Stevie Wonder [ft. Ella]

Qui aurait réellement cru que je céderais à un tel supplice? Je ne dis pas qu'elle est affreuse, non, j'aurais pu trouver pire, je ne dis pas non plus qu'elle est trop jeune par rapport à moi, ce serait plutôt l'inverse pour une fois et je ne dis pas non plus qu'elle est insupportable vu que pour le moment je la tolère. Je dis juste que cela remonte à des années où je n'ai pas voulu tester quoi que ce soit car on sait tous comment ça se finit; mal. De l'amour à la haine il n'y a qu'un pas; je ne ressentais même pas ce genre de sentiment pour Poppy mais il n'a pas fallu longtemps pour qu'elle me tape sur les nerfs à toujours faire des conneries et être le larbin qui les lui répare tout simplement pour sauver ma propre peau. Dire que j'en étais au point où je pouvais la buter sans aucune rémunération se rapprocherait bien de la réalité. Mais là, c'est tout autre chose. Pour le moment Ella se montre respectueuse et ne tente pas de s'immiscer dans ma vie privée, chose que je respecte. Nous n'avons pas encore couché ensemble pour mon plus grand bonheur et lorsqu'elle tente de déposer ses lèvres sur les miennes, je détourne la tête immédiatement. Qui dit relation nouvelle, dit que je dois la sortir comme un chien. C'est pourquoi en cette douce soirée d'été, je décide la trimbaler dans un quartier mignon du Queens. Il y a un restaurant que j'ai toujours voulu essayer et si je ne lui demande pas son avis au moins elle se dira peut-être que je prends des initiatives. Ce sera déjà une chose qu'elle ne me reprochera pas ou alors elle se dira simplement que je ne pense qu'à moi-même et dans ce cas, elle aura entièrement raison. Je ne vais pas la chercher avec une limousine ou ce genre de conneries, ça ne fait même pas une semaine qu'on se voit régulièrement. Je veux bien sortir le grand jeu de temps en temps mais il y a des limites. A cheval sur ma moto, légèrement habillé pour l'occasion, je viens klaxonner pour la prévenir de ma présence en retirant mon casque pour me montrer à visage dévoilé. Je tente d'esquisser un sourire en la voyant sortir, c'est comme si je ne me réjouissais pas de me fourrer dans une telle situation, comme si ça me faisait chier plus qu'autre chose. Mes lèvres viennent à peine effleurer sa joue. "T'es plutôt pas mal ce soir." lui dis-je, toujours aussi réservé sur les compliments puis remets mon casque pour nous amener directement dans ce quartier traditionnel où je finis par me garer. "Apparemment, il a ouvert il y a quelques mois, un restaurant où on mange dans le noir." Ça me permettra au moins de m'imaginer dîner avec Albane comme un rêve qui ne se réalisera jamais.

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{ risibles amours }
crédit/ tumblr ☆ w/@Elijah Fitzgerald

Elle le voit ce soir. Lui, c’est son pigeon du moment. Ils changent à vitesse assez régulière en règle générale, quand elle en a assez de les supporter, ou bien quand c’est eux qui finissent par se rendre compte qu’elle vit à leurs crochets. Certains ne s’en rendraient jamais compte. Tellement obnubilés par l’idée d’avoir une fille sympa, conciliante et cool en plus d’être sexy à leur bras. Ils croient que c’est un dû. Ils croient qu’ils le méritent, qu’ils méritent une fille comme elle. Celle qu’elle s’amuse à jouer, celle qui n’existe sans doute pas en réalité. La fille qui supporterait qu’ils rentrent à des heures ahurissantes sans prévenir ni aucune explication, celle qui est prête à leur préparer leur plat préféré pendant qu’ils regardent leur match, vautrés sur leur putain de canapé. La fille qui a envie de leur procurer tout le plaisir qu’ils réclamaient à toutes les autres. Et ils y croient, ces abrutis. Ils n’comprennent pas que, à défaut d’avoir obtenu ta carrière de comédienne, t’as fait de ce rôle ton préféré. Celui de la fille qui retournera leurs cœurs pour avoir leurs portes-monnaies. Elle est capable de dépasser toutes les limites, uniquement pour son plaisir, uniquement pour s’en sortir. En réalité, ce n’est que cela, pour Ella, de la survie. Elle a appris à le faire alors qu’elle n’était encore qu’une gosse, à retomber sur ses pattes quand elle n’avait rien pour adoucir les sauts dans le vide que la vie lui offrait. Elle a appris à se débrouiller toute seule, à survivre toute seule. Et c’est comme ça qu’elle continue de faire. Prendre ce que la vie n’a pas voulu te donner. T’en saisir toute seule quitte à l’arracher aux autres. Elle n’éprouve aucun scrupule, c’est même plutôt amusant de les mener en bateau comme elle le fait. Ils tombent amoureux si facilement, ils croient tomber amoureux. Sauf qu’ils veulent juste une fille qui répond à leurs critères, une qui pourra s’insérer à la minuscule place qu’ils accepteront de faire dans la vie qu’ils n’ont pas envie de changer d’un millimètre. Ils sont tous comme ça. Absolument tous. Et le pire, c’est qu’ils veulent tous la même chose. Elle connaît ce rôle sur le bout des doigts à force, Ella. Sauf avec lui. Elijah, il est différent. Elle doit bien l’avouer. Elle n’a jamais connu un mec comme lui. Il n’a pas l’air intéressé par les mêmes choses que les autres, il ne semble rien avoir en commun avec les autres. D’ailleurs, à ce stade, c’est le seul, le premier, à n’pas avoir tenté de la sauter. Même un baiser, il n’en initie pas. Elle se retrouve face à un spécimen rare, elle le sent. Elle se demande encore comment l’appréhender car ses vieux réflexes reviennent facilement, trop facilement. Alors qu’il est évident qu’il faut l’attraper autrement. Pourtant, elle devrait s’en satisfaire. Se reposer, pour une fois, pour une fois qu’elle ne se retrouve pas avec un lourdaud de première. Mais cela l’intrigue, Ella. Cela attise un peu son intérêt, plus que ses prédécesseurs. Ce soir, elle s’est vêtue d’une jolie robe blanche, suffisamment affriolante pour attirer le regard et flatter son égo, pas assez pour trop porter l’attention sur elle et finir par l’agacer. Tout n’est que détails. Elle est en train de se mettre du rouge à lèvres quand elle entend klaxonner en bas de son appartement. Elle attrape la pochette, pratiquement vide, qui lui sert de sac à main avant de le rejoindre. Car, évidemment, la fille parfaite ne fait pas attendre. Elle n’a pas besoin d’être en retard pour être parfaite. En le retrouvant, elle lui adresse un sourire radieux, l’air ravie de le voir. Lui, il fait moins semblant. Parfois, tu te demandes ce qu’il peut bien attendre de vos rendez-vous. Ce qui le pousse à les poursuivre alors qu’il ne paraît pas si heureux. Cela embêterait n’importe quelle femme. Mais pas la fille parfaite qui ne pose pas de questions. Elle, elle prend ce qu’il donne, puis elle lui retourne même ses compliments. – J’voulais te faire honneur. Elle s’approche de lui pour s’installer sur la moto. Évidemment, elle ne va ni se plaindre pour sa robe beaucoup trop légère pour une telle balade, ni pour ses cheveux. Parce qu’elle est fun, la fille parfaite. Et, en vérité, sur ce coup-là, c’est réellement quelque chose qu’elle apprécie, la moto. Elle se serre contre lui durant le trajet, juste assez pour lui rappeler sa présence, sans se montrer envahissante. Et, dès qu’il se gare, elle n’attend pas pour sauter de l’engin. – Oh, c’est plutôt cool. Tant qu’on ne s’inquiète pas de ce que peuvent faire les autres autour. lui dit-elle, la voix malicieuse, avant de le suivre à l’intérieur. Un serveur les dirige directement à une table. Elle est juste à côté d’Elijah mais elle ne prend pas sa main. Ce serait trop étouffant pour la plupart des hommes à ce stade. Ils finissent par s’installer à table, et elle tente de retrouver son regard malgré la pénombre. Plus compliqué. Plus compliqué aussi de charmer un homme sans ses yeux de biche et son sourire. Mais cela ne la surprend pas de lui, finalement. Autant s’en servir comme un avantage. – Tu sais quoi, ça ne m’étonne pas de toi que tu aies choisi un restaurant dans le noir. T’as l’air d’avoir besoin de plus que la plupart des gens. Pas des hommes, non des personnes. C’est plus agréable à entendre. Mais, au fond, elle le pense, Ella. Il n’a pas l’air de se contenter uniquement d’un joli sourire pour se laisser charmer. C’est sans doute ce qui le rend si différent des autres.

Pourquoi sa simple remarque sur le principe de ce restaurant ne me laisse pas de marbre, comme une méfiance déjà présente qui s'enflamme immédiatement après un léger coup de vent? Je ne réplique rien, je laisse faire, l'accompagnant simplement à la table où elle se met juste à côté de moi. Je fronce les sourcils, par chance on ne peut rien y voir. Pourquoi une telle place? Notre table n'est pas prise par des inconnues et il me paraissait pourtant d'une logique infaillible qu'elle se place face à moi, comme un vrai dîner romantique. Par précaution, je viens récupérer mon porte monnaie pour le placer à son opposé. C'est le genre de réplique qu'aurait pu utiliser un pickpocket, je ne suis pas dupe et même si je devais me faire une fausse idée sur sa personne au moins je sais que cet objet sera dans un endroit sûr où je pourrais sentir si l'on venait à essayer de me le chourer. Puis une autre remarque. Je lâche un soupir tout en haussant les sourcils mais pas d'un air étonné. Plutôt celui qui dit "tu m'en diras tant.". "Et de quoi aurais-je besoin alors?" lui demandais-je sur ce ton monotone. Un serveur se dirige vers nous et nous énumère les repas, choisissant pour ma part le troisième qu'il a cité avec un simple coca. L'alcool, même pour des occasions, c'est très peu pour moi. "Et toi, de quoi as-tu besoin dans la vie?" Une question bateau, où les réponses données rentrent par une oreille et parfois ressortent de l'autre. Je lui laisse tout de même le temps de répondre, c'est déjà ça non? Rapidement, le serveur revient avec notre apéritif et je tâtonne la table pour essayer de trouver le verre qui semblerait s'être renversé sur la "jeune" femme qui m'accompagne. Comment je le sais? Car j'en ai aussi fait les frais, juste quelques gouttes, ne vous méprenez pas. "Oh je suis désolé." L'obscurité peut certes caché mon rictus mais pas le ton de ma voix qui pourrait être presque sarcastique. Je tente tout de même de récupérer une serviette et la lui donne. Je ne supporte pas qu'on me touche, ce n'est pas pour infliger aux autres ce que je n'aime pas qu'on me fasse. "Avec la chaleur ça devrait vite sécher, ne t'en fais pas." ajoutais-je avant d'appeler le serveur. "Un autre verre pour mademoiselle s'il vous plait, il y a eu un léger incident de type "aveuglement"." Il pouvait très bien entendre le sourire sur mes lèvres tout comme j'ai très bien pu entendre son soufflement de nez, probablement amusé et habitué de la situation.

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{ risibles amours }
crédit/ tumblr ☆ w/@Elijah Fitzgerald

Les quelques mots emplis de sous-entendus charnels ne semblent pas avoir l’effet escompté auprès de son bien-aimé. Elle a l’impression d’avoir dit quelque chose de mal alors que, non, elle le taquine juste au sujet des éventuels débats qui pourraient se passer à côté d’eux dans ce restaurant à l’aveugle. Ou peut-être qu’il est juste trop coincé. Vraiment trop coincé pour apprécier. Plus encore qu’elle ne l’a cru jusqu’à présent. Les allusions au sexe, tu évites avec lui, c’est noté. Au fond, elle n’est pas si différente des autres femmes, Ella. Elles ont toutes tellement besoin de plaire aux hommes, tellement besoin d’avoir leur aval, comme si sans eux, elles n’étaient rien. Elles aussi, elles amoindrissent leurs défauts. Elles cachent leurs cernes, elles gonflent leur poitrine, quand elles n’abusent pas de la chirurgie esthétique. Elles aussi, elles jouent les femmes parfaites. Elles font comme si elles étaient cool, naturelles et spontanées, alors qu’elles contrôlent le moindre de leurs mots pour éviter de faire quelque chose qui éliminera d’emblée le deuxième rencard. Et tous ceux qui suivront. La seule différence entre toi et ces femmes, c’est que toi, ce n’est pas un amour inexistant que tu veux chercher mais de l’argent bien réel. La différence entre toi et ces femmes, c’est que toi, t’obtiens toujours ce que tu veux. Arrivée devant la table indiquée par le serveur, elle s’assoit en face de son compagnon de la soirée. Les deux opales qui les recherchent, elle se laisse le temps de s’habituer à l’obscurité des lieux tout en débutant naturellement la conversation. À la demande d’Elijah, la brune incendiaire réfléchit un bref instant. – Je dois dire que je ne le sais peut-être pas encore. T’es plutôt mystérieux. Ce que je pense, par contre, c’est que les conversations futiles, juste histoire de parler, ou de flirter, ça t’intéresse pas. Ça t’ennuie, toi, t’as besoin d’être stimulé… Et un endroit comme celui-là, c’est parfait pour ça. Elle le voit mal au beau milieu d’un bar en train de séduire les jolies filles qui passent avec deux ou trois phrases bateaux. Elle le voit mal se contenter de la futilité. Mais, par précaution, elle ajoute, le ton doux, innocent. – Mais peut-être que je me trompe, hein, je ne connais pas encore très bien. Jouer la carte de l’innocence. Bien qu’elle soit pourtant sûre de ses propos. Ce n’est pas l’analyse fine d’un psychologue qu’elle veut laisser voir, plutôt les observations naïves de la fille à qui il plaît. Le serveur arrivant, les deux jeunes gens prennent le temps de commander. Un verre de vin blanc, sobre, pour la demoiselle, un soda pour le monsieur. Elle commande le saumon sans trop prendre le temps d’y réfléchir, avant de se retrouver à nouveau en tête à tête avec sa victime du moment. La question qu’il lui retourne, il veut savoir ce dont elle a besoin. Le code de ta carte de crédit, ce serait parfait. Elle lui sourit avec douceur. Même dans le noir, il doit le sentir au son de sa voix. – Je crois que… J’ai besoin de renouveau. Arrêter de m’enfermer dans le passé, juste… Réussir à tourner certaines pages. Sa sincérité est palpable. Car elle est on ne peut plus réelle. Ce n’est pas parce qu’elle arnaque des hommes qu’elle leur ment constamment, Ella. Elle peut aussi se dévoiler, plus ou moins, selon celui qu’elle a en face de lui. De nouveau, ils sont interrompus par le serveur qui ramène leur apéritif. Apéritif qui, pour sa part, se renverse sur la table, et puis sur elle. Elijah lui présente aussitôt ses excuses mais elle perçoit l’ironie dans sa voix. Elle ne comprend pas. – C’est rien. Je vais aller faire un tour aux toilettes. Elle recule sa chaise pour y accéder plus ou moins facilement. À l’intérieur, il y a quelques faibles lueurs de lumières tout de même indispensables, heureusement. Elle se saisit de son téléphone portable, allumant le flash, pour observer l’étendue des dégâts sur sa robe. Un soupir s’échappe de ses lèvres. Heureusement qu’elle n’a pas pris de vin rouge. Elle se rince la main et le poignet avant de retourner finalement dans la pièce entièrement dans le noir. Sans trop de mal cette fois, elle retrouve sa table et la place qu’elle occupait. – Rassure-moi, c’est bien Elijah ? dit-elle, la voix amusée. Mais elle aperçoit les traits du visage qu’elle reconnaît. Sa main qui récupère habilement sa coupe, elle sourit pour trinquer avec lui. Après deux petites gorgées de son vin, au passage délicieux, la belle reprend la parole. – Dis, on va jouer à un jeu. Dis-moi les trois animaux que tu préfères, en me donnant une bonne raison à chaque fois. Il est temps de détendre un peu l’atmosphère, Ella.