Troisième sexe - Emilyana (terminée)

/ !/ Les quelques points suivants seront vécu par le personnage / !/
1/ « Certaines personnes viennent au monde avec de la chance parce qu’ils sont nés dans une famille riche ou aimante ou parce qu’ils étaient attendus comme un petit miracle ou encore parce qu’ils sont nés où et quand il le fallait. D’autres sont nés dans des circonstances bien moins belles … J’en fais partie. Oh, mes parents n’étaient pas violent ni pauvre et ma mère a toujours été présente pour mes frères et sœurs et moi. Non, ce n’est pas pour cela que je dis cela … » Elle soupire doucement et laisse son doigt tourné sur le bord du verre qui se trouve devant elle laissant passer une légère mélodie. « Je ne suis pas née comme tous les bébés. Je suis née avant terme, comme si j’étais impatiente de vivre l’Enfer à laquelle je semblais condamné … Pure folie. Lorsque je suis née, tout paraissait normal pour un bébé qui vient de naître prématurément d’un mois mais après des examens, les médecins se sont aperçus que je ne pourrais jamais entendre. Sourde j’étais, sourde je serais. Je n’ai jamais eu l’occasion d’entendre la voix de mes parents, les rires de mes frères et sœurs. C’est la chose que je regrette le plus dans cette surdité mais j’ai toujours bien vécu parce que pour moi, c’était normal, naturel tu vois ? Comme toi tu entends et tu le prends pour acquis ben moi, j'ai appris à vivre avec. »
2/ Elle boit un coup, laissant une trace de son rouge à lèvre rose. Elle entoure une mèche de ses cheveux blonds autour de son doigt avant de l’enlever pour recommencer. Une manie, habitude qu’elle a depuis que ses cheveux ont poussé. Ses yeux se perdent un instant dans le vague. « Etre sourde n’est pas le plus compliqué dans ma vie, je dirais même que je suis reconnaissante à cette vie de m’avoir fait sourde. Enfin, je dis ça mais ça n’a pas toujours été facile d’avoir sa place aussi bien à la maison qu’à l’école. Il faut dire que mon père ne souhaitait pas que j’aille dans une école spéciale … Ca s’appelle un bon gros déni ça m’enfin … Du coup, les professeurs devaient faire attention à ne pas se tourner en parlant afin que je puisse lire sur leurs lèvres. Ben ouai, pas de chance, je suis une experte de la lecture sur les lèvres … Et je connais la langue des signes sur le bout des doigts si je puis m’exprimer ainsi ahahaha. »
3/ Son poing se serre tandis que celui qui tient le verre reste aussi impassible que possible –si tant est qu’un poing puisse être impassible …-. « Si seulement il n’y avait que mes oreilles qui clochaient chez moi, tout aurait été tranquille ! Mais non, il a fallu qu’il y ait autre chose … Je ne suis pas née dans le bon corps … Ou alors c’est mon âme qui s’est plantée d’endroit je sais pas. Qu’importe. Le truc le plus important c’est que quand j’étais gamine et ce pendant très longtemps, j’étais comme prisonnière de mon propre corps. C’est franchement flippant pour dire vrai. En fait, pour tout te dire, je ne suis pas née Elle mais plutôt Il. Je suis née en tant que Christopher Dimitri Silaïev, un bon prénom de mec en somme ! C’est plutôt joli d’accord mais moi, ça ne m’a jamais plu d’avoir un prénom de mec, d’être dans un corps de mec. Bref, d’être un mec. Très jeune, j’ai compris qu’il y avait un truc qui collait pas mais je n’avais ni la maturité ni les mots pour le dire et puis quand j’ai compris, j’ai gardé tout cela enfouie, un secret bien gardé. Une blessure ouverte qui me bouffait le cœur, les entrailles … Personne ne voyait mon mal-être, cette envie de ne pas être moi, d’être un autre moi … Personne … »
4/ Emilyana a les larmes aux yeux. Des perles salées qu’elle contient, ravale tandis que les images de son enfance viennent perturber ses mots. Elle se revoit enfin, petit garçon encore pleurer dans le noir de la nuit. Elle se revoit se cacher dans sa chambre et essayer d’abord une robe de la maman puis des talons trop grands pour ses petits pieds et puis le maquillage. Et puis tout en même temps. Elle se revoit, se regardant dans le reflet d’un miroir et voir les bêtises qu’elle a faites avec le mascara, le rouge à lèvre mais se sentir plus naturel comme ça qu’avec ce corps de petit mec. Elle se revoit reposer le tout à sa place. Elle se revoit faire comme si de rien n’était. Elle se revoit jouer au ballon avec ses frères, ses potes de l’époque tout en lançant un coup d’œil aux filles qui jouaient à la poupée ou bien à la corde à sauter ou à d’autres jeux dans le genre. Le Christopher de l’époque enviait ces filles qui pouvaient faire ce qu’elles voulaient, jouer à ce qu’elles voulaient et il éprouvait en même temps une colère sourde qui grondait en lui un peu plus chaque jour.
5/ Emilyana, ou plutôt Christopher à cette époque ne supportait plus qu’on le touche à partir de 10 ans. Que ce soit sa mère, son père, ses frères et sœurs ou même ses plus proches amis(es). Il ne supportait plus aucun contact. C’était trop dur avec la puberté qui venait tout doucement frapper à sa porte petit à petit. Il était malheureux. Beaucoup trop malheureux. Son père pensait que c’était passager mais en même temps il était fier parce que ça voulait dire que « son p‘tit mec » comme il aimait à l’appeler était viril, un homme, un vrai mais il ignorait qu’en secret, son enfant pleurait, souffrait …
6/ « La souffrance psychologique est la pire des souffrances. » Reprend Emilyana comme si elle ne s’était pas interrompue. « Les blessures physiques guérissent, tarissent et finissent par se faire oublier mais les blessures psychologiques restent ancrées. Elles laissent des cicatrices imperméables et qui ne se referment jamais totalement. A l’âge de 15 ans, la souffrance était telle que je ne pouvais pas la laisser à l’intérieur, il fallait qu’elle sorte. J’ai été une véritable merde pendant des années, j’étais vraiment pas sympa. En plus de détester être touchée, j’étais pas sympa … En plus, je me scarifiais parce que c’était le seul moyen pour moi d’échapper à la souffrance psychologique. Oui, c’était pas la meilleure des solutions je veux bien le croire. Cependant, à cette époque, tout me paraissait mieux que l’Enfer intérieur que je vivais … »
7/ Elle repousse son verre vide du bout du doigt avant d’ajouter : « Et puis un jour, à 17 ans, ça a été tellement dur que j’ai fait une tentative de suicide. Ma sœur m’a trouvé dans la salle de bain, saignant comme un porc, les veines ouvertes. Les pompiers m’ont sauvé. Mon père me regardait à peine après cela, il avait honte que son fils tente de s’enlever la vie probablement. Ma mère était tellement inquiète qu’elle se fichait bien de ce que pouvait penser mon père ou les autres personnes de la famille … Ma sœur m’en voulait à mort pour lui avoir fait ça même si ce n’était pas prévu que ce soit elle qui rentre … Bref … J’avais foutu un bordel monstre dans la famille. C’est là que j’ai tout avoué sur mon lit d’hôpital alors que le psychologue me posait des questions. J’ai craqué. J’ai crié. J’ai pleuré avant de tout avouer … J’ai vu ma mère pleurée puis me prendre dans ses bras en faisant attention à ne pas faire mal à mes poignets abîmés par la lame d’un rasoir. Après ma mère, je l’ai dit à tout le reste de ma famille ce qui à achever d’étioler les relations que j’avais avec mon père … Il ne me parle absolument plus depuis lors … Difficile de vivre sous le même toit. Je suis sûre qu’il aurait bien voulu me mettre à la porte mais ma mère a toujours été là pour me protéger. Elle m’avait accepté et c’est tout ce que je demandais en vrai. »
8/ Un léger sourire sur ses lèvres et elle ajoute : « Ensuite, j’ai terminé mes études au lycée et je suis partie pour New-York, la ville de tous les possibles. Loin de mon père aussi. J’ai commencé des études pour devenir wedding planneuse et professeur de langue des signes. Double cursus qui n’avait rien à voir mais j’étais tellement bien. C’est aussi véritablement à partir de ce moment-là que je me suis achetée des fringues, du maquillage et des pompes de nana. C’est aussi ici que j’ai initialisé ma transformation mais comme je n’avais pas 21 ans, il me fallait l’accord de mes parents. Seul ma mère me là donner mais ça suffisait. Je n’ai jamais voulu qu’elle paie quoi que ce soit parce que c’était ma décision, mon choix de vie et que c’était à moi de le faire. Avant de faire quoi que ce soit, j’ai eu des entretiens avec des psychologues, des psychiatres afin d’être parfaitement sûr de moi, que j’étais saine d’esprit etc. etc. Ensuite, j’ai eu l’accord et j’ai pleuré de joie … Enfin. J’ai travaillé extrêmement dur pour mes cours et pour économiser un peu pour les opérations et les cachets que j’allais devoir prendre mais je me suis endettée. Aujourd’hui encore, je rembourse … A 20 ans j’ai eu ma première opération puis les cachets etc. etc. Je ne vais pas tout te dire ce serait trop long mais voilà … C’est là où j’en suis en ce moment mais ce n’est pas totalement terminé … »
9/ Elle met une mèche de ses cheveux derrière son oreille avant d’ajouter : « J’ai finalement eu mes diplômes … pas en même temps et j’ai été embauché dans une agence de wedding planneur où j’ai rencontré deux personnes merveilleuses qui m’ont immédiatement accepté tel que j’étais et qui m’ont appelé Emilyana immédiatement même si ce n’était pas encore officiel. On est devenu très vite très proche et on travaillait toujours ensemble. On était un trio qui arrivait à satisfaire presque tous nos clients. Ca énervait certains et on était souvent critiqué, enfin surtout moi. Enfin, pour le coup, j’ai la chance d’être sourde du coup, je le lisais plus sur leurs lèvres … Il y a trois ans, on en a eu marre des coups bas et on a décidé de fonder notre propre boîte de wedding planneur. On a fait ça dans le plus grand secret pendant qu’on travaillait encore dans l’autre boîte. On devait tout préparer avant de déposer notre démission. C’est ce qu’on a fait dès  qu’on a eu notre premier client il y a presque deux ans. Depuis, on est très heureux et bordel, qu’est-ce que je suis contente d’avoir fait ça ! Mais bon, je ne suis pas qu’une wedding planneuse, je donne des cours du soir à des personnes qui veulent apprendre la langue des signes pour différentes raisons. Je me sens utile et ce handicap est moins lourd à porter. » Elle se mord les lèvres, hésite un instant avant de soupirer : « Depuis mon endettement en tant qu’étudiante parfois je fais l’escorte girl. Je vends mon corps à un bon prix sur mon propre site –sans aucune photo dessus, il ne faut pas qu’on sache que je suis une escort après tout !- Je n’aime pas donner mon corps ainsi mais je n’ai pas le choix … J’ai l’impression d’être une bête de foire, un monstre, une curiosité à voir et à avoir dans son lit au moins une fois dans sa vie … Dès que je le peux, je disparaitrai du monde des escort c’est sûr ! » Elle soupire. Elle a enfin fini de parler de sa vie. Aujourd’hui elle est bien plus heureuse que lorsqu’elle était enfant ou adolescente. Elle est fière de qui elle est. Fière de son parcours et si un jour elle peut devenir un exemple pour certains alors, elle n’hésitera absolument pas.