Les feuilles dansent dans le ciel, leurs ombres sur ma peau, en plissant des paupières je peux les regarder, petits ronds de couleurs baignés de lumière. Entre les ombres, je sens la chaleur, si douce et apaisante. Elle aussi. Elle ne peut pas le voir, mais elle la sent frétiller sur sa peau autant que sur la mienne, peut-être même plus. Elle ne peut pas me voir, est-ce qu'elle peut me sentir ? Pas mon odeur, non, mon regard coupable qui se pose sur elle et puis s'enfuit. Est-ce qu'elle a déjà vu les feuilles danser dans le vent ? Je la connais si peu. Ma faute, manque de curiosité, absence de questionnement. Entre elle et moi, il n'y avait que moi, la musique, un billet pour séparer nos âmes. Tout ceci est normal entre un professeur et son élève. Nouveau contexte, nouvelle perspective. Petite culpabilité qui l'observe et se demande : Le saura-t-elle si je ne vais pas la voir ?
Les doigts de pieds s'entremêlent aux herbes, elles sont fraiches ici, à l'abris du houppier. Ils s'amusent depuis un moment déjà, balancés par les genoux, fesses posées sur un banc, regard dans le vague. Un petit nul part au milieu de tout. Les boucles rousses étaient sans doute déjà là avant que mes pieds pénètrent ce lieu et y osent la nudité, cependant et en toute sincérité je viens à peine de les remarquer, et ce malgré leur couleur flamboyante. Aussitôt vues, aussitôt captivantes, pensées décuplées plus loin que le bout de son nez, tantôt incohérentes, tantôt inspirées. Pensées mouvementées. Idées qui se bousculent. Elle pourrait être Muse.
Je suis affreuse. Elle est là, à l'autre bout de la pelouse et moi je reste sur mon séant à la contempler, à me questionner et même à la juger quelque part, profitant de son handicap. Bien sûr, je me trouve des excuses, encore et toujours, je la laisse profiter de ce moment, le plaisir des sens dans un écrin de verdure. Chants variés de créatures ailées, fragrances de botanistes, douceur et piquant des herbacées. Est-ce notre âme d'artiste qui nous rend si réceptif à ces moindres détails ? Je m'étonne de la voir se fondre parfaitement dans ce décor bucolique. Qu'est-ce qui m'empêche de la rejoindre ? Une simple once de culpabilité, avoir arrêté les cours, surtout sans même prévenir. Ce n'est pas grand chose, mais ce n'est pas très correct, pas plus que ce que je fais actuellement. J'ai eu peur, j'ai toujours peur. La dernière fois que je n'ai pas eu peur, c'était ce matin où j'ai embrassé ma fille pour la dernière fois.
Je jouais, le morceau était enfin prêt, je jouais, les notes de cette mélodie sublime et bien connue s'envolaient avec justesse, a tempo rubato. C'était si beau. Je me suis émue, émue aux larmes. Et j'ai souri. Je pensais à Hannah, et j'ai souri. Ce n'était pas des larmes de peine. Je n'ai pas pu osé revenir, j'ai cru laisser partir ma douleur, pour de bon. J'ai eu si peur jusqu'à ce qu'au creux de mon ventre, repliée dans mes draps je la sente à nouveau pointer, plus vive que jamais. Je ne pouvais pas ressentir autre chose, je n'avais pas le droit. Vivre sans souffrir, survivre en l'oubliant. Cette peine, c'est tout ce qui me restait d'elle. Je ne pouvais pas la laisser partir.
Freyja et son piano pansaient mon âme, mais je n'étais pas prête.
Les boucles rousses s'étaient envolées, plongée dans mes pensées, souriant malgré moi en repensant à ces notes, je n'avais rien vu. Je les fredonne en me levant. Elle ne peut être bien loin. Quelques pas et je l'aperçois à nouveau, s'éloignant tranquillement.
- Freyja ! Freyja ! Je la hèle.
Je la rejoins rapidement, légèrement essoufflée, gênée aussi. Avec tout ça, je n'ai même pas réfléchis à ce que j'allais lui dire, un comble.
- Bonjour Freyja, c'est... Maxine. J'ai la gorge un peu nouée par l'émotion. Je t'ai vu profiter du parc, je ne voulais pas te déranger. Est-ce qu... Je suis vraiment désolée de ne pas t'avoir prévenue pour les cours, ce n'est vraiment pas correct. Il y a eu cette exposition à préparer et puis... Je soupire.
Sujet: Re: Et in arcadia ego [Freyja et Maxine] Dim 4 Aoû - 10:56
et in arcadia ego
maxine & freyja
« pour l'artiste, la pensée et le langage sont les instruments d'un art. » Oscar Wilde
Les pensées qui s’entortillent, unisson des phalanges entremêlées, autour des brins d’herbes coupés. Verte image, que son esprit décompose en tant que texture. Herbe lisse sur le plat interne, rugueuse sur la face externe, coupante si d’aventure on en effleure le fil. Dangereuse nature qui a toujours un revers. Nature qu’elle aime Freyja, et dans laquelle elle rêverait de pouvoir se perdre. Elle y enfonce la pulpe de ses doigts, imagine un invisible fil de lumière qui la relierait directement au centre de la terre. Petite partie d’un tout plus grand, indivisible toutefois, indestructible. Elle se concentre sur le fil ténu qui la maintient en vie. Elle tire, tire. Poursuit la linéarité d’une existence tissée de soie, aimerait pouvoir se contenter de cela. Mais la roue tourne. La roue s’envole. Celle du hasard qui coupe le fil tout tracé pour le rendre plus incertain et torve. Lui. Elle. Des réapparitions infortunes pour semer le trouble. Insinuer sous ses chairs les frémissements de souvenirs enfouis, procris. Ses sourcils se froncent. Paupières hermétiques. Paupières mutiques. Elle destine à la candeur du silence ses tourments les plus indicibles et rêve de les regarder s’y évanouir. Mais le silence n’est qu’à l’intérieur d’elle. Tout autour la vie s’épanouit. Les rires, les cris. La course des petits pas sur le sol de gravillons. La balle qui rebondit. La balançoire qui grince. Les mères qui invectivent, encouragent, accompagnent. Réalité contemplée incomprise. Ils ont disparu dans le néant de sa mémoire, quelque part. Elle a oublié leurs visages, submergée par l’obscurité d’un monde sans fin et sans image. Contrariée Freyja, elle se demande ce qu’elle fait là. Ce qu’elle cherche dans le trépas de ces heures qu’elle passe à attendre, immobile, quelque chose qui ne vient pas.
Elle se lève. Jambes engourdies, des fourmis jusqu’au bout de ses pieds nus. Méthodique, elle déploie sa canne, enfile ses sandales. Equilibre incertain, dans le vide. Il fait chaud au dehors, mais elle a froid en dedans. Un frisson parcoure son échine, en harmonie avec une brise fraîche venue caresser ses traits. Elle s’élance sur le sillage appris par cœur, connu dans chaque recoin. Et puis la trajectoire se retrouve courbée. Interrompue par l’apostrophe. Elle s’arrête au milieu du chemin, compte à rebours les pas avortés, l’élan arrêté. Elle reconnaît la voix presque tout de suite, pour l’avoir apprise par cœur, au gré de ces confidences que l’on chante du bout des lèvres. Mélodie murmure, pour dissimuler les troubles qui hantent. Ceux-là même qui suppurent et teintent de clair-obscur toutes les harmonies créées. Son prénom meurt sur la ligne de ses lèvres. Elle souffle, voix ténue : « Maxine ? … » L’émotion grimpe en mélopée au fond de sa gorge. Elle qu’elle n’a pas vu s’enfuir. Elle pour qui elle a imaginé le pire. Elle a simplement cessé un jour de venir. Freyja a toujours su pourquoi, sans oser le dire. Elle ne lui en a jamais réellement voulu, dénuée de rancune. « Je sais … Ce n’est pas grave. Ne t’en fais pas. Je me suis inquiétée … Ton ancien mari a su me rassurer. Je suis désolée d’ailleurs, de l’avoir contacté. » Fouailler dans une intimité usurpée à d’autres. Eveiller ce qui aurait dû être enterré. Mais elle ne savait pas, non, vers qui se tourner. Et il est celui qui a fini par se présenter. « Tu vas bien n’est-ce pas ? » Question usuelle pour d’autres, insensée pour certains. Mais aux lèvres de Freyja cela revêt d’autres atours. Plus sincères, plus profonds aussi. Elle aimerait l’entendre dire, ce qui éveilla le trouble. Elle aimerait préserver cette confiance qui existait entre elle, et qui n’a jamais su entièrement mourir.
@"Maxine Flanaghan"
(c) DΛNDELION
Et in arcadia ego [Freyja et Maxine]
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