remember me under the sun (isabella)

Sur le bois de l’étagère, derrière les breuvages amers qui ont nourri ses cauchemars rassis, un miroir reflètent ses traits sévères, tirés, épinglés dans la contenance d’une chemise ivoire. Elles flânent à la recherche du néant, ses prunelles rocailleuses qui caressent le bois ciré du comptoir, piégées dans des pensées névralgiques. Il est en avance pour le dîner et frotte assidûment sa chevalière contre son verre baigné d’ambré.
Lion se maintient à l’écart des ombres dissidentes qui viennent déranger sa tranquillité, le visage des mauvais jours terni par les souvenirs épuisés et indulgents d’Isabella. Il songe au soleil qui a bruni sa peau témoin des actes douloureusement manqués par le garçon, à ses lèvres libérées de ses baisers et son corps de l’étau de ses caresses, et à cette femme enfin, il songe à elle tenue derrière son bureau.
Il ne lui reste d’elle que des élucubrations morcelées, comme si elle n’avait fait qu’être morte jusqu’à ce que son spectre apparaisse dans un coin de la pièce. Et entre eux la mort s’était chargée de creuser, les vers d’élargir la fosse où est jetée la mémoire de ce qu’ils ont été. Il ne s’est plus jamais retrouvé dans ses yeux.
Le rideau de la nuit s’affaisse silencieusement nappant les relents de jour, le whisky s’est dissout à en apaiser le tissus brûlant de ses pensées.
« Monsieur Brummell, votre table est prête » hochement de tête, il se redresse, rapièce avec minutie ses boutons de manchette, attrape sa veste de costume abandonnée sur le tabouret voisin. Il n’a pas le temps de réunir toutes les pièces de son sublime parce que ses talons foulent déjà le seuil de l’entrée. Elle porte un charme délicat, Isabella, une beauté ambitieuse qu’il fixe avec humilité. « Isabella » qu’il salue sobrement joignant ses côtés, « tu es superbe » il admet sans cérémonie avant de lui tendre son bras. « Tu arrives à point, notre table est tout juste prête » ensemble, ils s’engouffrent dans une vaste salle brassant les piaillements de la clientèle.
« C’est ici ». Il relâche sa captive pour tirer la chaise d’un geste à la fois élégant et usé, un sillon de parfum entoure l’ombre de la nymphe lui rappelant le temps qu’ils avaient passé séparés. Il s’évade à son tour sur la chaise d’en face, retenu dans son rôle d’anonyme.

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{ remember me
under the sun }
crédit/ tumblr ♛ w/ @Lion Brummell

Les deux lunes reflétées dans le reflet offert à sa vue, la beauté latine observe sa tenue. L’air un peu ailleurs, les pupilles perdues dans la brume. Elle s’apprête à rejoindre un homme, mais c’est l’ombre d’un autre qui hante ses pensées. Les songes posés sur le dernier homme qu’elle a aimé, elle retrouve ce soir le premier.

Le premier,

le premier être qu’elle a aimé,
le premier aussi qui lui a appris à être aimée,

le premier amour qui ne s’oublie jamais.

Et la boucle, douloureusement, est bouclée. Comme si la vie s’acharnait à lui rappeler tout ce qu’elle a perdu, tout ce qu’elle n’a pas su garder. Tout ce qu’elle n’a pas su, sans doute, correctement aimer. Elle ne sait plus si elle fait bien d’accepter cette invitation. Elle ne sait même plus, en réalité, pourquoi elle n’a pas dit non. Ou peut-être que si, tu le sais, Isabella. Lion, quatre lettres marquées en toi. Quatre lettres gravées en toi, à feu et à sang. Comme s’il avait imprimé, au plus profond de ton être, un sceau incandescent. Comme si, en te perdant à nouveau dans ses iris, il te rappelait les émois indélébiles.

Lion, elle n’a jamais su pourquoi il est parti.

Pourquoi il l’a laissée, du jour au lendemain, la faisant disparaître d’un simple revers de la main. Comme si elle n’était qu’un mirage, un brouillard qu’il frappe sur son passage. Peut-être même que, au-delà de l’emprise incertaine, celle qui subsiste au fond d’elle, peut-être même que, au-delà de tout le reste, c’est cette question qui résonne dans son esprit tourmenté. Ce sont toutes ces interrogations qu’elle n’a pas su balayer.

Même des années après.

La belle écorchée prend une profonde inspiration avant de saisir son sac à main pour rejoindre le taxi qui l’emmène encore à lui. Le trajet se révèle plus court que prévu tandis qu’elle se perd dans les bribes de souvenirs. Elle glisse adroitement ses doigts contre le tissu délicat de la robe corruptrice juste avant d’entrer dans le restaurant. Nerveuse, peut-être un peu, les émotions encore fébriles.

Et la voilà, face à lui.

La voilà, déjà, auprès de lui.

Élégant et distingué, le charme incontesté. Lion, malgré les années, reste inchangé. Elle n’esquisse pas l’ombre d’un sourire, Isabella, se contente de le consumer de ses iris. – Bonsoir Lion. le salue-t-elle avec la même sobriété que celle dont il a fait preuve. Les sentiments vaporeux, mais l’esprit plus tempéré que la dernière fois. Elle y est préparée cette fois. Il y a peut-être les cachets qui font effet, ceux qui ont augmenté. – Je te remercie. elle se contente, au lieu de lui renvoyer le compliment. Glissant sa main délicate contre le bras de son premier amour, elle laisse ses pas la diriger dans le silence. Au tintement régulier de ses escarpins contre le sol, s’ajoutent bientôt les vrombissements de la foule qui les entoure. Elle le remercie brièvement quand il tire sa chaise, sa frêle silhouette effleurant un instant la sienne. Elle s’installe sur le velours avant de poser ses opales sur lui alors qu’il en fait de même. Les apéritifs énoncés au serveur, ils se retrouvent, déjà, seuls.

Lion, il a les yeux qui te brûlent le cœur.

Elle le contemple une seconde, deux secondes, trop secondes de trop. Et, avant de laisser les émotions prendre le dessus sur sa conscience habituelle si raisonnée, l’ébène finit par parler, le semblant de spontanéité savamment maîtrisée. – Alors… dis-moi. Quel est le but de ce dîner ? Car il lui est plus facile de découvrir ses intentions, avant de révéler les siennes. Plus facile pour s’ouvrir d’attendre que, lui, se révèle.