équilibre (asmée)

( comme si la seule rime au
mot inégalité était fatalité )

Il ne t'a pas fallu plus de trente secondes pour répondre. Oui, bien sûr que oui. Tu tiens pas en place, de toutes façons, et puis la solitude te bouffe jusqu'à la moelle. T'es comme une gosse, comme un animal de compagnie, tu supportes pas qu'on te laisse, t'as une peur panique de l'abandon, et t'attends le retour de tes colocs avec impatience, chaque jour, ou bien le moment où tu pourras sortir. Même travailler te met en joie, toi qui te lassais pourtant si aisément des métiers ordinaires, toi qui t'étais déjà essayée au service et en étais aussitôt ressortie. C'est différent, à présent. C'est nécessaire, ce job ordinaire, normal, décent. De plus, tu ne l'as pas obtenu n'importe comment, et tu veux pas décevoir, t'as besoin d'être à la hauteur, qu'on se lasse pas de toi, comme ça se produit toujours, inévitablement, lorsque tu dérapes. Tu sais que ça arrivera, tu le sens, mais tu repousses l'échéance, tant que t'en as le courage. Tu repousses le moment où la déception remplacera la compassion dans le regard de ton patron, celui qui t'a offert une chance, un nouveau départ, sur base de rien, rien que ton air penaud et son empathie. Tu sais pas ce que t'as fait pour mériter ça, un coup de main inespéré, une miracle même, mais t'as l'intention d'en profiter, tu veux pas tout faire foirer, pas encore une fois, tu crois que tu le supporterais pas. Cela dit, t'as dit oui, à Asmée, sans plus de réflexion, sans trop savoir quoi, comment, pourquoi. Tu la suis, la jolie, vous avez comme communié la première fois que vous vous êtes croisées, et tu lui fais étrangement confiance, t'as flashé, l'as tout de suite adoré. T'as dit oui à un concert, ça peut pas si mal tourner, si ? T'essayes de pas y penser, enfilant une tenue de circonstances et te mettant en route sans trop tarder. Un concert, t'as pas besoin de boire, pas besoin de planer. Rien que de la musique, de la passion, de l'amusement, tu peux le faire sans te foutre en l'air. « Hey, comment tu vas bella ? » Arrivée à destination, tu souris de toutes tes dents en l'enlaçant brièvement. T'as le regard écarquillé, quand tu remarques qu'elle te guide vers la file VIP. « Qu'est-ce qu'on fait là ? » Ca te frappe, tout à coup, le contraste entre vous. Elle est pas de ton monde, la belle Asmée. Peut-être bien qu'elle fait la fête comme toi, aux mêmes endroits, qu'elle boit trop et qu'elle se lie d'amitié avec n'importe qui une fois le verre de trop dans le nez, mais elle est pas de ton univers, t'aurais dû le voir. T'es tout à coup pétrifiée, et tu la regardes avec les yeux d'une biche face aux phares d'une voiture qui ne s'arrête pas. Tu vas te faire écraser, Eka, piétiner, comme à chaque fois qu'il t'arrive un truc bien.

@asmée chamberlain

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{ scared of the things you loved }
crédit/ tumblr ✯ w/@eka aymslowe

Un concert. Un concert, un groupe tendance, actuel, qui passe à New-York. Une occasion de sortir qu’elle n’a pas pu rater. Une occasion de se retourner, de se vider la tête, qu’elle n’a pas pu éviter. Des places VIP tombées tout droit entre ses mains, les avantages de la célébrité. Ce qui est dingue, c’est qu’elle n’a même pas conscience à quel point cette vie est loin d’être banale, Asmée. Parce que c’est son quotidien. C’est son quotidien depuis six ans. C’est son quotidien, depuis qu’elle incarne un des rôles principaux d’une série télévisée. Depuis que tu incarnais, Asmée. Incarnais, au passé. Parce que ta vie, elle n’est plus d’actualité. Et pourtant les démons persistent. Les démons subsistent. En elle. Elle, gamine perdue. Elle, propulsée bien trop vite dans un monde d’adultes. Enfant au cœur pur. Actrice sulfureuse. Quelle limite, quelle réalité. Dépassée par le succès. Dépassée par la déchéance provoquée. Et elle est ici, maintenant. De retour à New-York. De retour dans cet ancien chez elle. Ce besoin d’être entourée toujours plus fort. Cette dépendance affective grandissante. T’as peur d’être seule, Asmée. C’est ce que tu redoutes plus que tout. Dans la vie, comme en soirée. Et elle l’a invité, elle, Eka. Elle l’a invité elle, comme une évidence. Aucune autre personne mieux qu’elle. Aucune autre personne qui lui donne tant envie d’être avec elle. Eka, c’est ce coup de cœur. C’est cette fille rencontrée à une soirée, celle avec qui elle s’est sentie irrémédiablement reliée. Une soirée alcoolisée, évidemment. Une soirée durant laquelle elles ont discuté, de tout, de rien. Une soirée durant laquelle elle n’a pas mentionné son identité. C’est peut-être fou, parce que c’est tout ce que tu as. C’est tout ce que tu es. Mais tu ne sais pourtant pas te résumer à ça, Asmée. Et avec Eka, c’est juste magnétique. Elle n’a même pas eu le temps de l’évoquer. Et le sourire radieux qui apparaît, alors que la blonde la rejoint. Une accolade qu’elle lui offre, tellement heureuse de la retrouver. Tellement heureuse de la voir de nouveau. Parce qu’elle n’a plus envie de la quitter. Parce qu’elle sent qu’avec elle, elle ne sera jamais seule. - Hey ! Comme je suis contente de te voir ! Qu’elle balance, d’une incroyable sincérité. Parce qu’elle ne sait pas faire autrement. Elle a le cœur grand ouvert. - Je vais bien. Et toi ? Et elle ne cesse de lui sourire, alors qu’elle l’entraine jusqu’à la file VIP. C’est naturel, et elle ne pense même pas à lui expliquer quoi que ce soit. Il n’y a que lorsque sa nouvelle amie le relève, qu’elle prend de nouveau la parole. - J’ai eu des places ! Et j’ai directement pensé à toi ! Ce n’est pas sur le carré VIP, qu’elle se justifie. Parce qu’elle ne percute pas la question, Asmée. Elle ne percute parce qui semble complètement retourner l’esprit d’Eka. Ses grands yeux ne laissent pourtant aucune place aux doutes. Et son regard azur se plonge dans le sien, cherchant à détecter le moindre indice, le moindre mouvement, qui puisse expliquer cette forme de crispation soudaine.