noyade (venuzia)

les pinceaux valsent entre tes doigts délicats et fins. les couleurs patiemment travaillées depuis de longues minutes sur la base de tes inspirations actuelles; s'assemblent puis se mélangent dans une harmonie subjective. en ce moment tu aimes user et abuser des couleurs pastels mais tu conçois que ce ne soit pas du goût de tout le monde. tu es dans une sorte de phase, du genre qui empiète sur plusieurs domaines à la fois. pas que la peinture donc, mais aussi la literie de ton appartement. même la paire de rollers flambant neufs que tu as achetés en début de semaine est dans ces tons-là. c'est pratique d'avoir de l'argent à plus savoir quoi en faire, notamment quand il s'agit de satisfaire ses pulsions. il paraît que ce genre de « période de couleurs » pour les artistes a une signification particulière mais dans ton cas, tu ne penses à rien d'exceptionnel. aucune explications hormis ces chansons un peu vieillottes que tu aimes écouter en te préparant avant d'aller en cours et qui te rappellent les matins où ta fratrie et toi regardiez la télé en douce avant que l'on ne vous crie de partir à l'école en toute hâte. c'est parce que tu n'as rien à voir avec les artistes que tu étudies à longueur de journée, venuzia. tu aimes profiter de moments de calme comme celui-ci pour t'imaginer dans leur peau mais tu n'as rien à voir avec eux. toi, tu n'es pas faîtes pour rester dans une seule case. c'est d'ailleurs pourquoi ton statut de princesse sur ta terre natale est parfois si pesant. tu es plutôt faîtes pour faire et voir un peu de tout. pour l'instant tu peints et tout à l'heure tu seras au club de krav maga. en ce moment tu te passionnes pour les couleurs pâlottes et la semaine prochaine tu feras chauffer ta carte bancaire pour égayer ton chez toi avec des couleurs un peu plus vives et dans l'air du temps. tu es l'eau et le feu, princesse. tu es le calme et la tempête. tu multiplies les activités, craintive de sentir la vie (et le temps qui t'es donné) échapper entre tes mains. tu es dans le contrôle mais tu peux pas toujours l'être. il y a parfois des imprévus. comme ce claquement de porte auquel tu ne fais pas attention, ce dos qui rencontre le tiens et te fait sursauter, ce pinceau que tu lâches et qui finit sa chute au pied de ta chaussure gauche. c'est passé à un cheveu de salir ta paire favorite du moment. tu rigoles pas avec ce genre d'accident, c'est du sérieux tes affaires au prix où tu les payes alors tu ouvres la bouche avec la ferme intention de t'offenser contre le fauteur de trouble. les mots piquants meurent dans ta gorge quand tu rencontres son visage. ses yeux. quant tu entends sa voix. tu reconnais l'étudiant car vos chemins se sont déjà croisés. pas très loin de cette salle d'ailleurs et pas plus tard que la semaine dernière. venuzia, tu t'adoucis en repensant aux insultes et aux regards mauvais. tu n'es pas une sainte, tu n'as pas en horreur l'injustice mais tu as toujours eu un faible pour les animaux mal au point. et c'est à ça qu'il te fait penser ce jeune homme, à une pauvre bête. « ils sentent la rose, ça te va ? » tu lui tends le paquet que tu poses ensuite sur une table pour qu'il puisse prendre d'autres mouchoirs si besoin. « tu ferais peut-être mieux de t'asseoir, non ?» tu tires en arrière la chaise la plus proche et encourage le jeune homme à prendre place dessus avec une main sur son épaule. tu ignores quels sont les bons gestes à adopter dans ce type de situation mais tu penses pas, t'essayes d'agir sans toutefois le fixer. faut dire que c'est un peu repoussant de le voir en sang alors tu évites de trop le regarder car ça te mets mal à l'aise. à la place, tu portes ton regard sur la porte avec l'appréhension de la voir s'ouvrir brutalement. « tu ferais mieux de rester un petit moment ici, c'est plus sûr le temps que ça se calme dehors. » tu n'es pas devin pour un sous, princesse, mais tu n'es pas idiote. et tu as un bon sens de la déduction. tu fais liens entre les bruits de pas hâtifs dans les couloirs, les exclamations un peu fortes dont tu n'entends pas forcément tous les mots et ce que t'as vu la dernière fois.

tes lèvres d'un rouge profond dessinent un petit sourire en coin. tu ne t'attendais pas, dans de telles circonstances, à un trait d'humour de la part de l'étudiant. mais tu apprécies cette façon de dédramatiser la situation, l'enjolivant presque. « et moi je te répondrais que je l'entends se hâter de se cacher. » malheureusement, la réalité est toute autre dans les couloirs de la faculté et aucun de vous deux ne peut s'y tromper. tu imagines sans mal que de l'autre côté de la porte le deuxième round (ou peut-être plus) se prépare minutieusement telle une férocité promise. il y a des regards qui ne trompent pas. tu les reconnais, toi. c'est ce même genre de regards que tu rencontres à travers les grilles rouillées du refuge animalier dans lequel tu es bénévole depuis ton arrivée dans le queens. l'homme et le chien, dans ton imaginaire se superposent. tu devines la douleur derrière le rire et l'innocence. ça te fait un pincement au coeur. tu n'aimes pas la violence qu'elles en soient les raisons. t'as pas besoin de connaître le comment du pourquoi, tu ne cautionnes tout simplement pas. mais t'es pas une justicière, tu ne comptes pas t'interposer ni faire barrière aux coups. mais tu peux écouter ou à défaut, essayer de rendre le moment un brin agréable en attendant que ton camarade puisse reprendre le cours normal de sa vie. « alors nous avons de la chance, rien que la vue de cette porte devrait suffire à les tenir à distance. à moins qu'ils soient incapable de la voir, encore mieux. » des clichés, encore des clichés mais qui sont terriblement empreint de vérité. juste. tu leur craches dessus mais t'as pas pas le droit. surtout pas toi, venuzia. t'en es un. tu l'as toujours été. t'en as même quitté un pour en rejoindre un autre alors t'es vraiment mal placé pour dire quelque chose. ceci dit, ça t'empêche pas de te sentir au-dessus. pas parce que quelque part dans ce monde t'es une personne importante, une petite princesse chère à son peuple mais uniquement parce que tu n'approuves ni les loisirs de ces brutes, ni leurs méthodes. il y a milles et une autre façon de s'occuper, voire d'extérioriser ses pensées. eux ils cognent, toi tu peints. tu es peut-être un cliché, mais tu en es un meilleur. davantage encore si tu es douée. tu sais pas si tu l'es mais le compliment de ton camarade te fait plaisir. « merci. » tu te sais meilleure sur une tablette graphique. la peinture c'est beaucoup plus récent pour toi, tu la perçois comme une dimension à part et dont tu es loin d'avoir cerner toutes les complexités. tu tires une chaise et t'assois à ton tour; découvrant pour la première fois ton travail de loin.  « mais c'est pas fini. » tu n'as pas encore retranscris tout le flux de pensées qui occupe ton esprit actuellement. « si tu as franchis cette porte je peux en déduire que tu as la fibre artistique ? » tout le monde ne l'a pas. certains disent que c'est un don. toi tu penses que c'est plus le reflet de la sensibilité de ceux qui l'ont ou quelque chose comme ça. t'as pas d'avis arrêté sur le sujet, ça te servirait à rien. en revanche tu penses que si ton camarade est ne serait-ce qu'un peu intéressé par l'art, il y a moyen pour vous deux de bien vous entendre.

le malheur des autres te peine sincèrement; la violence dans toute sa globalité te désespère au plus haut point. tu te sens touché comme en plein coeur, princesse, par ce jeune étudiant blessé et vulnérable venu trouver refuge dans le tien. une étrange coïncidence qui titille ta curiosité et qui, ajouter à ton instinct naturel, te pousse à poser ton pinceau sur un vieux morceau de chiffon. pour la première fois depuis des heures, tes pensées se détournent de la toile inachevée, laissant à l'abandon ce que tu tentais de transcrire d'une façon nouvelle. « on peut faire genre si ça peut te redonner le sourire. mais je ne te conseille pas, je suis bien piètre chanteuse. » t'en as des cordes à ton arc jolie blonde mais pas celui-là. t'es pas parfaite. t'as aussi des défauts et des ratés. c'est pas un manque d'implication de ta part, simplement ta nature. toi. si tu ouvres la bouche, le son qui en sortira sera plus du genre à briser les vitres qu'à vous inspirer des pas de danse. le trait d'humour cache des fêlures, de la rancoeur. tu plonges dedans mais avec retenu, un peu. tu écoutes. tu sais que les gens tristes - comme les animaux - ont besoin d'écoute et d'attention. ils ont besoin de place. tu laisses parler, retenant le sourire en coin que t'inspirent le stéréotype des garçons musclés. tu sais parfaitement à quel point il a raison. tu as fréquenté ce genre de garçons avant de leur tourner le dos avant que ce ne soit l'inverse, poupée avec qui il n'est pas simple de s'afficher. tu croyais en l'amour à une époque, en l'amitié aussi. jusqu'à ce que les façades volent en éclat et que tu attribues sentences sans distinction, avant que des décisions d'adultes n'achèvent les bribes des contes de fées qui ont bercé ton enfance. « non, c'est vrai. pas ici en tout cas. » mais ailleurs, oui. dans les couloirs. un visage comme le sien, un élève qui se fait chahuter dans un milieu où on s'attend à plus de maturité, ça se remarque. [color=#669966]« enchantée hijo, c'est un joli prénom. la prochaine fois que vos chemins se rencontreront, tu l'interpelleras dans sa fuite. t'es pas une justicière venuzia mais t'es pas non plus de ceux qui ferment les yeux. « venuzia.» te présentes-tu à ton tour. « je suis aussi étudiante en histoire de l'art mais tu t'en doutais peut-être déjà. » comme il dit, ce ne sont pas les sportifs qui vont venir exprimer leur créativité ici. « si tu as l'habitude de venir ici, tu peux peut-être me donner quelques conseils ? » t'as l'impression de tourner un peu en rond, il y a quelque chose qui cloche mais tu ne parviens pas à mettre le doigt dessus. « je crois pas être de mauvaise compagnie et je pense que tu vas avoir besoin de plus d'un mouchoir. vas-y sers toi, ne te gêne pas. »

inattendu, son rire cristallin raisonne entre les murs de la pièce d'art et enchante tes oreilles. c'est une onde de positivité bienvenue qui vient succéder à la peur, à la fuite. (à la douleur ?) tu n'as pas la prétention de dire que c'est de ton fait, après tout tu n'as rien fais de particulier si ce n'est lui offrir des mouchoirs et quelques mots que tu espérais être réconfortants, mais t'y as sans doute contribué à ta manière et ça te fait plaisir. tu n'es pas seulement une princesse aux manières de riches, qui ne se refuse rien par habitude et s'entoure par principe de ceux qui peuvent suivre (et comprendre) ton mode de vie. t'es pas qu'une jeune femme superficielle, c'est une façade. t'as un coeur. t'es humaine, t'es sensible. mais pas avec tout le monde. pas tout le temps. tu t'adaptes à ton environnement et à ceux qui t'entourent. ici, dans cette bulle qui se façonne autour de vous sans que tu ne le vois, l'autre toi n'a pas sa place. tu ne la veux pas. tu n'y penses pas. face à la fragilité, tu n'es que douceur. « ça peut se tenter. je suis presque sûre d'avoir un bon jeu d'acteur. » disons que tu as été à la bonne école, longtemps tes camarades et prétendus amis se sont joués de toi et de la sincérité qui te fait parfois défaut aujourd'hui. des séquelles, toutefois incomparables à celles de jeune homme. tes blessures ne sont pas physiques, uniquement ancrées dans ta tête par le biais des souvenirs. mais tout ça c'est loin derrière toi, au final ça n'a plus une grande importance. tu balayes une mèche de tes cheveux comme tu le fais avec tes souvenirs pour te recentrer sur le présent. sur lui. tu l'écoutes en regardant ta toile avec attention, laissant à ton esprit la part libre pour imaginer ce qu'il te propose. « c'est l'évidence même. » maintenant ça l'est, mais pas avant. quand tu n'es pas face à ton domaine de prédilection, l'évidence est moins facile à cerner.  « ne reste plus qu'à savoir quel point je vais mettre en avant. » tu réfléchis à voix haute, venuzia. partagée entre l'idée d'un retour en grèce plus proche que jamais, d'un mariage que tu désapprouves et celle de rester de faire ta vie à new-york. « merci, j'y vois plus clair désormais. » tu sais la couleur qui apportera la touche finale à ton tableau mais te sens-tu prête à la poser maintenant. le goût d'inachevé te parle peut-être bien plus que le reste. ton regard se porte de nouveau sur le jeune homme, sur sa lèvre blessée qui te fait tiquer. t'as mal pour lui. t'aimerais claquer des doigts pour qu'il n'y ait plus de plaie, plus de sang. qu'il se sente mieux. tu te sens comme lors de tes missions humanitaires, face à d'adorables enfants que tu ne pouvais pourtant pas véritablement aider. il est plus grand, bien différent et pourtant tu te sens pleine de tendresse envers lui. il est à des kilomètres de tes fréquentations habituelle. c'est étrange mais c'est ce qui fait aussi que tu as envie d'accepter sa proposition. tu ne dénigres pas ceux avec qui le temps te paraît moins long et plus agréable en d'autres circonstances, mais ils ne peuvent pas tout comprendre ni tout t'apporter. tu as besoin de plus de simplicité. plus de pureté, comme ce que ce hijo t'inspires. « tu n'as pas besoin de me rembourser ses mouchoirs. ce ne sont que des mouchoirs. » c'est vite remplacer mais c'est surtout que tu veux pas ce soit juste une histoire de remboursement. « cependant j'accepte avec plaisir. j'ai un creux, justement. tu me laisses le temps de ranger et on y va ?» tu te lèves d'un bon, prête à tout remballer. t'étais bien toute seule, c'est vrai, mais maintenant tu n'as plus du tout envie de l'être. tu ne saurais dire pourquoi tu as autant envie de continuer à l'écouter et d'apprendre à le connaître.