lèvres, sans chercher à protester avec les bougonnements habituels, car Bianca est encore une privilégiée, malgré les années qui ont passé. S’en doute-t-elle seulement encore ?

- Ca m’va parfaitement. T’as qu’à me dire ce que je dois faire.

Jeff est pas à l’aise à l’idée de poser face à un objectif, qui révèlera sans doute tout ce qu’il déteste chez lui. Mais c’est Bianca qui va s’occuper de lui, le mitrailler sans le juger, en faisant ces petites choses qui parviennent toujours à le mettre à l’aise, et ça suffira à lui faire oublier la raison pour laquelle il est venu ici.