Vraie visage de la musique - PV Silene

A la recherche d’âmes égarées, d’êtres à dévorer, à consumer comme elle se consume elle-même. Ce travail, c’est sa vie, sa survie, mais également ce qu’il y a de pire en elle. Mais également ce qui fait ressortir ce qu’il y a de plus noir en elle. De plus sombre. De plus dur. C’était tuer ou être tuée, au départ. Ce n’était qu’un moyen de survivre, lorsqu’elle s’est retrouvée à la rue à dix-sept ans, après un séjour en hôpital psychiatrique, après les abus à répétition de son beau-père, qu’elle a cédé à sa part d’ombre. Qu’elle s’est jetée corps et âmes dans cette vie de débauche, dans cette vie qui n’en est pas vraiment une. Et parfois tu regrettes, Silene. Parfois t’as la sensation de tout gâcher. Tout le temps, en réalité. Tu te sens mal, tout le temps, et t’es pourtant incapable de faire autrement. Incapable d’agir autrement. Incapable de te comporter comme une personne normale et non comme cette détraquée, comme cet esprit à la limite de la psychose, qui cherche à prendre le dessus pour ne pas être abusée à nouveau. Pour ne plus jamais avoir à te retrouver éclatée sur le sol d’une ruelle. La vérité, c’est qu’elle se sent vide. Absente de toutes émotions. De tous sentiments. Et paradoxalement, elle continue de souffrir, perpétuellement. Paradoxalement, elle a toujours en elle ce poignard dans le cœur, ce sentiment de ne jamais être à sa place, celui qu’elle ne sera jamais aimée, jamais sauvée. Et peut-être qu’elle ne peut pas l’être. Peut-être que personne n’est capable de sauver un esprit aussi perverti que le sien. T’as juste envie de disparaître. Tu manipules, tu détruis, l’adrénaline se répandant dans tes veines, comme une drogue dont tu ne peux te passer. Mais comme une drogue, la rechute est toujours cruelle. Toujours fatale. C’est pour oublier cette rechute, qu’elle se trouve dans ce bar ce soir. Pour oublier cette rechute, qu’elle est ici, à chercher des futurs candidats pour son émission de malheur. Mais ce n’est finalement pas un futur candidat, qu’elle remarque, mais bien ce chanteur dont elle a croisé, accroché le regard bien plus d’une fois dans ce même endroit. Lui qui semble si différent, si particulier. Et elle sort de son rôle, un instant. Elle sort de son rôle, ne cherche plus à prédater. Seulement à s’en approcher. Peut-être parce que toi aussi, t’es différente, Silene. Peut-être parce que t’as rien en commun avec les ceux qui t’entourent. Et elle fait un pas vers lui, faible sourire aux lèvres. - Bonsoir. Qu’elle lance, naturellement, juste avant de reprendre la parole en plongeant son regard dans le sien. - Je vous ai vu jouer plusieurs fois, vous avez beaucoup de talent. Douce vérité pour engager la conversation, l’envie brûlante de connaître ses secrets, de comprendre ce qu’il renferme. Tenter de discerner cette autre âme à part, comme la sienne. Loin du monde, loin de tout.

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Le regard attaché au sien, elle se laisse bercer, porter par la musique passée, par l’ambiance du bar. Sans savoir réellement ce qu’elle cherche, sans comprendre ce qu’elle devrait chercher. Elle se laisse portée et se retrouve face à lui, qui semble bien plus déstabilisé par son regard que c’est qu’elle pouvait imaginer. Parce qu’il est sur scène, parce qu’il chante et joue sur scène, parce que sa présence est la seule concentration d’une foule de personnes venues pour s’amuser Et malgré ça, face à toi, il est entièrement déboussolé. C’est peut-être l’effet qu’elle fait, l’italienne. Peut-être qu’à force de manipuler, à force de jouer, son regard s’est transformé. Tranchant. Prête à consumer toutes les âmes. A dévorer tous les cœurs. Ce n’est pourtant pas ce qu’elle cherche à faire, avec lui. Elle s’est retrouvée intriguée, par lui, par ce qu’il dégage, par ce mystère, par son côté renfermé. T’as l’air pourtant bien différente, Silene. Mais toi aussi, tu l’es, à ta manière. Toi aussi, t’es renfermée. Renfermée dans ton propre enfer, enfer personnel, tombeau, cimetière. Le lieu de tous les maux. Les souvenirs qu’elle voudrait effacer et qui se rappellent toujours à elle. Les souvenirs qu’elle sent encore glisser contre sa peau, comme des larmes de rasoir ne demandant qu’à faire couler le sang. Son sang.

Et tu te mets à penser que ce serait mieux,
Tu te mets à croire qu’il n’y a que dans la mort,
Que tu pourrais réellement trouver le repos.

Pas ce soir. Peut-être pas demain. Mais un jour. Un jour viendra, la faucheuse l’emportera. Pas ce soir. Pas alors qu’elle se trouve en cette compagnie si différente, sa compagnie à lui. - De rien. Qu’elle lâche, souriant, presque sans le réaliser. Ce sourire, rare, beaucoup trop rare. Rarement sincère, aussi. Et elle s’installe à ses côtés, sur le tabouret qu’il lui indique. - Dans ce cas, vous avez eu raison de travailler autant. Parce que c’est vraiment beau. T’as eu une passion, toi aussi. Tu rêvais cinéma, tu vivais cinéma, c’était tout ce que tu voulais faire de ta vie, tout ce que tu voulais faire de tes journées, mais t’as échoué. T’as échoué parce que tu t’es retrouvée brisée. Et désormais, tu travailles pour cette foutue télé-réalité. - Un whisky s’il vous plait. L’alcool favoris, brûlant sa gorge, faisant ressortir ce qu’il y a de pire en elle. - Je m’appelle Silene. Et vous ? Vile poupée qui cherche à en apprendre plus sur lui, à découvrir ce qu’il est loin de la musique, premier pas d’un joli début.

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Les langues viennent se délier, d’un côté comme de l’autre, entre deux âmes si différentes. Deux âmes contraires et à la fois fusionnées. Il a l’air sombre, Wilhelm, il a l’air sombre et pourtant tellement gentil. Plus qu’elle. Bien plus qu’elle. Toi t’as l’air peut-être plus douce, avec tes grands yeux de clairs, mais il y a ce démon, en toi, Silene. Il y a ce démon qui a été mis en toi, par un autre, par un bien plus sale, bien plus vil. Il y a ce démon qui se nourrit de toi, depuis des années désormais. Il y a ce démon qui ronge ton cœur, aspire ton âme. Le démon, Wilhelm ne le voit peut-être pas, mais elle, elle le connait. Elle le connait par cœur. Elle sait qu’elle lui fera du mal, comme elle en fait à tous. Elle lui fera du mal, parce qu’elle ne sait faire que cela. Détruire. Abîmer. Bousiller. Elle ne sait faire que cela, se plonger dans les abysses, les bas-fonds, brutal, fatal. Elle lui fera du mal, elle le sait, mais elle ne peut s’empêcher de s’en approcher. Elle a envie de s’approcher de lui. Elle a besoin de s’approcher de lui. Acquiesçant d’un signe de tête, elle lui répond, doux sourire aux lèvres. - Oui. Je crois que j’ai un intérêt pour tout ce qui sort un petit peu du commun. Le regard qui se plonge dans le sien, comme si la portée de ces quelques mots était bien plus grande que ce qu’elle voulait bien avouer. Que ce qu’elle est capable d’admettre, elle-même. Elle se perd un peu, profite de cet instant, de cette discussion différente de celles qu’elle connait d’ordinaire. Elle se perd un peu, profite de ce moment différent, aussi différent que lui. La boisson lui est alors remise, un sourire au barman, puis un qu’elle envoie au musicien pour le remercier. Wilhelm. Tu découvres son nom, ses origines et ce côté anxieux qu’il semble faire partie intégrante de lui, de sa personnalité. - Enchantée, Wilhelm. C’est à peu près pareil pour moi. Mes parents sont nés en Italie, oui. Une pensée à son père, à celui qui n’est plus là, le seul capable de l’aimer. Le seul. - Avez-vous déjà été en Pologne ? Qu’elle demande, se tournant vers lui, sirotant son verre. Il est bien plus intéressant que la solitude. Bien plus intéressant qu’elle-même, d’autant plus lorsqu’elle se retrouve seule avec ses idées noires.

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Observer la carcasse à côté de la sienne se détendre, au fil de la conversation, est quelque chose qu’elle apprécie sincèrement. C’est ce qui arrive, les mots s’échangent et lui devient bien plus avenant, moins nerveux, en apparence du moins. Peut-être qu’elle n’y est pas étrangère, l’italienne, laissant son charme naturel opérer à sa place. T’es pas vraiment le genre de femme qui bat des cils, Silene. Pas de celles qui aguichent les hommes. T’es différente, ton charme est différent, ta façon de t’approcher de tes proies est différente, elle aussi. T’as tout de la poupée désaxée avec laquelle on se perd en voulant la sauver. Mais la timidité de Wilhelm lui plait. Ce petit quelque chose de différent, que beaucoup d’autres hommes n’ont pas. Ou que beaucoup d’autres hommes ne montrent pas. Lui, il semble vrai. Honnête. Il semble assumer du mieux possible la personne qu’il est. L’opposé de toi, Silene. Toi, qui te contentes de manipuler, de tirer les ficelles de la vie et de tes relations, le masque apaisant pour cacher la tornade de chaos et de désespoir en toi. - Je l’ai été. Doux sourire sur le coin des lèvres, son regard ne décroche pas le sien, comme si le maintenir parvenait à l’apaiser, un peu. Rien qu’un peu. Comme s’il parvenait à calmer la furie cachée dans ses tripes, contrôlant son cœur et affaiblissant son esprit. Et elle se concentre davantage sur les paroles suivantes de son ami du soir, de son ami de ce soir. La Pologne, l’endroit d’où il vient, un passé lourd et un présent peut-être bien plus sombre encore. - Je comprends. C’est parfois bien mieux de se réfugier dans un doux rêve plutôt que d’affronter une affreuse réalité. Une façon de vivre qu’elle envie. Qu’elle aimerait pouvoir toucher du bout des doigts. S’enfuir, disparaître dans un de ces rêves, pour ne plus jamais avoir à se battre contre ses cauchemars. Contre une réalité qu’elle réfute. - Oui. L’Italie est un endroit magnifique. J’y allais très souvent lorsque j’étais plus jeune. Beaucoup moins aujourd’hui. Parce que l’Italie te rappelle ton père, et tous les beaux moments passés là-bas. Ton père, décédé, seule personne au monde réellement capable de l’aimer. Mais elle ne dira rien à Wilhelm à ce sujet, hors de question pour elle de faire retomber cette douce ambiance, de se livrer sur quelque chose de bien trop intime. - Vous êtes déjà allé en Italie ? Question curieuse, elle est presque certaine que ce n’est pas le cas. Elle ne l’imagine pas comme un de ces touristes amoureux des endroits les plus prisés du monde.

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Une existence dans le déni. C’est peut-être ce qui la guette, elle aussi. Parce qu’elle s’enfonce, toujours plus. Parce qu’elle n’admet pas ce qui lui est arrivé. Parce qu’elle n’accepte pas le traumatisme d’un viol, répété. Parce qu’elle n’accepte pas le traumatisme et les conséquences de ce dernier. Elle s’est retrouvée détruite, encore et encore. Elle s’est retrouvée détruite, à bien trop de reprises pour en sortir indemne. T’es plus que ce monstre, désormais, Silene. Ce monstre façonné de toutes pièces par un autre monstre. Et si seulement tu pouvais l’accepter, et si seulement tu pouvais l’encaisser, peut-être bien qu’un jour, tu pourrais aller mieux. Aller mieux. Doux rêve auquel elle ne songe plus. Doux rêve étalé, effacé, évadé. Pourtant Wilhelm a raison, vivre dans le déni n’apportera rien. Ni à lui. Ni à elle. Avalant une gorgée supplémentaire pour ne plus avoir à songer, à s’évader dans les méandres d’un passé bien trop présent, elle se concentre plutôt sur les paroles suivantes de ce dernier. Il n’a pas beaucoup voyagé, même pas du tout. Et c’est quelque chose que t’aurais pu deviner, Silene, parce qu’il n’a pas l’air d’être un homme qui se laisse guider par l’imprévu, qui vogue à travers le monde. Peut-être à cause de cette timidité, ou à cause d’une certaine peur. - Vous devez être fier de ce que vous avez réussi à accomplir, votre père et vous. Petit sourire alors qu’elle reprend machinalement. - Je passerai voir la boutique. Elle n’y manquera pas, laissant sous-entendre qu’elle serait prête à le revoir. Qu’elle aimerait le revoir. Pour le meilleur ou pour le pire. Certainement pour le pire, le concernant, parce que personne ne rêve d’avoir une femme comme elle dans sa vie. Parce que personne ne rêve d’avoir un poison s’insinuant dans son existence. Personne. - Et bien l’Italie, déjà ! Le rire qui s’envole dans la pièce lorsqu’elle évoque sa terre natale. Elle en est fière. Très fière. - Il paraît que cela à quelque chose d’assez magique pour les étrangers. Son regard se plonge dans le sien. - Quand j’y retournerais, vous n’aurez qu’à m’y accompagner. Proposition jetée à l’aveugle, proposition pourtant sincère, parce qu’elle se plait à découvrir de nouvelles âmes. A dévorer de nouvelles âmes.

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