Sometimes our happiness is captured (Frida)

Il est drôle que son mari n'aime pas trainer ici, supporte péniblement la plupart de ses frères et qu'elle-même y vienne régulièrement. Depuis le début, elle vient ici comme s'il s'agissait de son repère. Fraichement débarquée à New-York, parlant approximativement l'anglais et déracinée de toutes ses connaissances avec pour seule famille un père difficile, il lui avait été évident de venir chercher une famille auprès d'eux. Même si la famille McGrath, comme l'avait averti Tomás, était loin du cliché de la famille soudée et aimante. Plus tous les secrets qui entouraient les affaires auxquels elle n'avait pas accès, ce qui ne la dérangeait absolument pas, elle ne sentait pas concernée mais créait forcément méfiance et distance. Et c'était d'autant plus vrai il y a vingt ans, lorsqu'ils ne la connaissaient pas.

Au Closer elle aimait simplement boire un verre dans l'arrière boutique, et discuter avec les filles si celles-ci le souhaitaient, les écouter par dessus tout. Pas qu'elle leur soit d'une quelconque utilité, elle était juste là et suffisamment extérieur à tout ça pour recueillir les doléances qu'elle ne répétait jamais. Elle était par ailleurs très mitigée sur ce qui se passait ici, le proxénétisme évident et en même temps, la protection apportée par ces demi-frères. Elle évitait donc de porter un avis sur quoi que ce soit qui les concernait, c'était encore le mieux à faire. Aujourd'hui le spectacle avait une saveur particulière, il y avait des regards étonnants entre le second et la jolie fleur, enfin surtout venant de la belle plante parce que Cahal était indéchiffrable et surtout concentré sur les affaires. Du désir, peut-être même plus, et surtout elle ne le quittait pas des yeux, Rose.

Frida regardait son mari avec tendresse entre deux furetages en direction de Rose. Mais lorsque l'idée du désir lui vint à l'esprit, elle ne put s'empêcher d'arrêter son regarder sur Ciarán, juste quelques secondes d'une grande imprudence. L'indécence de ces idées ne pouvait certainement pas filtrer sur son faciès et elle savait rendre ce visage aussi impassible qu'un mur de prison. Ciarán fut happé par ses yeux, dans ce regard rapidement échangé, il savait quoi lire. La colombienne s'en dégagea rapidement pour se concentrer sur Tomás, rongée par la culpabilité. C'était bien la première fois qu'elle ressentait ce désir impérieux et interdit en présence de son mari. Plus le temps passait et plus c'était dur, et plus ils se montraient imprudent aussi, comme s'ils voulaient se faire découvrir finalement. Que quelqu'un mette fin à cette mascarade, voulait-elle supplier.

Les affaires finies, Cahal pris congé, Tomás se rapprocha d'elle. Ils échangèrent quelques mots, un baiser sincère et il s'en alla à son tour, laissant derrière lui un goût d'amertume. Elle avait mal à l'âme Frida, rongée par ses choix douteux. Elle n'avait pas envie de rejoindre son amant, l'orchidée, elle avait bien assez fauté pour la journée. Elle avait plutôt envie de se changer les idées, et justement Rose était là, le regard perdu en direction de la sortie. Était-ce de l'amour ? La colombienne mourrait d'envie de le savoir. Peut-être enfin n'allait-elle pas être la seule pièce rapportée de la famille McGrath. Elle s'approcha, un regard suspicieux et un sourire un coin.

- Bonsoir Rose, je voudrais un Irishman s'il-te-plait. C'est qu'elle s'était très bien faite à la boisson favorite de son irlandais préféré. Elle dévisagea la jolie blonde le temps d'être servi avant de poser directement les pieds dans le plat. Elle était réputée pour sa franchise après tout, néanmoins bienveillante. " Est-ce que tu veux savoir si Cahal et toi êtes faits l'un pour l'autre ? "

Compliqué, elle n’en doute pas avec un homme tel que le corbeau. Elle n’a guère l’intention de s’en mêler plus que cela d’ailleurs, Rose le sait. Les histoires de cœur des frères McGrath ne la concernent que très peu, bien qu’elle se réjouira toujours de leur bonheur et s’inquiète souvent de leur solitude. Mais s’en mêler… Grand bien lui fasse, parce que son couple avec Tomás n’est pas un exemple de simplicité et de facilité, ni un exemple tout court et qu’elle n’aurait jamais apprécié qu’un des frères ou qu’une de leur rare compagne viennent s'enquérir de leur façon de vivre, de leur façon d’être ou encore de la pertinence de leur couple. Quand elle et Tomás se disputent, tout le monde garde bien sagement ses distances. Même si avec Cahal, elle n’a cessé de se demander ce qui lui arriverait si un jour elle n’apportait que des problèmes dans la vie de son époux. Avec le temps, ils ont appris à se respecter, et à s’apprécier avec une distance mesurée, malgré les drames qui accompagnaient son sale caractère et ses craintes se sont apaisées. Ce ne sont pas des enfants de cœur, Cahal en particulier.
Ce qui l’intéresse c’est juste le cœur de la rose, qu’il soit épris et heureux ou qu’il puisse fuir si nécessaire.

L’orchidée la regarde, fleur aux yeux félins. Elle sourit, elle n’a pas besoin de répondre, elle n’a pas besoin de dire quoique ce soit. Juste de siroter l’alcool brûlant, sulfureux comme elle, de sourire et de la regarder. Elle devine déjà alors qu’elle fait mine de tenir son bar.
La rose va s’ouvrir, ses pétales retomber en corole. Pas pour faner non, mais pour s’épanouir entre les griffes du pumas et délivrer leur secret. Celui dont elle a saisi l’essence, ce cœur qui s’épanouit entre d’autres griffes. Elle sait l’orchidée, elle sait qu’elle n’a qu’à se montrer patiente. Son venin est doux, il met du temps à agir.
Si elle refuse de s’en remettre au destin, elle ne peut pas refuser de confier ses sentiments. Frida le sait et c’est pour cette raison qu’elle sourit.


Elle ne s’en départit pas alors que la blonde l’emmène à l’abri des regards et des oreilles. Sourire qui se fait doux alors que la confession atteint ses tympans. « Le corbeau est un être bien mystérieux, même après deux décennies à le côtoyer je ne connais presque rien de lui, ni ne saurait dire ce qu'il ressent. Il est illisible, et très introverti. Mais tu dois faire confiance à ton cœur, et surtout à ton intuition. Il n'y a que toi pour savoir si c'est réel. »

Elle lit dans ses azures l'amour qu'elle lui porte déjà, et ses craintes aussi. La colombienne l'envie, elle a toujours trouvé cela si beau, ces moments de flottement, de questionnement. Les doutes et les peurs infondés alors que les cœurs battent à l'unisson. L'amour naissant qui porte l'âme dans des états de légèreté. Frida n'a jamais connu cela.

Elle prend doucement son amie par l'épaule afin de la rassurer car elle n'a aucun intérêt à divulguer ce genre d'informations à son mari. Et elle est à peu près certaine que Cahal lui en parlera très vite s'il tient à cette femme. Les deux ainés ont toujours été très proches, partageant le sombre secret de Tomás. Et sans doute bien d'autres dont elle n'a pas idée.
« Ton secret est bien gardé, mais si tu es vraiment inquiète, tu peux toi-même aller parler à Tomás... Subtilement... S'il sait déjà, ce ne sera qu'une preuve de plus que tu n'as rêvé. »

Elle lui sourit, soudainement taquine.
« C'est dommage que je ne sois pas un peu devin, n'est-il pas ? »