Derniers souffles de vie, le coeur sifflant qui s’essouffle, ultime symphonie d’un condamné prématuré. L’existence rectiligne qui s’affiche sur l’écran de l’électrocardiogramme, Roseen observe le voile vermeil qui recouvre le cadavre. Linceul macabre, qui annonce que le coeur ne frappe plus aux portes de la poitrine. L’âme s’est égarée au beau milieu de la nuit, dans une obscurité patente, mue par quelques fourmillements solitaires connus des seuls ténèbres. Elle songe que les âmes s’abandonnent à la nuit sans doute parce qu’ils est plus facile d’y rejoindre les étoiles. Elle a mal au coeur, comme si on lui pinçait l’aorte. L’aigre mélange de celle qui jalouse ceux qui s’en vont mais ne saurait vivre ailleurs que dans la bassesse terrestre. Elle appartient tant au ciel qu’à la terre, poupée duale, bicéphale. Enfin les machines, à force d’en voir, elles aussi cessent de pleurer. On ne retient pas les morts, ni par les larmes, ni par les regrets. À quoi bon, ils s’en vont car ils n’ont pas su vivre, la terre ne semble pas retenir les incapables. La paume gantée contre le front soulève l’air d’une délicate caresse contre l’épiderme glacial du macchabée. La Rose a les yeux clos pour laisser s’échapper une larme imaginaire qui constelle son visage, météore qui dévale ses pommettes. Mais elle ne vient pas, peut-être l’atmosphère est-elle trop chaude de la dernière adrénaline.
« Vous pouvez annoncer le décès » car les ombres autour d’elle avaient cessé de se mouvoir, se retirant dans les frontières religieuses du silence, laissant le gourou parfaire ses rites. L’accalmie cède lorsque le bloc est secoué de l’effervescence extérieure.
« J’aurai besoin d’une infirmière, une femme en état d’ivresse s’est blessée et a disparue dans l’hôpital alors que j’essayais de suturer ses plaies », précieuses confidences, la proposition alléchante qui happe la chirurgienne.
« Où est-elle allée? » Les sentinelles des internes et des infirmiers s’entrechoquent. La volatilisée semble avoir pris les escaliers vers le toit de l’hôpital.
« J’y vais », et afin de briser les complaintes, la supplique de l’urgence,
« l’assistant chirurgien s’accompagnera des internes pour toutes interventions en mon absence ». Alors qu’elle profère ces dernières paroles, elle laisse choir dans la main d’une infirmière le masque et ses gants dont elle s’était parée.
Elle est là. L’envolée. Blottie dans l’obscurité, les scintillements des astres et du Queens qui illuminent son corps. L’effusion semble s’être effacée.
Colombe de la nuit, parjure le jour. Un éclair de paix, colombe de la nuit s’est apaisée. Elle a retrouvé sérénité dans l’altitude, elle ne craint rien, pas même le frottement des souliers contre le sol qui s’approchent dans son dos. Roseen, un sourire en demi-lune, gagne les côtés de la jeune femme tout juste remuée par cette brise qui pourtant fustige. Le silence qui s’éternise, enfin :
« Je viens de perdre mon deuxième patient de la soirée », la gamine tourne la tête, le sourire s’en est allé.
Garde ce secret de polichinelle, car il est là tout ce que je possède de précieux. À nouveau, les prunelles qui fixent le panorama. Roseen parle à l’éméchée comme elle parle à la nuit. Elle pense,
nous avons de la compagnie ce soir, et ce sourire encore.
@Abi Salva