(fb) pro bono (will)

Les affaires pro bono, c’est presque son quotidien depuis quelques mois. Les avocats seniors du cabinet d’avocat où elle fait ses stages ont carrément tendance à lui refiler tous ceux qu’ils devraient faire eux-mêmes, préférant se concentrer sur leurs clients plus importants. C’est-à-dire, ceux qui vont leur rapporter le plus d’argent. Le pire c’est peut-être que leur excuse – il faut bien que tu t’entraînes – est loin d’être mauvaise : elle n’a jamais progressé autant. Et puis, au final, c’est pour ça qu’elle voulait devenir avocate, non ? Aider les plus faibles. Ceux que le système serait bien trop heureux de broyer dans ses rouages.

Quoi qu’il en soit, ses journées sont longues, et elle en vient presque à fantasmer sur une vie plus calme. Heureusement qu’il y a Ethan, son nouveau copain, qui vit au même rythme qu’elle. Soutiens indéfectible qui est toujours là pour la prendre dans ses bras quand elle pleure de nervosité. Le sourire aux lèvres, il lui dit souvent : tu verras, un jour je t’épouserai et tu pourras rester à la maison. Il n’est pas sérieux, du moins Jill n’y croit pas, mais dans les moments de grande fatigue, ces paroles sont plus que bienvenues.

Il est sept heures du matin quand elle arrive au cabinet, ce matin. Dans l’ascenseur, elle envoie un sms à son copain. Mon empire pour une grasse matinée ! Elle n’a le temps ni de recevoir la réponse ni de sortir l’ascenseur que l’un des avocats seniors l’intercepte. « Tu redescends, un pro bono t’attend au poste de police. » Il appuie sur le bouton du rez-de-chaussée et lui sers un sourire charmant alors que les portes d’acier se referment. Quel connard. Jill soupire mais ne se laisse pas abattre. Évidemment, il n’a pas pris le temps de lui donner le moindre détail sur le cas. Classique.

Le soleil se lève à peine quand elle passe la porte du commissariat. « Jill Botsford ? », elle s’annonce à l’accueil, pas certaine qu’elle soit vraiment attendue. La policière reste affable. « Je suis envoyée par le cabinet Rogers & Smith. » Là, son regard s’illumine un peu, les connections se font. « Votre cliente est en cellule de dégrisement. Elle clame son innocence depuis trois bonnes heures. Vous savez ce que c’est, ils sont tous innocents. Sauf que celle-ci, y a récidive. » Jill n’aime pas son attitude. D’ailleurs, elle n’y croit pas. Certains sont accusés à tort. Bien souvent, ils n’ont que la gueule de l’emploi, des suspects idéaux et peu acceptent de remuer la merde pour les en sortir.

Elle voudrait demander ce que sa cliente a fait quand elle tombe nez à nez avec la dernière personne qu’elle avait envie de voir aujourd’hui. Will. Clochette. Elle qui a gagné, qui doit jubiler de la revoir, elle qui a Pan pour elle tout seule maintenant qu’elle n’est plus là. Il faut tout de suite qu’elle trouve une excuse pour se barrer de là, lui envoyer quelqu’un d’autre. « Je pense que ça va pas le faire », elle dit en s’adressant à la policière. « Comment ça ? », cette dernière lui demande en la regardant de travers. C’est que ce n’est pas vraiment bien vu de refuser un cas à la sale gueule du client. C’est pas le genre de chose qui est censé arriver. Vous pouvez pas lui trouver quelqu’un d’autre ?, elle voudrait demander. Mais ce n’est pas comme ça que ça marche. Et elle a beau ne pas apprécier clochette le moins du monde, ce n’est pas pour ça qu’elle lui souhaite de tomber sur un avocat qui n’en a rien à foutre. « Laissez tomber. » La policière hausse les épaules et s’en va, les laissant seules pour des retrouvailles dont Jill ne veut pas.

Elle soupire, fuit le regard de Will, a du mal à cacher sa gêne. « Bon finissons-en. Qu’est-ce que t’as fait ? Raconte-moi tous dans les détails. » Elle espère vraiment s'en sortir sans que Clochette ne se laisse aller à l’une ou l’autre remarque désobligeante. Et, s’il-vous-plait, faites qu’elle ne mentionne pas à quel point les enfants perdus sont mieux sans elle. Ou pire : qu’ils soient tous dans la merde autant qu’elle, dans d’autres cellules.

elle s'est cru trop forte will, une gamine qui se pense invincible alors qu'elle n'a rien d'une grande. une enfant au-dessus des lois, plus forte que tout. elle aimerait être comme ces grands délinquants qui contrôlent le monde entier sans jamais se faire prendre. la vérité c'est qu'elle n'a pas la carrure pour ça, la capacité de se la fermer au bon moment est indispensable, mais will ne sait pas faire ça. la gueule trop grande, trop ouverte, la voix qui s'énerve à la moindre contrariété. instable. la voilà qui se retrouve enfermée entre les quatre murs d'un commissariat de police. elle a vu trop grand en essayant de braquer ce magasin d'argenterie, tout semblait pourtant parfois avant le déclenchement de l'alarme. une erreur de débutante qui a alerté immédiatement les forces de l'ordre. elle clame son innocence, exige un avocat. quelqu'un, n'importe qui, elle veut juste sortir de son trou. lionne enfermée en cage. le jour pointe le bout de son nez quand la policière lui annonce que son avocate commise d'office est enfin arrivée. c'est pas trop tôt, elle a l'impression d'étouffer dans cet endroit morbide, cette pièce uniquement composée d'un banc et d'un lavabo comme si elle était une criminelle dangereuse. l'intéressée finit par se présenter devant les barreaux. merde. le visage de will se décompose en direct. tout mais pas ça. tout mais pas la fille sans laquelle elle n'a jamais été aussi bien. la rivale de l'enfance devenue le nom tabou. celle qui s'amuse à lui piquer pan, elle a finit par s'éclipser de leurs vies, mais quelque chose lui dit que ce n'est pas terminé. les regards sombrent se toisent avec cette éternelle lueur de défi qui brille au fond des pupilles. jill négocie avec la policière pour se décharger de cette affaire. putain, elle va la laisser dans cette situation en plus, ça ne l'étonnerait même pas. la conscience professionnelle semble prendre le dessus quand elle se résigne à la confrontation. autant parler au mur, ça avancera plus facilement. « Bon finissons-en. Qu’est-ce que t’as fait ? Raconte-moi tous dans les détails. » un soupir brise ses lippes avant même qu'elle prenne la parole pour faire résonner sa voix cinglante. « Un bonjour c'est trop demandé ? Excuse-moi, je ne suis pas une fille de riche, je ne le mérite pas. » un sourire mauvaise s'étire sur ses lèvres, c'est plus fort que tout ce besoin de se faire du mal, se détruire à petit feu pour prouver qui est la meilleure. will se souvient de son rire qui éclatait en voyant jill trébucher en étant gamine alors que tout le monde se ruait vers la pauvre petite. elle reprend un peu plus sérieusement après quelques secondes de silence. « J'ai voulu voler dans un magasin d'argenterie en pleine nuit, le flic m'a chopé. il m'a incendié, mais j'ai pas eu le temps de prendre quoi que ce soit. fin de l'histoire, me voilà ici. » il y a son petit poing qui se serre en pensant à ce flic, le genre de colosse qui se fiche bien des excuses, il est payé pour faire rentrer le plus de personnes en cellule et il applique les règles sans broncher. « T'es capable de me faire sortir d'ici au moins ? » les yeux roulent dans leurs orbites. c'est la seule présence de jill qui l'exaspère, elle est incapable de se contrôler en sa présence, tant pis si les flics entendent. tout était si simple sans elle.

De toutes les personnes capables de remuer les souvenirs de son enfance avec les enfants perdus, Will est bien la dernière qu’elle voulait voir. Il y a toujours eu une rivalité entre elles. À celle qui pourrait le mieux se faire aimer des autres. À celle qui aurait le plus l’attention de Peter. Des piques, de la méfiance, des sourires faux. C’est tout ce que clochette lui inspire. Pourtant maintenant qu’elle est là, Jill a du mal à garder son regard loin de son visage très longtemps. Peut-être à cause d’une sorte de curiosité morbide ou alors parce que tous les souvenirs liés à ce visage ne sont pas si mauvais que ça. Période révolue, à laquelle il lui arrive de penser souvent, avec nostalgie mais sans vraiment vouloir y retourner, lui semble-t-il, comme quand on repense à l’enfance. La fée a changé mais il émane toujours la même chose d’elle qu’avant : une fragilité acide, une force vibrante, un charme que Jill aurait préféré qu’elle n’ait pas.

Jill voudrait en finir, et vite. Pas question de remuer la poussière trop longtemps, il ne peut rien en sortir de bon. Chacun sa vie, aujourd’hui, la sienne et celle de Will diamétralement opposées, au point où elles se trouvent littéralement chacune d’un côté des barreaux de la cellule. « Un bonjour c'est trop demandé ? Excuse-moi, je ne suis pas une fille de riche, je ne le mérite pas. » Jill arque un sourcil alors qu’elle retrouve ce sentiment familier de se disputer avec une cousine ou une petite sœur rivale. « Fais pas chier, Will, on aimerait toutes les deux êtres ailleurs. » Elle est elle-même surprise par la familiarité avec laquelle elle lui répond, c’est presque confortable, presque apaisant, de laisser tomber les sourires polis et les mots doux.

Elle voudrait être ailleurs oui, mais malgré toutes ces années de silence, elle a trop de loyauté envers les enfants perdus pour laisser leur fée croupir en cellule. Pas si elle peut l’éviter. Même si, après tout, elle ne sait pas si les autres se voient toujours. Si les enfants perdus existent toujours ou si, comme elles, ils ont tous finit par prendre des chemins différents et s’éloigner. Elle ne sait même pas ce qui est le pire : que le groupe soit dissout ou qu’il existe toujours, heureux sans elle ? Elle préfère ne pas poser la question et se concentrer sur les mots de Will, qui lui raconte les faits. « J'ai voulu voler dans un magasin d'argenterie en pleine nuit, le flic m'a chopé. Il m'a incendié, mais j'ai pas eu le temps de prendre quoi que ce soit. Fin de l'histoire, me voilà ici. » Son esprit cherche déjà une façon de la faire sortir le plus vite possible. Est-il raisonnable de plaider innocent ? Discrimination de la part du flic parce que Will est connue du commissariat ? Y-a-t-il des preuves, des caméras ?

Impatiente, Will insiste, faisant rouler ses yeux. On dirait l’une de ses amies, exaspérée parce qu’un chauffeur n’est pas à l’heure ou parce qu’une femme de ménage a fait quelque chose qui ne lui a pas plu. Jill mord sa langue pour s’empêcher de lui répondre qu’elle n’a pas le luxe de prendre ce genre d’airs. « T'es capable de me faire sortir d'ici au moins ? » L’avocate soupire, replace une mèche derrière son oreille, plonge ses pupilles dans celles de la criminelle. « Oui, je suis capable de te faire sortir d’ici. Même si ce serait plus facile si t’étais une fille de riche. » Elle lui sert un sourire acide qui signifie quelque chose du genre : tu vois comme ma vie est facile ? Comme une façon de lui faire miroiter ce qu’elle n’aura jamais, qu’elle regrette presque instantanément, se fustigeant silencieusement de tomber dans le piège de Clochette et se laisser aller à être aussi méchante qu’elle.

Elle essaye de changer de sujet en la matraquant de questions, histoire d’en avoir fini le plus vite possible. « Est-ce que t’étais armée ? Est-ce que t’es entrée par effraction ? Tu sais s’il y avait des caméras ? » Il y a peut-être un autre point d’attaque. « Est-ce que le flic a été brutal ? Si t’as la moindre marque ou le moindre bleu récent, ça peut nous aider. T’as déjà été arrêtée par le passé, il paraît. Tout s’est passé comme avant ? Il t’a lu tes droits, le trajet s’est passé sans encombre ? » Ils n’oseraient rien faire à une femme du gabarit de la fée mais Jill sait que certains flics ne sont pas toujours très délicats avec des criminels qu’ils connaissent et détestent. Les menottes sont facilement trop serrées et parfois la portière de la voiture se referme accidentellement sur leurs chevilles ou sur leurs doigts.

"on aimerait toutes les deux êtres ailleurs" pour fois will ne peut pas lui enlever la réalité qui sort de ses lèvres. elle n'a pas envie de croupir au fond de cette cellule, c'est bien la seule raison pour laquelle elle reste. la conscience professionnelle contre l'envie de retrouver une liberté perdue trop tôt. elle se retrouvent plantées là dans un intérêt commun, mais ce n'est pas pour autant que la brune se laisse faire. la mâchoire reste fermement serrée, les regards se toisent dans un air de défi qu'elles n'ont avec personne d'autre. c'est juste une vieille rancoeur d'enfance, une jalousie mal placée qui brouille les points communs qu'elles peuvent avoir en se penchant un peu plus sur la situation. il a fallu que ce soit wendy, la fille meilleure que tout le monde, plus belle, plus intelligente, plus riche, moins bornée sûrement. autant que ça se termine vite alors will explique la situation en quelques mots. c'est juste une connerie d'adolescente, elle n'est ni la première ni la dernière à foirer une tentative de cambriolage, pourtant sa tête est connue avec les forces de l'ordre, suffisament pour être discriminée. c'est le regard vers le ciel qu'elle demande si l'avocate est capable de la faire sortir d'ici, l'impatience teinte sa voix déjà tendue. la vipère rétorque instantanément, plonge dans le piège en visant le sujet qui fait mal. leur principale différence, leur milieu social n'est pas comparable. « tout le monde n'est pas né avec une cuillère en argent dans la bouche comme toi, les autres ont appris le respect, eux. » elle accentue volontairement le dernier mot, crache son venin de toutes ses maigres forces. jill représente à la perfection ce qu'elle déteste le plus au monde, une fille de riche qui le clame sous tout les toits en méprisant ceux qui sont en bas de l'échelle. le sujet change dans le but d'apaiser la situation, mais il est trop tard pour faire machine arrière et les questions dignes d'un interrogatoire ne font qu'énerver un peu plus will, véritable animal pris au piège, coincé dans un coin de la pièce sans pouvoir se défendre convenablement. « oui bien sûr, j'ai même donné mon nom à l'accueil figure-toi. » l'ironie ne se cache pas dans le ton de sa voix. au-delà de l'irrespect, elle ne supporte pas être prise pour une moins que rien. la question des bleus fait tilt dans son esprit, il n'a pas été infligé par le flic, mais il est assez récent pour passer. un simple échange musclé avec le poison de sa vie qui a fait apparaitre une tâche violacée sur son poignet. elle relève sa manche, tend son bras en direction de l'avocate, un sourcil toujours haussé en signe de méprise. « le flic est juste un connard qui se pense au-dessus des lois. c'est suffisant pour toi ? » le duel n'est pas terminé, la brune est trop avancée dans sa tension pour la laisser partir sur un simple arrangement contre un flic qui n'a rien demandé. « dépêche-toi, je dois rejoindre les enfants. tu sais, ceux que tu as abandonnés. » c'est le sourire mauvais aux lèvres que will replonge volontiers son regard dans celui de jill. elle l'a cherché pendant tout l'échange, à son tour de rétorquer comme il se doit, même si ça doit rallonger un peu l'interrogatoire, le plaisir est trop fort pour se taire.

Jill est sur la défensive. Will a trop de pouvoir de nuisance contre elle. Trop capable de remuer le passé. De lui rappeler le mauvais mais le bon aussi. Elle ne veut même pas se laisser aller à la détester à nouveau pour de bon. Céder c’est laisser le passé reprendre de la place dans son présent, sa nouvelle vie parfaite. Pourtant, c’est plus fort qu’elle. Quand la fée l’attaque en doutant de sa capacité à la faire sortir de là, elle ne peut pas s’empêcher de contre-attaquer. Lâchement, elle s’empare de l’évidence, l’injuste différence de milieux sociaux entre elles. Elle se veut, pourrait presque ouvrir la bouche pour prononcer des paroles d’excuse. Mais Will est définitivement trop désagréable. « Tout le monde n'est pas né avec une cuillère en argent dans la bouche comme toi, les autres ont appris le respect, eux. » Jill lève les yeux au ciel. Elle n’a pas l’impression de devoir se justifier sur des questions telles que le respect. À vrai dire, elle ne pense pas avoir à se justifier sur grand-chose. Elle est bien dans ses baskets, elle adore son boulot, elle aime son copain. Qu’est-ce qu’une ancienne enfant perdue, aujourd’hui devenue vieille adolescente traînée, peut contre elle ?

Alors, elle change de sujet et la matraque de questions pour faire avancer les choses. Autant en finir. Le plus vite possible. Ce serait plus rapide encore si elle lui demandait simplement de plaider coupable. Elle pourrait le faire. Elle pourrait lui dire qu’il n’y a pas d’autres issues et la voir écoper d’une amende salée ou d’un petit passage en prison. Elle pourrait. Mais elle ne pourrait pas faire ça aux enfants perdus. Groupe d’ami sûrement depuis longtemps dispersé dans la nature – elle ne veut pas le savoir – mais auquel elle ne pourrait pas enlever leur Clochette et garder la conscience tranquille. Aussi désagréable soit la Clochette en question. « Oui bien sûr, j'ai même donné mon nom à l'accueil figure-toi. », Will lui répond, ignorant à peu près la moitié de ses questions. Jill lui oppose un sourire de façade, ne relevant pas sa bêtise, avant de continuer. Une porte de sortie un peu frauduleuse, qu’elle ne proposerait à personne d’autre mais qui la libérerait en moins d’une seconde. Ça a l’air de lui parler, à la mauvaise voleuse, qui relève sa manche et tend le bras vers elle, lui révélant une belle marque violette.

Jill aurait voulu rester de glace mais elle sent sa gorge se serrer. C’est quoi ça ?, elle voudrait demander, la voix étranglée. Des jeux d’adultes. Une violence qui ne faisait pas partie de leur enfance, soulignant bel et bien qu’elle est révolue. « Le flic est juste un connard qui se pense au-dessus des lois. C'est suffisant pour toi ? », Will explique. Pas besoin de savoir si c’est vrai. Ça fera l’affaire. « Oui. C’est suffisant pour moi. J’irai lui parler, laisse-moi prendre une photo. » Elle n’attend pas le feu vert de l’intéressée pour sortir son téléphone et prendre plusieurs photos de son bras abimé. Aucun flic ne prendrait le risque de laisser cette affaire partir au tribunal. Par les temps qui courent, l’opinion publique est plus facilement dans le camp de la jeune fille. Il aurait trop à perdre.

Le photo shoot n’est apparemment pas assez rapide pour la fée qui ne s’empêche pas de se manifester à nouveau : « Dépêche-toi, je dois rejoindre les enfants. Tu sais, ceux que tu as abandonnés. » Jill encaisse le coup, soudainement blême, et déglutit difficilement. Ça fait mal. « Je n’ai abandonné personne. » C’est ce qu’elle se dit quand elle y pense, quand elle se rappelle comme son enfance était belle, avec les enfants perdus. Et après tout, c’est un peu vrai. Peter a arrêté de venir la chercher chez elle. Wendy a arrêté de venir d’elle-même, encouragée par ses parents à tourner la page. À se lier d’amitié avec d’autres gens. Putain, qu’est-ce qu’elle a envie de poser des questions. De lui demander des nouvelles. Son cœur se serre. Elle ferme les yeux pour en chasser les larmes qui commençaient à menacer de couler. Quand elle les rouvre, elle croise les bras sous sa poitrine, se redresse et plante ses yeux dans ceux de Clochette. « T’as pas intérêt à les entrainer dans tes conneries, Will. J’en veux pas un seul derrière les barreaux, tu m’entends ? » Elle a perdu d’avance, elle ne le sait simplement pas encore. Elle pense surtout à la Guigne, si influençable à l’époque. Est-ce que c’est l’exemple de Will qu’elle suit aujourd’hui ? « En plus pourquoi tu me fais chier avec ça, hein ? T’es pas contente, c’est pas ce que tu voulais ? » Avoir Shabh pour toi toute seule, elle s’empêche de préciser, chassant difficilement cette dernière de ses pensées.

il y a la tension qui est palpable entre les deux jeunes femmes. ce n'est pas seulement une avocate et sa cliente qui a un peu trop déconné, c'est bien plus profond que ça. une haine viscérale malgré le lien des enfants perdus qui est indestructible, une jalousie qui ronge tout comme une souris sur un fromage déjà moisi. peu importe les sermons de la guigne, peu importe les engueulades avec pan quand le sujet sensible est abordé. c'est comme ça, c'est en elles. elles savent faire bonne figure quand il s'agit d'être en public, mais les coups bas ne sont jamais loin, tous plus mesquins les uns que les autres. il n'y aura jamais de trêve, de cessez-le-feu. jamais. les dernières paroles de will sont une preuve alors qui jill prend en photos ses bras abimés par ses consommations trop régulières. le coup est parti tout seul, le venin est lâché sans que will contrôle quoi que ce soit. la cible est touchée en plein coeur, pourtant elle ne tarde pas à rétorquer, se persuader qu'elle n'a abandonnée personne. elle a lâchée pan, c'est tout ce qui compte, ça suffit à accumuler la noirceur dans le regard de la camée. elle voit bien les perles salées qui menacent de déborder des yeux de wendy. ça pourrait l'attendrir, faire baisser son ton supérieur pour calmer l'ambiance électrique, mais non, elle s'enfonce toujours plus dans ses démons en affichant un sourire satisfait au coin de ses lèvres. tant pis si jill doit lâcher l'affaire en la laissant pourrir dans cette cellule, elle aura eu ce qu'elle veut, blesser l'animal nuisible. les voix montent en intensité quand les menaces fusent comme des flèches empoisonnées. ça donne l'impression à will de bouillir intérieurement, la sensation est accentuée par le manque qui pointe le bout de son nez au mauvais moment. « t'en fais pas pour eux, ils vont très bien. je m'occupe de leurs cœurs blessés par ta fuite. » la réalité est un peu différente, la brune est dans une période où elle se repose sur les épaules des autres enfants pour trouver la force de rebondir. ils sont comme ça, toujours prêts à donner leurs âmes pour compléter les trous dans celle d'un membre du groupe. prêts à donner leurs vies s'il le faut. c'est beau, c'est fort quand ils sont ensembles. will n'est pas clochette quand elle est sans eux, ils sont les uniques personnes à avoir droit à sa douceur vite remplacée par son plaisir sadique une fois éloignée. « je te ferai payer ce départ jill. jusqu'à la fin de ta vie s'il le faut. » elle la poursuivra, elle la traquera s'il faut pour se venger de cette absence qu'elle a infligée aux autres. elle soupire la camée, se relève pour tourner en rond dans la cellule devenue étouffante. « bon, tu me fais sortir ? » gamine capricieuse qui veut tout, tout de suite. enfant détestable pour les personnes qu'elle a dans le viseur, prête à dégainer.

Déstabilisée par l’uppercut envoyé directement dans son cœur par la fée maléfique, Jill se sent d’abord vaciller, chute de tension soudaine. Mais elle n’a abandonné personne. La culpabilité, toujours si proche de ses pensées, devient encore plus difficile à ignorer. Pourtant ce n’est pas de sa faute, si elle s’est éloignée des enfants perdus. Mais ça fait mal d’entendre qu’ils sont encore proche les uns des autres, qu’elle semble être la seule à avoir été emportée par le courant de la vie. Elle ne laisse pas ses émotions transparaître trop longtemps, se redressant pour défier Will du regard. Ce n’est pas parce qu’elle n’est plus là pour les enfants qu’elle ne leur souhaite pas le meilleur. D’éviter les emmerdes. Eviter d’être aussi connue du commissariat que ne l’est la fée. Menace diffuse au bout des lèvres – t’as pas intérêt – alors que Wendy est de toute façon trop loin pour interférer encore dans leurs vies. « T'en fais pas pour eux, ils vont très bien. Je m'occupe de leurs cœurs blessés par ta fuite. » Jill serre les dents, sentant la colère et la haine s’emparer d’elle. La haine est contagieuse, peut-être, parce que c’est plus facile d’attribuer ce sentiment dégueulasses à Will. « Ouais, t’as raison, j’vois pas pourquoi je m’en ferais. », elle répond, sarcastique, sourire faux sur les lèvres. Si elle n’aime pas imaginer les griffes de Clochette autour des cœurs des enfants – du cœur de Peter –, elle sait pourtant que ces derniers ont droit à sa douceur. Alors peut-être qu’elle s’en occupe vraiment bien. Peut-être. Acide dans l’estomac, Jill commence à avoir de plus en plus la nausée. De plus en plus l’envie de s’enfuir. Demander une journée de congé, se réfugier dans les bras d’Ethan.

« Je te ferai payer ce départ Jill. Jusqu'à la fin de ta vie s'il le faut. », l’enfermée menace à son tour. Comme si ça ne lui suffisait pas d’avoir tous les enfants perdus pour elle tout seule. Il lui faut le beurre et l’argent du beurre. « T’es dérangée, Will. Passe à autre chose. » Ça a assez duré, cette histoire. Sa vie est ailleurs. Plus rien n’est comme avant, c’est terminé, les enfants perdus. C’est ce qu’elle voudrait lui faire comprendre par cette phrase assassine mais les mots la blessent elle aussi. Parce qu’une partie d’elle regrette d’avoir tourné la page. Voudrait revenir en arrière, à l’époque où leurs disputes étaient quotidiennes. « Bon, tu me fais sortir ? » Jill secoue la tête, parce qu’elle n’en revient pas de se culot. « T’attendras bien ce soir. » Sachant qu’il est à peine 8h du matin. Mots qui ne servent qu’à l’enrager ou peut-être la désespérer un peu mais, bien sûr, Jill est incapable d’autant de cruauté. Elle a beau la détester, elle ne la laissera pas poireauter jusqu’au soir dans cette cellule miteuse. « Et, surtout, si t’as encore des ennuis avec la justice, n’hésite pas à appeler quelqu’un d’autre. » Jill s’éloigne, bien heureuse d’être séparée de l’animal par des barreaux. Bien heureuse aussi d’avoir trouvé une façon rapide de la faire sortir de là et de ne pas devoir la défendre devant un tribunal.

Les jambes rendues lourdes par la culpabilité de ce qu’elle s’apprête à faire, elle entre dans le bureau du flic, les photos du bras de Will comme autant de menaces sur l’écran de son téléphone. Le ton monte un peu et ça lui laisse un goût amer, de se faire un ennemi pour en sauver un autre. Finalement, le flic baisse les armes et se lève, clefs en main pour aller ouvrir la cellule de la fée. Jill s’éclipse rapidement pour ne pas la croiser à nouveau. La blessure dans son cœur rouverte par les mots de Clochette.

alors c'est ça le destin ? se retrouver enfermée entre quatre barreaux, candidate potentielle pour tous les avocats de la ville pour se retrouver face à son ennemie jurée. will aurait pu coopérer avec n'importe quel avocat, du plus cher au plus mauvais, de l'avocat d'expérience à celui tout juste sorti d'école. n'importe qui, mais pas elle. pas jill. les vieilles rancunes sont réglées alors que le moment est censé être décisif pour la brune. le sens des priorités est bouleversé quand elles sont confrontées l'une à l'autre, l'affaire judiciaire passe au second plan pour laisser le venin s'exprimer, ce seul poison qui fait battre le coeur de clochette. elle devient comme une mère louve qui protège férocement ses enfants, refusant de voir une inconnue s'introduire dans la meute. parce que c'est la vérité, jill est devenue une inconnue pour elle. de toute évidence elles n'ont pas la même vie, le monde tourne différemment, les soucis eux aussi sont opposés. l'une se bat pour survivre, la seconde pour se faire une place dans la cour des grands. jill a visiblement réussie son pari, la voilà avocate face à la victime impatiente de revoir la lumière du jour pour fuir loin de cette cellule, loin de wendy. c'est la mâchoire serrée qu'elle le fait comprendre. mais elle a trop jouée avec le feu clochette, elle s'est brûlée. elle le sent qu'elle va devoir attendre pendant de longues heures pour la punir de son insolence. tant pis, au moins elle a pu se décharger un peu de cette haine qui la consume au quotidien. avant qu'elle ai eu le temps de rétorquer une nouvelle fois, l'avocate file de sa cellule sans un regard supplémentaire. rendez-vous au prochain sort du karma qui croisera leurs chemins. leur relation n'ira jamais mieux, elles sont trop différentes ou trop rancunières pour accepter de se voir sans se chamailler comme deux enfants. will s'allonge sur le banc en bois, les yeux clos après cet échange. si elle doit rester toute la journée sur ce banc, autant en profiter pour dormir un peu, se laisser bercer par de jolis rêves qui l'éloigneront potentiellement des pensées assassines. pourtant elle a tout juste le temps de sombrer avant que les clés résonnent dans la pièce, la faisant sursauter au passage. il est là le flic à la mine bougonne, lui aussi il ne peut pas voir la mine de will en peinture. elle file will, retrouve sa liberté de fée. alors elle l'a fait jill, elle a eu le cran d'affronter ce policier pour la faire sortir de là malgré les blessures infligées. ça adoucit un peu l'estime que la brune a d'elle, mais elle n'aura jamais le courage de la remercier de vive voix. c'est un secret de polichinelle qui restera seulement entre elles, une vieille redevance qui pourra parfois peser dans la balance lors de futures disputes. il y en aura par centaines, mais will n'oubliera pas ce service qu'elle a pu rendre à son ennemie numéro un. comme une autorisation d'aller retrouver les enfants perdus pour prendre soin d'eux comme jamais, les couvrir de son amour maintenant que jill n'est plus parmi eux.