d’or et de lumière. / deborah

Le silence qui régnait entre Deborah et elle semblait lourd. Anita revoyait, comme un film imprimé sur sa rétine, la tombe de ses parents. Et il y avait cette nausée qui la prenait à la gorge, soudainement. Cela faisait quatre ans. Cela avait fait quatre ans que ses parents étaient morts et la blessure était toujours aussi vive. Toujours aussi brûlante. C’était comme une plaie béante, ouverte, qui continuait de saigner. Anita était d’avis que jamais elle ne se refermerait. Et elle allait continuer de grandir, de vivre avec ce trou dans la poitrine, ce trou énorme comme un gouffre sans fond jusqu’à la fin de ses jours. Doucement, Anita se met à soupirer. Malgré les années qui passaient, la perte de ses parents restait toujours aussi dure à encaisser. Peut-être parce qu’on l’avait soudainement arrachée à son monde de fantaisies et de rêves ; peut-être parce qu’elle s’était retrouvée propulsée chez les adultes alors qu’elle n’avait que douze ans. Peut-être parce qu’elle avait vu sa famille éclater, Deborah leur être enlevée. Peut-être parce qu’il s’agissait de ses parents et qu’on n’était pas censé perdre ses parents si jeunes. « Merci d’avoir bien voulu m’accompagner sur leur tombe, Annie murmure tandis que les deux jeunes filles arrivent en bas de chez Deborah. C’était bien… c’était bien que tu sois là. »

Anita offre à sa sœur adoptive un sourire teinté de tristesse. Elle ne voulait pas rendre la soirée plus morose qu’elle ne l’était déjà. Elle voulait profiter de la rousse autant qu’elle le pouvait. Depuis qu’elle l’avait retrouvée, Anita voulait passer le plus de temps possible avec Deborah. C’était devenu essentiel dans sa vie. Elle avait besoin de passer du temps avec Deborah. Seule. Sans ses frères. C’était probablement pour cette raison qu’elle n’avait jamais rien dit à Irwin ou encore Vlad. Elle ne voulait pas qu’ils lui volent Deborah. Elle ne voulait pas avoir à la partager comme autrefois. Et plus elle passait du temps en sa compagnie, plus il lui devenait difficile d’envisager qu’un jour il faudrait avouer la vérité à Irwin et Vladimir. Et ça, son petit cœur de petite fille jalouse l’en empêchait. Alors elle restait égoïstement à garder Deborah pour elle seule et cela lui convenait. « Je suis contente de passer la soirée avec toi, elle reprend, déjà plus souriante. » Cela lui convenait parce que, pendant ces instants où elles étaient ensemble, plus rien d’autre ne comptait.

Même si c’est douloureux, même si ça fait mal, là, juste là dans la poitrine, tu savais qu’il fallait que tu sois là. Avec elle. De toute façon tu n’erres dans ce cimetière que lorsqu’elle est là, avec toi. C’est toi la plus grande mais parfois tu te demandes si c’est pas Anita la plus mature entre vous deux. Du moins pour gérer les émotions. Comme d’habitude toi, tu enfermes tout au fond de ta petite tête. Quand la douleur ne sort pas, t’as l’impression qu’elle est moins grande, moins présente. Elle ne disparaît jamais totalement mais elle est moindre. ” De rien. Tu sais que je serai toujours là. “ Et c’est vrai. Quoiqu’il arrive, tu seras à jamais présente pour elle. Même si ce n’est pas le même sang qui coule dans vos veines, même si vous n’êtes pas nées de la même mère ni n’avait de père en commun, Anita est ta petite soeur. Personne ne pourra t’enlever ça. T’y as cru un temps, t’as douté. Quand ils sont morts justement. Mais le temps est passé et ton esprit s’est apaisé. Après ce moment pas très drôle dans cet endroit pas très drôle avec cette ambiance pas très drôle, vous avez besoin d’un peu plus de liberté. En bas de chez toi, tu déverrouilles la vieille porte en bois et acier qui grince à chacun de tes passages. Niveau discrétion on repassera. T’attires Anita à l’intérieur, tu lies tes doigts au sien pour gravir les marches qui t’amènent à la porte de ton appartement. Enfin studio à ce stade là. Tu t’estimes heureuse d’avoir une salle d’eau et la cuisine intégrée, faut pas trop pousser vu tes revenus. ” Je suis contente que tu sois là. “ Parce cette période n’est jamais facile, parce que c’est bien de la traverser à deux. Vous pourriez être quatre, mais ce serait raviver trop de souvenirs d’un seul coup. Une fois à l’intérieur, tu dégages tes godasses, tu jettes ton sac sur le meuble de l’entrée et tu te diriges vers la fenêtre pour l’ouvrir. T’aimes pas te sentir oppressée, avoir l’impression d’étouffer. Pascal doit dormir dans ta chambre, dans son vivarium improvisé et puis figaro - prénom pour aujourd’hui - vient miauler pour signifier sa présence. ” On commande des pizzas ? “ Un grand sourire vers la petite brune et le téléphone déjà dégainé. T’en prends deux grandes, parce que comme ça, t’en auras pour les repas des prochains jours. Pas besoin de réfléchir pour savoir quoi manger. Au téléphone tu demandes d’un geste de la main ce qu’elle veut boire. T’as toujours du soda, du café et du jus de fruit qui traîne pour les matins difficiles. Quelques précisions données sur ton adresse et plus qu’à attendre le livreur. Tu prends du jus d’orange pour toi, remplis son verre et regagne le salon ou plus précisément le salon tiret chambre et t’installes sur le canapé convertible. ” Bon alors quoi de neuf ? “ La question qui veut tout et rien dire. Mais il faut bien passer par là pour avoir des informations sur sa vie.