Ultraviolence × Etain

01/ La famille, c'est sacré... Etain, c'est avant tout le produit d'une famille. Des grands-parents prolos, les seuls qui ont pu fuir la guerre et les éclats d'une Irlande qui s'est déchirée. « Cassez-vous, faîtes quelque chose de vot' peau ! » a dit l'grand-père, avant de foutre son jeune couple de fils et sa bru dehors à grands coups de pieds au fion, pour qu'ils quittent l'île verte, leur terre de légendes qui n'avait des légendes que le goût amer de rouille, du sang, il y a un peu plus de la moitié d'un siècle. Alors quand les grands-parents sont arrivés, pas question de bâiller au corneille. Tout était à construire, tout était à mériter. Les grands-parents, ils étaient volontaires. Les grands-parents, ils ont trimé comme quatre, cumulant parfois autant de boulot. Les grands-parents, par effet communautaire, ils se sont rapprochés des McGrath, d'Irlande, tout comme eux. Ça leur donnait un petit goût de maison. Les grands-parents, ils sont devenus bijoutiers, et ils étaient bons. Ça, plus tout le boulot de forçats qu'ils ont abattu, ils ont gagné de l'argent, avec l'air de ceux qui n'y touchent pas. Le rêve américain. Le grand-père, malin, a investi dans la pierre. Il a acheté, tant qu'ils avaient des économies, des terrains qui valaient queudal ici et là, dans New-York. Une bouchée de pain. Le grand-père, il a vu venir la mondialisation. Et quand ça a valu le coup, il a vendu. Pour racheter. Plus gros, en plus grand nombre. Le grand-père, tant qu'il était pas à sa petite boutique, et rien d'extravagant sur la 5e avenue hein, on parle d'une petite boutique intimiste, à la jolie vitrine soignée par la grand-mère, il achetait et vendait des terrains. Pour lui, se faire du blé ? Un peu. Pour nourrir sa femme, ses enfants... A ses enfants, il leur a à tous donné la même mise de départ. Ils sont trois. Le premier est devenu dentiste. Il vit confortablement. Le deuxième, comme un cliché, a claqué le tout à Las Vegas. Il a été suicidé de deux balles dans le dos. Trop de dettes. Quant au troisième, lui, il a décidé de suivre l'exemple de papa. En dix ans, Thomas O'Donnell est devenu incontournable dès qu'il s'agit d'acheter à New-York. Et Thomas, il s'entend bien avec les McGrath... Très bien. Assez pour que leurs magouilles rendent la perspective de le voir élire maire plausible, voire, probable... 02/ Enfin il paraît. Du côté de la mère d'Etain, c'est tout aussi romanesque. Hazel, de son prénom, sort tout droit des reliquats de noblesse anglaise qui subsistent aux Etats-Unis, ceux qui tentent comme ils peuvent de faire survivre le bal des débutantes et autres de même acabit. En vérité, c'est elle qui élève un peu le débat, et son rustre de mari. Elle est la touche snob et distinguée de la famille, celle qui tient l'illusion de la classe à elle-seule, à bout de bras. Hazel aime les belles choses et les a toujours aimées. Thomas et elle se sont plu, mais c'est l'idée d'être mariés ensemble, l'une pour être à l'abri du besoin, l'autre pour avoir une femme trophée, qui les garde soudés. Il tringle la secrétaire, elle se fait le garçon de piscine. Ils s'en foutent, tant que ça ne s'étale pas dans les journaux. Ils forment une paire accouplée, qui ne s'aime pas mais qui pose comme si c'était le cas. Hazel dore et pare le blason de Thomas, organise galas, ventes de charité et autres conneries du genre au profit des nécessiteux ou n'importe. Elle enfume juste assez pour que les crasses perpétrées par son mari passent inaperçues. Et ça suffit. 03/ 'Paraît qu'on supporte que ses propres enfants. Chez les O'Donnell, c'est même pas sûr. Etain est l'aînée, mais elle a deux petits frères. Des jumeaux de sept ans. Ils sont super drôles. Etain les adore. Sans doute plus que leur mère. Alors elle joue un peu le rôle, en substitut. Et Etain, dans tout ça, elle fait le grand écart entre ce que ses parents attendent d'elle, et ce qu'elle attend de la vie. Elle essaie de jongler, bon gré malgré, avec les cartes qu'on lui donne à défaut de retourner la table de colère. En tous cas, c'est ce qu'elle fait pour l'instant. Elle essaie de rentrer dans le moule quand les appareils photo sont de sortie, pose comme la barbie qu'on veut qu'elle soit, mais pas trop ma chérie parce qu'un jour, la fortune de papa sera à toi... Et ce jour-là, tu devras montrer les dents. Oh, pas à tes parents, pas à tes chers géniteurs à qui tu dois tout... Non, aux autres, aux extérieurs, aux étrangers qui essaieront de te piquer tout ce que papa a durement gagné. Thomas et Hazel, ils ont essayé de faire d'Etain le parfait mélange des deux. Leurs qualités, sans leurs défauts. Ils ont réussi, quelque part. Elle a certaines de leurs qualités, et beaucoup de leurs défauts. Capable de beaucoup, mais n'ayant envie de rien, là où eux veulent beaucoup sans être capables de grand chose. 04/ Bodyguard. Hazel, elle a bien formé Etain. Etain, elle sait comment sourire pour obtenir tout ce qu'elle souhaite. Etain, elle sait parfaitement quelle partie de corps exposer pour séduire, sans être vulgaire. Elle sait charmer, attirer l'attention... Elle sait plaire, tout simplement. Un peu trop au goût du paternel, qui a estimé, il y a presque dix ans déjà, avant qu'elle n'apprenne à se servir de son charme, qu'il était bon pour elle, au fur et à mesure qu'il s'avilissait et concluait des contrats de plus en plus juteux, donc de plus en plus illégaux, que sa progéniture avait besoin de protection. Elle avait quatorze ans, une gamine, la première fois qu'elle l'a vu. Une gueule d'ange, pourtant peu amène. Certaines ados craquent sur leurs profs, Etain a craqué sur son bodyguard. Trop grand, trop vieux pour elle. Il est pourtant la raison pour laquelle elle a écouté avec autant d'application les conseils de maman. Elle l'a travaillé au corps. Mais rien n'y a fait. Trop de professionnalisme. Et puis, il avait vingt ans. Quel intérêt pouvait avoir une gamine pour lui ? Alors elle a patienté. Seize ans. Et toujours non. Elle a patienté encore, s'est fait la main sur d'autres, n'importe. Dix-neuf ans, et cette fois c'est oui. Enfin. Depuis, elle essaie de le rendre fou, de se l'attacher comme elle a pu s'attacher à lui... Sans égard pour des fiançailles qu'on lui impose. 05/ Roucoulette et chabala L'école, ça n'a jamais trop été son kiffe à Etain. Elle y a juste développé ses qualités de leader, y a testé sa capacité à gagner en popularité... Et était plutôt bonne à ce jeu là. La différence entre elle et les autres gosses de riches étant qu'elle avait la possibilité de jouer sur les deux tableaux, puisque son père était nouveau riche, alors que sa mère était une aristo. Heureusement que là-dedans, y'a eu les grands-parents pour partager un peu de sagesse avec elle, et transformer les chaînes que lui ont mis ses parents en ficelles qu'elle pourra défaire quand elle en aura le courage. Papi et Mamie, ils lui ont donné l'amour du bijou, des belles pierres. Ils lui apprennent les secrets des pièces anciennes, le soir, après que la journée un prof plus académique lui ait appris comment créer. Elle s'y retrouve, et ça lui plaît. Au final, les bijoux sont peut-être la seule chose de sa vie sur laquelle elle a le contrôle. 05/ Un petit peu de sel sur vos plaies ? Etain, elle sourit aux photographes au bras de monsieur son fiancé, un caillou gros comme le poing au doigt. Etain, elle est splendide dans sa robe en velours vert émeraude, si près du corps, au décolleté jusqu'au nombril. Etain, la veille, était prisonnière d'un groupe dont elle ignore l'identité, qui l'a chopée à la sortie de ses cours et balancée dans une fourgonnette. Etain, la veille, on lui a scotché la bouche, les mains et les pieds et menacé de la découper en morceaux si elle contrariait ses ravisseurs. Etain, la veille, elle a tué quelqu'un. De panique. Sur le point de sortir après être parvenue à se libérer, au bord de l'hystérie,de l'angoisse... Le quelqu'un l'a attrapée. Elle l'a poignardé. Elle a planté un couteau dans cette haute silhouette cagoulée, aux habits sombres si semblables à ceux de ses geôliers. Etain, elle a réagi sans réfléchir, et n'a même pas pris le temps de voir l'inconnu s'affaisser avant de s'enfuir. Et puis, il y a eu les coups de feu. A peine perceptibles. Et les cris. On criait son nom. IL criait son nom. Alors elle est sortie. Tremblant de tous ses membres. Mais tout ça, c'était hier. Aujourd'hui c'est aujourd'hui. Et aujourd'hui, elle doit sourire.