absence, leone

« J’ai vu Leo hier soir, il y a le vice alangui de l’oeil de lubricité, putain mec, si j’l’avais entre mes mains celle-là j’la garderai enchaînée aux barreaux du lit » l’oreille aux aguets, patronyme d’antan depuis quelques temps disparu. Filet de whisky entre ses doigts qu’il verse entre ses lèvres d’où s’échappent encore la fumée morbide de sa cigarette. Côme préserve encore ses prunelles bestiales, féroces des palabres du misérable. Le rejeton n’est pas particulièrement possessif, mais il n’apprécie guère les spectres fugitifs des égos mal léchés. Il comprend vite que c’est à son regard qu’elle s’absout, que la lionne se volatilise ; et il n’y a rien qui ne le rende plus amer que ces bibelots qui échappent à son aval, brise impunément les chaînes qu’il a entortillées tout autour, de ses caresses, de ses baisers, de quelques maux sur le pallier. Lentement, il se redresse hors du fauteuil, abandonne sur une table verre et mégot. « J’me casse, il avertit et à quelques centimètres de la porte, c’est pas l’genre que t’enchaîne, c’est pas l’genre à fuir devant une paire d’orgasmes », finalement abandonne derrière lui ce rire gras qu’il a sciemment déclenché. De longues minutes durant, Côme s’engouffre dans la pénombre exaltée, avant que sa trogne s’éclaire à la lumière de l’appartement qu’il scrute encore enveloppé dans le voile de la nuit. Derrière les rideaux, ses opales devinent l’ombre, la silhouette qu’elles ont longuement vue se renverser, cette colonne se cambrer du plaisir culminant. Plaisirs fastes comme la façon qu’elle avait eue de disparaître. Le gamin n’hésite pas à cogner le bois de la porte, bien décidé à réclamer son dû. Elle s’ouvre, sans doute trop longtemps après qu’il ait frappé, déploie cette figure d’indolence qui semble déjà regretter son geste. Côme contient promptement celui qui s’ensuit et, réprobateur, secoue la tête. « J’devine que j’t’ai pas manqué, le corps qui s’étend jusqu’à l’embrasure de la porte, laisse-moi rentrer bébé ». La louve ne semble pas avoir la force de se battre, lutter pour cette absence qu’elle avait pourtant fomenté. Ce soir, on dirait qu’il n’y a que son temps qu’il pourra voler, alors il s’instille, sans invitation au beau milieu du décor.

@Leone Love

La date approche, arrive sans prévenir, et l'esprit sombre, s'enfonce dans un brouillon de pensées incohérentes, à la recherche d'un semblant de vivant dans cette coquille qui lui semble trop vide. Elle déteste cette sensation qui surgit dès qu'elle s'attarde un peu trop. L'animal feule contre ce brave frère venu la réconforte le temps d'un repas acheté chez le traiteur du coin, la sauvage lui rappelle qu'elle n'a pas appelé à l'aide. Elle se débat brusquement pour s'échapper des liens de pitié familiale qui tentent de l'apaiser, l'effet est tout le contraire. Le désordre violent de sa chambre peut en témoigner. Leone n'a pas besoin de sa charité émotionnelle et lui hurle de dégager, ce qu'il fait sans insister, un livre s'écrase contre le mur d'entrée en même temps que cette porte qui se ferme définitivement. Quelques minutes plus tard, elle l'imagine revenir. La porte s'ouvre sur une surprise tout autant désagréable. Côme. La poupée d'un mouvement presque instinctif, sans lui laisser l'opportunité d'en placer une s'emploie à refermer cette page qu'elle pensait déjà avoir brulé. Il résiste, son corps à la façon d'un obstacle pour forcer le passage. Ses opales se lèvent, agacées, vers le plafond alors qu'il s'est déjà incrusté sans qu'elle n'ait eu le loisir de le contrer. Un soupir s'expulse de ses pulpeuses habituellement plus lascives. « Gagnons du temps » elle propose dans une complicité hypocrite, sourire sec en prime, alors qu'elle conserve une distance de sécurité avec l'indésirable squatteur. « Qu'est ce que tu veux ? » l'enfant teste, chaque apparition du môme maudit est rarement désintéressée. Ses prunelles de manipulatrice maladive le dévisagent un trop long instant, le calcul précis sur la capacité de Bennett à balayer ses fêlures le temps d'un instant. Le seul grain de sable dans l'engrenage est qu'il pourrait être aussi gagnant qu'elle dans le deal que son esprit fomente tout seul. « Tu as peur que je t'oublie ? » Elle articule dans un sourire cruel, rarement bienveillant. La danseuse s'est employée à éviter de croiser sa vie, préférant simplement l'imaginer parfois se tordre de douleur sous son emprise. Uniquement destinée à la destruction, elle n'a aucun autre projet pour lui, le briser. Sauf qu'elle se concentre sur l'essentiel, et qu'elle l'a éjecté de ce cercle il y a déjà un certain temps.

De ce soupir allègrement exalté, il sent l’infime brise qui frappe sa nuque alors qu’il calomnie l’espace de sa silhouette corrosive. Il y a cette tonalité subite de cette ballerine qui estime tout à coup ce temps profane et noircit de l’accointance. Côme arque un sourcil impatient contre cette verve qu’elle dissémine, des mots armés aux voeux sanglants. Il a tourné la face pour pénétrer l’orgueil blessé, glacé ; il a tiré les ficelles, désormais elles éclatent entre ses mains. Leo a cessé d’être familière à ses travers déloyaux, a préféré les strates étrangères, au-delà du mur, ailleurs, et il ne la blâme que parce qu’elle y était déjà trop préparée, à cet outrage.

Des opales qu’il décoche sur l’expression taciturne de la jeune femme « tu peux m’dire c’est quoi ton problème? » il cingle, lames acérées qu’il crache entre ses lèvres. Il n’y avait pour lui aucune incertitude. Jamais. Mais la cave inébranlable de l’infaillible où la brune venait de s’introduire n’était dès lors plus qu’une tanière désordonnée du sceptique capharnaüm. Il y avait plus qu’une salive âcre au fond du gosier qu’elle ne tentait pas de réprimer devant ce portrait qui se dressait devant elle ; et il échouait à deviner les raisons d’un tel suc.

Petite offrande tourmentée qu’elle gerbe à ses pieds, largement emballée dans ce sourire sardonique. Oublier, ce corps qui a marqué de rouge cette peau brune. Oublier, ces râles ardents qui claironnaient dans la nuit. Oublier, cette nuit où les mots sont venus s’écraser contre chacun. Mais Côme n’a que le tendre désir d’éteindre ce rictus qui accule, car il n’y a d’inoubliable que le sempiternel. Et elle, n’avait d’allure que celle de l’éphémère, petite mendiante des opportunités qu’il ne saurait lui donner. « J’suis pas v’nu pour jouer, les yeux emprunts du dédain, Dan m’a dit qu’il t’avait vue l’autr’ soir, qu’t’étais pas loin d’finir entre ses draps. Il assène où l’esprit de l’enfant s’écharpe. Ça m’dérange pas d’partager la marchandise, mais c'que j'tolère moins c'est qu'tu m'fuis comme une putain d'maladie ». A-t-elle subitement oublié comment voler auprès de lui?

Ses opales curieuses l'observent un instant, dans l'attente d'une suite qui lui poignarde son palpitant dysfonctionnel. L'enfant les bras croisés, l'écoute d'une oreille trop attentive, tandis que l'orage gronde dans sa boîte crânienne. Les insultes se meurent sans franchir la barrière de ses lèvres. Sa pression augmente, parce qu'elle se retient, au détriment de sa propre santé mentale déjà suffisamment malmenée depuis ce matin. « Tu as fini ? » elle demande dans une rhétorique vibrante de colère. Leone s'étonne qu'il puisse se poser une telle question alors que la réponse réside dans l'évidence sous ses propres yeux. « Le respect est une notion qui t'est étrangère » elle claque avec honnêteté en attrapant la première chose qui lui tombe sous la main -en l’occurence un cendrier- pour le lui balancer. La seule chose qu’elle regrette est qu’il ne soit pas en céramique fragile. « Je te fuis parce que tu es le genre de type à t’imposer chez une fille qui a perdu son père, un an jour pour jour, incapable de décocher un simple tu vas bien, mais préférer la traiter de vulgaire marchandise » elle éclate alors qu'un bouquin s'écrase violemment sur l'épaule de Bennett. Dégage. Il souille son appartement de sa présence et de ses mots trop pensés qui s'éparpillent dans l'air pour se nouer autour de son cou. Sa présence la fait suffoquer, elle étouffe dans son égoïsme à peine masqué. « Je n'ai pas de temps à consacrer à quelqu'un qui n'est pas capable d'une once d'humanité à mon égard » elle s'essouffle, parce qu'il est trop souvent passé à côté d'elle sans s'arrêter pour venir se plaindre une fois les liens sectionnés. Trop tard, elle s'est déjà échappée de cette emprise qu'elle avait entretenu elle-même bien trop longtemps. La louve constate également qu'il s'est ramené simplement parce que son ami avait éraflé son égo. Ses paupières se ferment un instant face à ce spectacle affligeant pour elle. Rester à ses côtés, c'est se renier, accepter de s'humilier encore plus qu'il ne fait déjà en la coinçant dans une banalité qui le lui va pas au teint.

La langue de la gamine n’a pas encore cillé mais Côme présume que, déjà, elle lui brûle. Et l’esclandre ne tarde pas à détonner, les murs à vibrer. Partout alors, elle tapisse sa colère de vérités farouches, infernales aux oreilles de Bennett qui assiste au ballet tyrannique de la petite étoile, incrédule. La foudre s’abat sur lui comme ce cendrier qu’il évite de justesse, puis ce livre qui marque une mise à mort délibérée et se froisse contre son épaule. Mais le burlesque de la situation s’éteint à mesure que Leone professe le blâme.

Ces rugissements se talonnent les uns aux autres, sans qu’il puisse intervenir. Le rejeton s’imagine avoir enfreint les lois de la décence, termes abstraits qui se bousculent dans cet esprit désordonné. En dépit du vacarme, il saisit malgré lui les frontières inexpugnables qu’il a pourtant égoïstement franchi. Il comprend la peine de ce jour écrit, il y a quelques années, date forte qu’il n’aurait dû si aisément oublier. Il comprend que c’est là un fiel qui dépasse tout orgueil, qu’il s’agit des mots troublés qu’il a mimé entendre, qu’il a mimé confier, à elle désormais tempête.

Ignorant ces temps précieux qu’il a fauché lui-même, il tente d’approcher l’animal enragé sans savoir qu’il est déjà trop tard pour encore souder leur fer. Tant pis. Elle s’est époumonée, a vendu son souffle au trépas de son calme. « Hé hé.. » il s’approche, les mains élevées devant lui avec précaution, écartant de son pied le bouquin écrasé sur le parquet comme s’il s’agissait d’un atout mortel « excuse-moi, ok? ». Toujours avec cette immense vigilance aux creux de ses orbes, il se risque à prendre entre ses doigts le visage du sauvageon, le poil encore hérissé « j’sais qu’j’avais pas l’droit d’dire tout ça, j’sais qu’c’était pas bien », confessions infantiles.

« J’voulais pas d’ça. J’me suis comporté comme un con » en cherchant quelque instant ses yeux, le môme est parvenu à les trouver. Il a l’air honnête tout à coup, il pense même l’être. Et il le sera, avec elle, jusqu’à ce que la soirée s’achève. Mais nulle honnêteté ne fourmille dans ses veines, et le levant laissera intact le scélérat et la fraude périclitera. Toutefois, pour le moment, il est donné d’y croire, à ses apparences ivoires.

Il s'approche, Leone le darde de ses prunelles agressives, lui demandant de prendre garde, l'animal prêt à mordre au premier faux pas de l'humain hasardeux. Toute patience, même s'il s'agit de lui, s'est désormais évaporé. Il ose la touche, elle se tend, ses sourcils se froissent mais elle daigne l'écouter. Rien n'apaise ses maux, au contraire. Ses entrailles se tordent pour ne pas qu'elle oublie son état. « Je pardonne tout le temps Côme » la succube fulmine, la fureur au bout des lèvres alors que le souffle se fait court, les poumons en détresse alors que son palpitant tressaille d’une colère qui lui ferait oublier la peine. Peut être qu’elle en avait besoin ce soir, de cette présence irritante qui la maintient trop vive, comme une blessure qui ne cicatrice jamais. Elle se rappelle de cette boite d’anxyliotique échouée dans les replis de sa couette, offrande de son frère pratiquant l’automédication spontanée grâce à ses relations. Elle préfère s’agacer que sombrer dans cette douce vague médicamenteuse ce soir sous prétexte qu’il s’agit d’un jour particulier. C’est encore pire. « Ça commence à devenir un problème » Leone tranche, inhumaine et ferme. La vérité est qu'elle se sent coincée dans cette boucle infernale d'humiliation, trois claques pour une demi caresse, peu gagnante au change. A défaut d'apprendre de ses erreurs trop multiples lorsqu'il s'agit de Bennett, la distance instaurée par la danseuse avait pour unique d'espacer ces épisodes. Ces retournements qui la déstabilisent, calment en interne son énervement presque hystériques et ses vérités hurlantes. « Même cette date, tu es incapable de t’en souvenir » elle glisse, la déception colonisant son gosier sans savoir si elle a encore le droit de s'étonner de cette négligence dont elle a trop l'habitude. « Tu ne fais aucun effort lorsqu'il s'agit de l'ancien alors que tu te prosternes devant la nouveauté » elle constate, les prunelles alertes avant d'aller ouvrir une fenêtre, pour renouveler l'air qui lui semble irrespirable, trop dense de sa rage. L'enfant se plante, les opales parcourant la nuit, les autres appartements éclairés qu'elle peut voir depuis son perchoir. Il poursuit. Elle l'observe, de sa fenêtre, les traits perplexe sans comprendre ce qu'il fait encore ici. « Qu’est ce que tu veux alors Côme ? » elle rebondit sur ses propres mots.

Elle était là, sa plus grande erreur, dans le bois de son regard qui frappe de grands coups. Il ignore encore qu’elle est l’arme, qu’elle crachera sa balle, à bout portant, contre son crâne. Qu’elle n’hésitera pas faire céder la gâchette pour repeindre les premiers murs qui ont porté ces deux âmes. Les yeux qui se plissent et ses sourcils qui forment une ligne épaisse « qu’est-c’qu’tu croyais Leo? qu’après cette soirée tu s’rais permise d’faire partie d’ce monde? » toutes ces femmes qui colmatent, ne savent plus pourquoi elles ont été là un jour. Il s’écarte, l’animal, atterré. « Parce que t’sais qu’j’ai pas d’temps à donner à ceux qu’en font pas partie. Quoi, Leo? Hein, bordel, quoi? Ma vie a l’air d’un putain d’palace pour qu’tu veuilles autant y entrer? » et l’insipide tonitruant qui tâche déjà le pardon qu’il a quémandé quelques secondes plus tôt. Elle ne sait pas, elle, que la vengeance est chronophage et qu’alors, l’esprit n’est qu’égoïste. Elle croira juste qu’il n’est que saleté.

Côme ne trouve pas les mots pour calmer cette môme à qui il a soufflé le chaud et le froid, sans jamais rien promettre. Et alors qu’elle lui fait remarquer qu’elle était là avant, avant ces autres qui baignent désormais  dans le fléau de ses attentions, l’omega se demande ce qu’elle cherche. Il est vrai qu’elle ne lui semble plus aussi désirable maintenant qu’elle veut trouver sa place auprès de lui, comme les autres.

Il court après le calme tandis que la lionne détale vers la fenêtre comme pour engorger ses poumons de l’air perdu. « J’suis là, non? Tu m’as assez puni pour c’soir Leone » il a l’air suppliant de ceux qui implorent la trêve à force d’avoir été trop longtemps en guerre. Il est là, avec nulle autre qu’elle, autant de temps que cette mascarade continuera de lui plaire. Elle lui fait craquer l’échine, toujours, et il lui fera payer plus tard. « Viens là, il s’fait tard, j’ai pas la force de continuer à m’battre, surtout aujourd’hui » ça n’a rien d’un ordre, il invite d’une main, à ce que les démons s’apaisent pour ce soir au moins. Si ce n’est pas pour lui, alors ce sera pour ce père dont la mémoire ne pourrait être souillée des colères de son orpheline.