i walk to the borders on my own. (nevada)

Il veut que ça soit toi qui t’en charge.  
Nevada hoche la tête sans broncher lorsque la réceptionniste du Héra lui répète les exigences du client le plus important qu'abritait actuellement l'hôtel. Si à ses débuts, le môme avait eu beaucoup de à comprendre la différence que ça pouvait bien faire que ça soit l'un garçon d'hôtel ou l'autre qui se charge d'une tâche aussi simple impersonnelle que celle de bagagiste, il avait rapidement fini par réaliser qu’il ne s’agissait pas là d’une réelle préférence mais simplement un moyen pour ces personnes influentes de montrer qu’elles avaient le plein pouvoir d’imposer leur volonté et d’assouvir leur besoin irrépressible de contrôle en tous lieux. Alors qu’il s’enfonce militairement dans les artères de l’hôtel pour mener ses fonctions à bien, Reeves ne flaire pas le piège qui s’apprête insidieusement à se refermer sur lui, bien dissimulé sous une couche de faux prétextes afin qu’il ne puisse être évité. Ce n’est que lorsqu’il pousse finalement la porte de la chambre qu’on lui a désigné que son corps se fige, gelé par la froideur du visage qui l'accueille.  Il n’y a pas de valise. Il n’y en a jamais eu. A la place, il découvre Héra, plantée au milieu de l’immense pièce  qu’elle inonde de toute sa splendeur, le regard cruellement assassin. Il n’a pas besoin de s’interroger longtemps pour deviner les raisons qui l’avait poussée à se déplacer en personne. Il aurait dû savoir que son comportement fuyant ne passerait pas inaperçu aux yeux de sa reine, lui qui faisait toujours en sorte de se trouver sur son chemin dès qu’elle faisait un pas dans les couloirs de l’hôtel. Il aurait dû savoir qu’Héra n’était pas l’une de ces femmes qu’on ignore mais il n’était parvenu pas à se sortir les révélations troublantes qu’on lui avait faites de la tête ni à agir comme s’il ne les avait pas entendues. Il aurait dû savoir que leur discussion n'échapperait pas aux oreilles des Moran, qu'importe le vacarme ambiant qui régnait autour d’eux.

Immobile, le gamin attend  sa sentence, ne décroche pas son regard de la silhouette d’Héra alors qu’elle le contourne pour l’enfermer à double tour avec cette déception manifeste qu’elle s’apprête à lâcher sur lui. Lorsqu'elle revient vers lui, Nevada découvre pour la première fois les griffes et les crocs qui se cachent aussi derrière cette allure féline. Il pourrait se fondre en excuse pour tenter de se racheter, lui jeter un bobard assez convaincant entre les dents pour rassasier ses soupçons mais ça ne prendrait pas. C’est inutile et il le sait très bien. Malgré lui, les doutes étaient parvenus à creuser une galerie jusqu’à son cerveau où ils étaient restés nichés. Il aurait beau essayer, il ne pourrait jamais les masquer à Héra qui le connaissait si bien que ses prunelles dardées sur lui devenaient plus redoutables que le meilleur détecteur de mensonges. Tu me l’aurais dit, si c’était vraiment ce qu’il s’est passé ? Une nuée d’interrogations se battait pour atteindre ses lèvres en premier mais c’était celle qui s’élevait au-dessus de toutes les autres. Se montrerait-elle aussi honnête qu’il l’avait toujours été avec elle, qu’importe les conséquences ? Les yeux du gosse plongent vers le sol alors qu’il attend de découvrir si Héra décidera de lui asséner le coup de grâce pour avoir osé douter de son intégrité ou si au contraire, elle aura la clémence de tolérer ses incertitudes aussi infondées soient-elles. Il a besoin de sa réponse pour arriver à se départir de l’idée que tout ça était bien trop détaillé pour n’être qu’une pure invention de la part d’Aaron. Est-ce que cet homme mesure seulement les problèmes que pourrait lui causer l’inconscience de s’être montré aussi bavard ? Ne sois pas trop dure avec lui. L’alcool s’exprimait à sa place, il n’a pas réfléchi à la gravité de ses propos. Nevada ignore si elle s'est déjà entretenu avec l'ivrogne ou si elle attendait qu’il lui confirme ce qu’on lui avait rapporté en premier lieu mais il lui semble important de rappeler qu'Aaron n'était pas lucide au moment de lui planter un couteau dans le dos. Je suis désolé, pour le silence. Je ne pensais pas que cette histoire te tenait autant à cœur. Ses doigts se referment sur la main posée contre son torse alors que ses entrailles se tordent par peur du rejet que pourrait susciter son manque de discernement. L'idée qu'elle puisse le renier le tétanise à un tel point qu'il en vient à se demander s'il serait seulement capable de se retourner contre elle et venger son honneur si elle venait à lui apprendre qu'il vit dans le déni depuis le jour où elle avait refermé ses filets sur ce môme si terrorisé qu'il aurait accepté de la suivre même si elle s'était présentée à lui les mains couvertes du sang de son père.

Le sourire maternel d’Hera est un détonateur qui commande à ses dernières incertitudes de s’autodétruire dans un nuage de fumée, dynamitées par la honte d’avoir ne serait-ce que traverser son esprit. Plus calme, Nevada s'abreuve de ses paroles, les laisse étancher sa soif d'explications comme si elles étaient la seule vérité qu'il était prêt à entendre. Au regard qu'elle pose sur lui, le môme comprend qu'il réchappera à sa colère et qu'elle fera abstraction des doutes qu'il a laissé s'insinuer dans sa tête pour cette fois, mais aussi qu'il lui faudra bien plus que des excuses pour conserver la confiance qu'elle avait posé en lui et se faire pardonner son recul terriblement injustifié. Le cerveau bien trop accaparé par les remords de s'être laissé duper par la sincérité feinte d'un ivrogne désespéré de le rallier à sa cause, il ne lui répond pas. Semblant comprendre que l'attention du gosse est en train de lui filer entre les doigts, les mains de sa reine s'agrippent à sa chemise pour le ramener brutalement à la réalité. Nevada ne cherche pas à échapper à ses griffes, pas même quand elle fait glisser une arme jusqu'à cet organe qui ne bat pour elle. Le pauvre enfant est si endoctriné qu'il est prêt à grappiller tout ce qu'elle daignera lui donner, y compris l'issue la plus fatale. Quand ses yeux se décident finalement à quitter le flingue, son visage se redresse pour se retrouver à quelques millimètres à peine de celui d'Héra. Il se laisse enivrer par son souffle contre le sien le temps de quelques secondes avant de se reculer et de crever le silence qu'il a laissé s'immiscer entre eux. Ca n’arrivera pas. Quel que soit le poids des atrocités qu’elle lui demandera de commettre pour embrasser sa destinée au sein du clan, le gamin préfère encore alourdir sa conscience que vivre avec la déception d’Héra collée à l'âme.


A l'instant même où la reine lui remet l'instrument létal entre les mains, la porte de la chambre s'ouvre dans son dos dans un timing parfaitement calculé. Il n'a qu'à se retourner pour découvrir Aaron jeté à ses pieds par Seth et réaliser à qui était adressée la prochaine balle qui quitterait ce canon. Il aurait pu disjoncter, exploser au visage d'Héra en l'accusant de folie furieuse mais sa simple proximité transforme toute son essence, le métamorphose complètement. Elle lui donne l'impression de s'élever si haut au-dessus de ses craintes qu'elles ne deviennent rien de plus qu'un minuscule point à l'horizon. Qu'import son coeur qui cogne à un rythme effréné dans sa poitrine ou ses mains dont les tremblements saccadent l'arme, il ne reculera pas. Il la remercierait presque d'avoir pensé à le faire amener bâillonné et de ne pas donner l'opportunité à un seul son de quitter la bouche du coupable pour venir éroder sa foi en ses décisions d'Héra. Les yeux du môme caressent les traits terrorisés d'Aaron alors qu'il réalise avec colère qu'il ne l'en croit pas capable. C'est lui qui tient le flingue mais c'est Héra qu'il implore du regard, la suppliant silencieusement de lui laisser une chance de se racheter. Les dents du gamin se serrent alors qu'il assène un léger coup de canon sous son menton pour lui faire relever la tête vers lui. Face à ce traître, il comprend que l'heure de sa pleine consécration aux Moran est enfin arrivée et une vague de nervosité le gagne alors qu'il se recule d'un pas pour permettre à son dos de rencontrer la silhouette d'Héra toujours derrière lui. La respiration suspendue, il lui adresse un regard empli de dévotion par-dessus son épaule. Maintenant ? Il cache adroitement les quelques dernières hésitations qui persistent derrière cette question. Ôter une vie, ce n’est pas rien, ça ne le sera jamais mais aveugle, il est prêt à se laisser une nouvelle fois guider par la voix qui l’accompagne et qui ne l’a jamais quitté depuis sa tendre enfance.

Instantanément, la tourmente qui divise Nevada de l’intérieur s’apaise sous les mots d’Héra qui cherchent à le rassurer et à l’envelopper de cette carapace impénétrable qui garde toutes ses appréhensions à l’extérieur. Ce qu’il se passe dans cette pièce n’en sortira jamais. Il n’a juste qu’à presser cette détente pour sceller sa loyauté envers le clan Moran et Seth, tapi dans l’ombre en attendant qu’il se décide, se chargera du reste. Héra ne laisserai jamais rien lui arriver et le môme en est à présent certain. Ce n’est pas la crainte de finir allongé sur cette bâche aux côtés d’Aaron pour avoir fait preuve de lâcheté qui le pousse finalement à passer à l’acte mais bien celle de décevoir sa reine, peine bien plus lourde à écoper. Il faut un moment à son souffle saccadé pour se calquer sur celui de la blonde et laisser ses poumons s’emplir de cette bouffée de courage qu’il lui manquait pour enfoncer la gâchette. D’abord, il y a la détonation à peine audible du silencieux, suivie de près par le bruit sourd du corps qui s’écroule et enfin, celui de l’arme que Nevada lâche au sol, surpris par la force du recul. Tout cela s’enchaîne si vite que son cerveau ne parvient pas de suite à faire toutes les connexions et s’octroie un long temps de battement où il se contente de rester là, le regard déconnecté et figé sur la carcasse ensanglantée de cet homme dont il venait d’accomplir la sentence.

Nevada évolue parmi les Moran depuis assez de temps pour savoir que son tour allait forcément venir et qu’on ne gravit pas les échelons du clan en se contentant simplement d’être là. Le jour de faire ses preuves et de mettre en pratique tout ce qu’il avait observé en trainant dans l’ombre d’Héra depuis qu’il est assez grand pour comprendre que les armes que portaient ses hommes à la ceinture avaient un but plus dissuasif que décoratif était enfin arrivé, il s’y était préparé moralement durant toute ces années et pourtant, le gamin n’est plus vraiment lui-même lorsqu’il se retourne enfin vers elle. Il avait de la famille ? Nevada voudrait se montrer sans peur, se parer d’impassibilité pour faire face à sa reine mais l’enfant dont le père lui a été arraché dans les mêmes circonstances ne peut s’empêcher d’avoir une pensée pour tous ces êtres qu’il venait peut-être de plonger dans un deuil sans fin.  Il jette un dernier regard au visage sanguinolent d’Aaron qui, il le sait, interférera encore longtemps dans son sommeil et tentera probablement de s’immiscer dans ses pensées dès qu’il lui laissera la porte ouverte, tout ça jusqu’à ce qu’un autre vienne le remplacer et que le môme devienne l’un de ces membres du corps Moran qui exécutent sans jamais remettre en doute la décision du cerveau. Hagard, ses doigts se tendent pour se poser sur la joue d’Héra et en essuyer les particules de sang qui le macule avant de finalement poser son front contre le sien. Ne doute plus jamais de moi. Il a tout du gamin qui vient de surpasser ses propres limites et qui cherche la fierté dans les yeux de sa mère lorsque ses pupilles écarquillées finissent par s’ancrer dans celles de la reine.