far from the past / jenni&sam.

Jenni se retourne pour leur dire une dernière fois au revoir. Sa main chasse l’air frais de l’automne, la boule au ventre à l’idée de quitter ses enfants pour une semaine. Toujours cette même rengaine, toujours cette même peine. Elle sent sa gorge se serrer, ses entrailles se tordre et son cœur se briser. C’est comme une explosion qu’elle ne contrôle pas, comme si on lui retirait un membre sachant qu’elle ne le récupèrera que dans quelques jours. Jenni boite, depuis qu’elle soit se séparer de ses enfants. Elle souffre de cette séparation tout autant qu’elle souffre de ne plus avoir à ses côtés ce mari qu’elle a tant aimé. Et pourtant, elle l’a su et le sait – c’est la meilleure chose à faire pour les enfants aujourd’hui. Pour éviter les cris, les pleurs, les engueulades. Pour éviter qu’ils se détruisent tous les quatre. Aujourd’hui, seuls les parents sont les dommages collatéraux. Et personne ne sait, tant qu’ils n’ont pas d’enfants, ce que ça fait de passer après. De mettre complètement de côté sa propre vie pour les rendre heureux et pour qu’ils grandissent dans les meilleures conditions possibles. Jenni s’éloigne dans la rue et entre dans la bouche de métro. Elle attrape ses écouteurs dans le fond de son sac et fait résonner la dernière chanson à la mode dans ses oreilles. Elle n’a pas beaucoup de temps avant d’être chez elle, juste assez pour que la tension redescende et qu’elle retrouve ses esprits. Calmement, elle respire. Elle oublie ce qu’il vient de se passer, elle range l’information dans une petite case de son cerveau et se prépare à devenir cette Jenni bien plus vivante, bien plus explosive. Cette femme qu’elle devient dès lors qu’elle laisse sa vie de côté. Un fantôme d’elle-même, un autre personnage. Un tout autre rôle. Une fois chez elle, Jenni va mieux. Elle range le loft, range la chambre des enfants et ferme la porte pour une semaine. Un symbole, changement d’ambiance. La musique résonne dans tout l’appartement, la faisant danser balais à la main. Elle chante, elle évacue. Jenni sort ce soir, elle en a besoin. Elle retrouve des copines dans un bar dansant et elle ne peut s’empêcher de se préparer à danser sur le bar. A chanter à tue-tête. A faire tourner les têtes. Trois heures plus tard, les cheveux lâchés et bien peignés, une petite robe verte foncée sur ses courbes fines et un peu trop de rouge à lèvre – la voilà prête pour sortir. Elle ferme la porte de son loft et s’engouffre dans un uber jusqu’à ce fameux bar où on l’attend les bras ouverts. Personne ne sait qu’elle a des enfants, personne ne sait qu’elle vit une double vie. L’alcool lui tend les bras, elle s’enfile deux shots en début de soirée et se réjouit de n’avoir aucune responsabilité. Juste elle et l’alcool. Juste elle et cette soirée, la musique, les serveurs, les verres, le bar. Tout ce qui l’importe est sous ses yeux. Le reste est caché dans une partie bien sombre de son esprit. On attrape son bras, Jenni sourit à son amie qui s’approche de son oreille pour un secret qui ne sera certainement pas longtemps gardé. « Putain, t’as vu le mec là-bas ? » Jenni suit son regard mais ne voit pas bien. Il fait nuit, les serveurs lui coupent la route. Elle plisse les yeux, paille au bord des lèvres. Elle croit reconnaître un regard, bien que les traits soient bien plus durs. Elle le connait, elle n’en doute plus. Mais rien ne vient. Si ce n’est les éloges que son amie peut faire sur lui. Jenni lui fait signe d’attendre une seconde et se lève. Elle attrape un shot au passage et s’arrête face à cet homme, qu’elle reconnait enfin arrivée à son niveau. « Sam Jones. » qu’elle dit, hallucinée. Un fantôme du passé, une vieille canaille de ses jeunes années. Un jeune homme qu’elle a longtemps détesté mais qui a bien rythmé ses années d’école. « Je crois qu’on se doit bien un shot, en mémoire de nos plus belles batailles. » Elle sourit, sûre d’elle. Pourtant, il l’a peut-être oubliée. Elle lève son verre et le termine d’un coup, tournant le shot sur la table lorsqu’elle a terminé. Jenni boit dans les règles de l’art et sent déjà l’alcool lui monter au nez. Peut-être un peu trop vite, d’ailleurs.

adossé au mur crépis d'un club de seconde zone, jones scrute la salle du coin de l'oeil comme s'il était en chasse.
à vrai dire il appréhende le moment où un visage familier viendra à sa rencontre. il appréhende le moment où un ancien habitué viendra lui réclamer de la drogue. parce qu'il aimerait mettre tout ça derrière lui sans encore vraiment réaliser qu'en dehors de ses deals il ne sait rien faire d'autre, qu'il n'a ni compétences ni passions.pourtant en venant ici il savait à quoi il s'exposait, qu'on allait le reconnaitre et venir lui poser des questions sur ses longs mois passés en prison, sur l'état du gars qu'il avait tabassé sans raisons, sur sa relation avec la jolie blonde qu'il avait lâchement quitté derrière la vitre d'un parloir. mais venir ici c'était aussi une façon pour lui d'annoncer au monde au queens qu'il était de retour dans le coin. il avait toujours son air hautain, personnage hermétique ne laissant rien transparaître, fidèle à lui même. "jones, viens boire un coup!" il se laisse embarquer du côté du bar.
il a retrouvé ses potes, c'est autre chose que les camarades de cellules avec lesquels il a partagé sa vie pendant cette dernière année et demi.il retrouve sa famille, celle qu'il s'est créé au fil des années passées dehors. quand il les retrouve il retrouve également le sourire. l'alcool a cet effet euphorisant dont il avait terriblement manqué. en sortant de prison il avait vomis au bout de deux pintes de bière et beaucoup trop de cigarettes.
finalement ça lui plait, de se retrouver aussi rapidement dans un état d'ébriété. il rit aux éclats, il aguiche, il va même danser. comme si de rien n'était, comme avant. désormais pilier de bar, il se remet à scruter les environs. il fait une pause, enfin un moment de répit. et il la voit.elle s'avance droit vers lui, d'un pas assuré. elle a l'air de le reconnaitre soudainement. pour sam dont le cerveau fonctionne au ralenti il faudra un peu plus de temps. « bordel de merde! la p'tite jenni » là encore il ri aux éclats, enivré par l'abus de la boisson il l'infantilisait en oubliant un bref instant qu'elle était plus âgée que lui. il n'avait pas pensé à elle depuis bien longtemps mais elle était bel et bien restée dans un coin de sa mémoire. elle n'avait jamais été bien loin de lui, et ça depuis toujours. du new jersey jusque dans le queens, ils avaient partagé les mêmes bancs à l'école. conflits enfantins et conneries de gosses. une vingtaine d'années plus tard les voici en train de se faire face dans un bar bondé. visiblement aucun des deux n'avait quitté les lieux. il avait perdu sa trace mais avait suivi les histoires. il savait qu'elle était mère et il se demandait ce qu'elle pouvait bien foutre ici. « où est-ce que t'as foutu tes gosses? » il lâche ça vulgairement après avoir trinqué avec le shot qu'elle venait de lui offrir. une gorgée, même pas de grimace et le petit verre qui claque sur le comptoir du bar. il sent ses joues rosir et ça lui plait, l'état dans lequel il est.

Jenni a déjà le regard un peu rieur, un peu vide. Elle a rangé toute sa vie de côté, ne préférant que le moment présent. Il n’y a que ça qui compte, ce soir. Que la musique qui résonne dans son esprit, que ses jambes et ses hanches qui valsent au rythme du son et sa main qui apporte les verres jusqu’à ses lèvres. Voici les clés d’une bonne soirée. Déterminée à faire rager son amie, Jenni s’est levée en direction de cette table, de cet homme dont elle avait un souvenir vague. Il s’est éclairci en arrivant près de lui. Soudain, les souvenirs de l’école et des crasses en tout genre qu’ils ont bien pu se faire, sont remontés à la surface. Jenni était maligne. Elle le tenait responsable pour toutes les conneries qu’elle faisait. La plus grosse était certainement la fuite d’eau dans les vestiaires, et l’indice parfaitement innocent qu’elle avait laissé pour qu’il soit le premier suspect. Il avait tout de suite compris, que Jenni était derrière tout ça. Il s’était vengé gracieusement, renvoyant Jenni trois jours du lycée. Une bataille qui a duré une éternité mais qui a permis de se créer les meilleurs souvenirs. Jenni tend son shot vers lui avant de le boire, pour ces bons moments pris avec le recul. Le temps aide toujours à oublier les maux. Il la reconnait, il affiche un large sourire sur ces mêmes mémoires. Jenni s’installe à côté de lui et se laisse porter par ces retrouvailles. Au loin, elle remarque son amie qui lui jette des regards insistants. Des regards jaloux, envieux. Jenni en profite, cheveux valsant autour de son visage et regards aguicheurs. « Des enfants ? quels enfants ? » qu’elle répond, lorsqu’on aborde le sujet de ses deux progénitures. Elle hausse les épaules, lève les yeux au ciel. Il n’est pas possible de parler d’eux, pas ce soir. L’information a dû fuité sur les réseaux pour qu’une si vieille connaissance soit au courant. Bien que Jenni soit tombé enceinte si jeune, ça a certainement fait le tour des mœurs. Et lui, alors ? que devient-il ? qui est-il ? Jenni n’a pas veillé à garder contact, encore moins à regarder sur internet ce qu’il peut bien faire de ses journées. Lorsqu’elle a quitté le lycée, une toute autre vie a pris le pli. Celle d’être maman. Celle d’être mariée. Bien loin de ce qu’elle représente aujourd’hui, avec cette jupe courte. « Et alors toi ? Qu’est-ce que tu fais ici ? Tu fêtes quelque chose ? » Elle jette un regard vers ses potes, derrière. « Ou alors, c’est une habitude de venir mater les jolies filles en boite ? » Jenni se redresse et fait la fière – exprès. Pour la première fois depuis qu’ils se connaissent, elle lui trouve un certain charme. Un rebelle, un homme bien éloigné d’Artus. C’est peut-être ça, qui l’attire. Un homme au passé douteux, avec qui elle a joué pendant toute son enfance. « Tu te souviens de ce qu’on était, putain ? On était doués quand même. » assez doués pour en garder des souvenirs, pour se retrouver aujourd’hui sans haine, plutôt avec jeu et envie de retrouver cette époque. Un nouveau regard vers le fond, Jenni s’approche de l’oreille de Sam. Elle pose une main sur sa cuisse, sans gêne. « J’ai une pote là-bas, elle dirait pas non. Mais j’ai pas vraiment envie de la laisser faire. » Jenni retrouve ses yeux, hausse les épaules en souriant. Son nouveau jeu, en soirée, c’est de séduire. Elle adore ça, n’en connaissant pas ses limites. Peut-être que ce soir, elle en touche une. Une limite fine, sur le fait que là, Sam connait son histoire et son passé. Il la connait assez pour savoir qui elle est, et l’utiliser à son avantage. C’est ce qu’il se passe, entre eux. C’est comme ça qu’ils ont grandi. Alors est-ce différent quelques années plus tard ? Jenni n’en sait rien, mais elle déborde d’envie de le savoir.

des enfants? quels enfants? ils fronce les sourcils. c'est fou ce que l'alcool peut faire à notre mémoire, il se demande un instant s'il ne s'est pas inventé ce souvenir avant de comprendre dans le regard de jenni qu'elle n'était pas là pour en parler. non, son attitude traduisait plutot une envie flagrante de profiter de sa soirée, sam aussi était là pour ça. alors il décide de ne pas renchérir, car parler de gosses c'est toujours une idée de merde pour casser l'ambiance. lui ça l'angoisse, c'est une pensée effrayante qui revient le frapper de temps à autre. "oh merde j'espère qu'elle est pas enceinte!" s'il avait reçu un dollar a chaque fois qu'il s'est fait cette remarque il aurait désormais un beau petit pactole. cette ordure.
il adresse au barman un signe de la main, ça veut dire "remets moi une tournée!" et deux moscow mule sont servis sur le comptoir.  « voilà pour toi! » il lui tend le verre pour trinquer, encore. « je fête ma liberté, vois-tu. je trinque à la vie ce soir. oh et les jolies filles sont indispensables pour une bonne soirée » il décide de garder la carte prison pour plus tard, même si l'idée de la faire flipper était assez charmante. il aurait pourtant cru qu'elle en aurait entendu parler. finalement il n'était peut être pas si connu que ça. il hausse les épaules dans le vide, sans raison, l'ivresse le pousse à dialoguer avec lui-même. chaque gorgée de cette douce boisson est une réminiscence supplémentaire. il refuse de s'avouer qu'il en est presque nostalgique. qu'est-ce qu'il a bien pu faire de sa vie?
elle aussi adopte ce ton un brin nostalgique, il replonge dans ses souvenirs et ça le fait sourire. qu'elle était belle cette époque où ses conneries se résumaient à faire sauter des bornes incendies ou voler les grenouilles des cours de sciences naturelles. il en avait fait du chemin depuis, et ses conneries avaient prit de nouvelles proportions.
elle pose sa main sur sa cuisse, il a presque un mouvement de recul tellement c'est inattendu. la petite jenni, mais qu'est-ce qu'elle fout? elle lui glisse quelques mots à l'oreille. c'est de la provoc'.
il adresse un regard insistant aux copines de jenni. il ne pouvait pas les louper car elles n'arrêtaient pas de le fixer depuis de longues minutes, enchainant regards en coins et messes basses. à son tour il se rapproche de l'oreille de jenni tout en ni quittant pas du regard ses copines « tu veux rendre jalouse ta copine, c'est ça? » il n'avait jamais rien compris aux relations entre filles, ça le dépassait totalement. pourtant cette sorte de rivalité constante lui avait permis plus d'une fois à parvenir à ses fins sans trop d'efforts. et ce soir visiblement il n'avait même pas à demander.