Elle avait quelque chose de vraiment fascinant cette fille que t'as eus l'occasion de voir danser. Tu as vite songé que c'était simplement le propre de toutes les danseuses, que de dégager ce genre de chose. De provoquer la fascination et l'émerveillement dans le regard des spectateurs. Mais toi, dans la grâce et la beauté des mouvements fluides et délicats, t'as aperçu tout le reste. T'es bien incapable de ne pas t'arrêter sur la vue de ce corps féminin. T'es pas de ces hommes qui dévorent avec gourmandise de leurs yeux pervers. T'es de ceux qui contemplent avec une fascination sincère. Et qui ne souhaitent rien d'autre que de confirmer la perfection d'une jolie femme sur papier glacé. T'as rarement l'occasion de voir une danseuse exercer son art. Tu passes davantage de temps avec des mannequins plus ou moins expérimentés. Mais à avoir tant observé la blondinette et son corps fin en action, t'as eus envie de l'ajouter aux clichés que tu comptes utiliser pour ton livre. T'es bien incapable de faire autrement que d'être vraiment inspiré par la beauté fragile et délicate de la jolie fleur. Et tu as su te montrer persuasif. Ou vraiment très/trop insistant, selon les points de vue. C'est que tu ne voulais pas réellement lui laisser la possibilité de refuser. T'étais prêt à y mettre le prix fort. Quant à savoir si la collaboration se passera bien après tout ça, t'as comme un doute. Comme une crainte.
Mais tu te refuses à annuler la rencontre à venir, pour cause de bref coup de panique. Qui n'a peut-être pas lieu d'être dans le fond. Avec un peu de chance, elle sera ravie d'avoir été choisie pour une séance photo de ce genre. Avec un peu de chance, elle connaît déjà ton travail ou apprendra à le découvrir et à l'apprécier. Avec un peu de chance, elle est au moins curieuse de la raison pour laquelle tu lui as donné rendez-vous dans ton studio photo. Comme à chaque fois que tu fais ça avec une jeune femme avec laquelle tu n'as encore jamais travaillé, tu crains un peu le genre de trucs qu'elle peut bien aller s'imaginer. Beaucoup ont déjà entendu parler de toi. Tu ne caches pas ton appartenance à une famille très connue aux Etats-Unis. A Hollywood pour ton père l'acteur et réalisateur. A New-York et autres capitales de la mode, pour ta mère. Quant à toi, peu de gens se rappellent vraiment des petits rôles que t'as pu avoir par le passé. Alors que tu n'étais encore qu'un gamin qui trouvait que c'était drôle d'apparaître dans un film. Que c'était chouette de faire comme papa. T'as rapidement déchanté à l'adolescence et depuis, tu n'as plus la moindre envie de remettre les pieds face à la caméra. Tu préfères encore te planquer derrière tes divers appareils photos.
Avant l'arrivée de la jeune danseuse, tu dois terminer la séance avec plusieurs mannequins qui posent pour une marque de lingerie féminine. Et qui sont là, accompagnées de toute une équipe de travail. Entre le directeur artistique, la responsable de collection, les maquilleurs, coiffeurs et stylistes, ça grouille de tous les côtés. Et c'est précisément là le genre de chose que tu ne supportes pas. Ce genre de séance desquelles t'aimerais bien te passer. Mais pour le bien de ta carrière, tu ne peux définitivement pas te passer de ça. Alors tu subis, aussi silencieusement, patiemment et tranquillement que possible. Tu fais ton boulot, donnes quelques ordres mais te contentes la plupart du temps de grogner dans ta barbe. Parce que tu ne peux pas te permettre de trop secouer les mannequins quand toute leur équipe est là derrière. Tu sais que tu risques de passer à côté de certains contrats en agissant ainsi. Pour autant, ça te met relativement de mauvaise humeur. Alors quand on frappe à la porte, t'es pas mécontent qu'une tierce personne se charge d'aller ouvrir. Pour laisser apparaître la jeune danseuse. Elle est tout de suite accueillie par le brouhaha ambiant. L'effervescence d'un shooting de mode qui se déroule dans un espace trop restreint pour tout ce beau monde et cette folle énergie.
Une nouvelle chance de briller sur scène, seule cette fois, dans une variation du répertoire classique. Un spectacle de l’école, seulement des élèves. Et dans la salle, famille principalement et quelques curieux. Celle de Nunzia est trop loin, et pas assez riche ni disponible pour se payer un aller-retour. Pour autant depuis les coulisses, elle a guetté, ses amis mais aussi et surtout, ce bel inconnu qui hante ses nuits à défaut de faire partir de sa vie. Elle espère, espère en vain, désespère peu à peu. Quand c’est son tour, il n’y a plus rien que la danse et elle excelle à nouveau, et même plus encore que d’habitude. Transcendé par le public, elle a effleuré tant d’émotions désormais et elle les vit sur scène, les exhorte comme un patient face à son thérapeute. Prenez ses peines, prenez ses amours, prenez ses désirs et soignez son âme. Corps menu qui emplit l’espace, envoûte les regards. Mi femme, mi enfant. Un peu malgré elle, elle passionne. Un don qui ne laisse pas indifférent lorsqu’enfin elle le dévoile.
Danser devant un public. Danser devant un objectif. Le premier l’exaltait totalement, le second lui était inconnu. Mais était-ce bien différent ? Derrière son innocence, la jeune femme au visage candide n’était plus si dupe sur ce qui l’animait et ce que les regards pouvaient provoquer en elle. Et ce pouvoir qui l’habitait alors, bien qu’elle soit loin de le maîtriser ni d’en assumer toutes les conséquences. Ainsi pour un gros oeil sombre, peut-être que c’était tout aussi plaisant que sur la scène, et elle serait tout autant à l’aise et dans son élément. Peut-être. Il ne lui avait pas donner le temps de réfléchir. Le ton de sa proposition n’avait pas tellement ressemblé à celui d’une question et son insistance avait rapidement suffit à la convaincre, vu la tête brûlée qu’elle était à foncer vers de nouvelles expériences sans trop se poser de questions, sans jamais se méfier.
Elle s’était pointée comme indiqué sur la note qu’il lui avait remise, frappant timidement à la porte du studio. Intimidée elle l’était, comme toujours lorsqu’elle ne savait pas où elle mettait les pieds, la curiosité restait plus forte. Et ça ne pouvait pas être plus terrible que l’expérience du Closer. Un inconnu la fit entrer, elle reconnu le photographe derrière son appareil un peu plus loin et visiblement occupé. Deux choses la frappèrent au premier regard, d’abord le monde présent et ensuite les femmes qui posaient en lingerie. Nunzia écarquilla les yeux et piqua un fard, n’étant d’un coup pas du tout sûr de ce qu’elle faisait là et de ce qu’on attendait là. Pas comme si elle avait su à un moment, elle ne s’était faite aucunes idées, maintenant elle s’en faisait beaucoup trop. Bêtement. Elle ne savait strictement rien sur lui, ni sur son métier. Ce n’est pas pour autant qu’elle va se dégonfler, elle n’est pas comme ça Nunzia. Elle observe un instant, puis une femme vient la chercher, se présentant comme la maquilleuse, celle-ci lui pose quelques questions auxquelles elle ne sait pas tellement répondre, elle hausse les épaules en s’installant sur le siège où elle lui détache les cheveux, les brosse et applique quelques lotions aux effets inconnus. Puis elle la maquille légèrement, bien moins que ce qu’ils peuvent appliquer pour la scène. Dans la glace elle voit juste une version améliorée d’elle-même. L’italienne s’éclipse ensuite en loge pour enfiler un justaucorps écru et elle sort de son sac quelques jupons aux tissus différents, ne sachant pas ce qu’il voudrait. Au bord de la petite scène, elle s’assied pour chausser ses pointes, enfilant protections en laine de mouton et en silicone autour de ses doigts de pieds recouverts de pansements. Le lot des danseuses classiques. Elle se relève ensuite et attend, patiemment.
Ce sera une grande nouveauté pour toi que de photographier une danseuse qui exerce son art sous ton objectif. Mais t'aimes bien trop ça, t'essayer à de nouvelles choses. Quand bien même tu passes ton temps à faire ça, en photographiant des femmes de tous genres et de tous horizons. Aussi bien des mannequins que des actrices. En passant par des jeunes femmes qui n'évoluent pas le moins du monde dans ce genre d'univers. Comme c'était le cas de Briannah elle même avant qu'elle ne débarque soudainement dans ton studio et ne demande à être photographiée. Et à l'heure d'aujourd'hui, tu ne regrettes vraiment pas de lui avoir laissé une chance. Elle est devenue ta muse en un rien de temps et près de vingt mois plus tard, tu es toujours autant inspiré par sa beauté délicate. Et par tout ce qu'elle est capable d'exprimer avec son visage des plus parfaits. Tu doutes d'être sur le point de te lasser de tout ça pour le coup. Pas après tout ce temps et tout ce travail abattu. Pas alors que plus vous vous rapprochez l'un de l'autre, plus t'es inspiré par elle et sa beauté incandescente et éternelle. Vous formez un duo des plus parfaits. Et tu préfères nettement vos séances durant lesquelles vous n'êtes que tous les deux, à ces séances où il y a bien trop de personnes qui vont et viennent.
Trop de coiffeurs, de stylistes, de mannequins, de tout. Et la danseuse qui vient d'entrer à son tour. C'est en apercevant un mouvement du coin de l'oeil, que tu te rends compte de sa présence. Et que tu constates qu'elle est déjà embarquée par la maquilleuse principale. Tu ne te soucies donc pas plus d'elle dans l'immédiat. Tu as un shooting important à terminer avant toutes choses. Et au plus vite tu auras terminé ça, au plus vite tu seras tranquille. Puisqu'il ne s'agit définitivement pas du genre de mission que tu apprécies. Tu apprécies bien plus les shootings qui se font en plus petit comité. Ce sera le cas avec la jeune danseuse qui n'est pas entourée d'une équipe démesurément grande. Qui semble même être venue seule. Sans doute pourtant incertaine quant au déroulement de la séance. Tu doutes qu'elle ait eut affaire à beaucoup de photographes avant toi. Elle a eut l'air relativement surprise lorsque tu es allé l'accoster pour lui proposer de prendre la pose pour toi. Peut-être même un peu suspicieuse et incertaine sur les bords. A s'imaginer que t'étais en train de lui faire du rentre dedans, peut-être. Quand bien même ce n'était absolument pas le cas. Tu sais que certains hommes ont d'étonnantes techniques de drague.
Arrive enfin la fin séance de la photo. Tu échanges quelques mots avec le directeur artistique avec qui tu dois encore négocier certaines choses en ce qui concerne le résultat. Une conversation qui se fait le temps que les mannequins se rhabillent et soient prêtes à lever le camp. La majorité de l'équipe disparaît et tu peux enfin te concentrer sur Nunzia qui semble être fin prête pour la séance prévue. Bonjour Nunzia. Désolé pour l'attente. Certains shootings ont tendance à s'éterniser. Que tu t'excuses platement en t'arrêtant devant elle. Tu pourrais, et devrais peut-être, lui serrer la main pour lui dire bonjour. Tu ne le fais pas pourtant. Tu n'as jamais été trop fan des contacts physiques. T'es bien trop hypocondriaque pour accepter ça. Pour autant, tu ne veux pas paraître malpoli à cause du retard que tu as pris. Ni lui filer l'envie de prendre la fuite tout de suite. Ce serait dommage alors que vous êtes sur le point de commencer à travailler. Vous êtes prête ? Que tu te renseignes ensuite. Tu l'es pour ta part. Tu peux tout à fait enchaîner deux shootings sans trop de difficulté. C'est ton métier. C'est ce que tu fais de tes journées. Et tu le fais parce que tu aimes vraiment ça. T'as la chance de pratiquer un métier-passion. Et tu penses qu'il en va de même pour la jeune femme qui vient de te rejoindre d'ailleurs. C'est le lot des artistes.
Elle a les grands yeux ronds de la curiosité, le far rose de l'incertitude. Elle observe tranquillement ce qui se déroule. C'est une activité qui l'occupe pleinement, même pour une impatiente comme elle. Il y a tant de choses à voir, tant de détails, surtout quand il s'agit d'une activité qu'elle ne connait pas. Les immenses femmes aux jambes interminables et chacune dans une lingerie différente prennent la pose, seule, ou à plusieurs. Elle les voit prendre une position, puis une autre dans une chorégraphie qui lui parait tout aussi codée que la danse classique tant le geste de l'une se rapproche du geste de l'autre. Parfois le photographe leur donne des indications de ce qu'il souhaite. Le plus mystérieux c'est tout ce monde autour qui lui semble ne rien faire, ils sont là debout, à regarder ou à chuchoter. Elle profite de ce temps pour s'échauffer, aussi, tout en gardant un oeil distrait sur ce qui passe autour d'elle. Nunzia se demande si elle doit s'inspirer des mannequins, tout en attachant ses cheveux en un chignon bien tiré malgré les soins qui venaient de leur être apporté pour qu'ils restent lâches.
Et puis, sans qu'elle ne comprenne pourquoi, un autre manège se met en place. Les mannequins se changent sans la moindre pudeur et tout le monde s'en va peu à peu, jusqu'à qu'il ne reste plus que le photographe et la danseuse.
- Bonjour, c'est pas important, j'ai aimé observé, répond-elle avec son accent chantant. Elle a progressé Nunzia, ça devient de plus en plus facile pour elle d'avoir une conversation désormais. Elle pique un léger far à nouveau lorsqu'il lui demande si elle est prête, guidée par l'incertitude, ne sachant toujours pas ce qu'il attend d'elle pour ses photos. Même si elle va s'enhardir, comme toujours ; pour être danseur de haut-niveau il faut aimer les défis et se battre constamment, contre son corps, avec ses émotions et pour être au dessus des autres. Et elle aime le tout, l'italienne, elle est passionnée par son art autant que les challenges qu'il lui offre. Alors c'est finalement un " oui " affirmé qui échoue sur ses lèvres, bien qu'elle ait tout à apprendre.
Elle attrape la jupette assortie à son maillot et l'attache autour de sa taille tout en prenant place là où se trouvait les mannequins un peu plus tôt. Des spots de lumières sont dirigés vers elle si bien que le reste de la salle semble noire d'un coup, comme sur scène. Il n'y a pas de musique, seulement le silence brisé par quelques cliquetis de mécanique. Elle prend une pose de danseuse, debout sur ses pointes, les bras rond au dessus de sa tête, puis une autre en diagonale, guidée par une main gracieuse et un pied en pointe derrière elle, la jambe bien tendue, ensuite, elle part en arabesque en changeant de pied d'appui, la tenant le plus longtemps possible. Finalement, elle se sent ridicule à changer de pose comme ça, comme elles, alors elle enchaîne quelques pas d'une variation de cours. Trop scolaire et sans ardeur. Ses pointes grincent et frottent sur le sol, brisent le silence quand ce n'est pas leur voix. Elle s'arrête en cinquième, bras fermés devant son nombril.
- Je n'sais pas trop ce que je dois faire. Juste danser comme ça ?