beware of- well… just beware ☽☽☽ lexoe

Des soirées comme celle-ci, tu les enchaînais sans jamais vraiment t’en souvenir le lendemain, parce qu’elles se ressemblaient toutes et qu’elles ne valaient pas la peine de rester gravées dans ta mémoire, que tu t’en fichais de toute manière. C’était juste du son dont tu t’enivrais, ondulant ton corps dans la foule sans te soucier de rien d’autre que du beat. Le reste, c’était bagatelle.
Jusqu’à ce qu’il te passe sous le nez.
Crâne rasé, l’air renfrogné, le sourire un peu saoulé et les mains garnies d’une bière. Il n’avait rien de spécial ce mec mais y’a eu un truc qu’a fait boum dans ton cœur.
Tu devrais pourtant y être habituée à force de le voir partout et nulle part à la fois, à espérer le trouver juste comme ça, par hasard puisque tu n’avais clairement pas les moyens de faire autrement qu’en arpentant les rues de New-York comme une âme en peine. Ça te faisait toujours le même effet quand tu en croisais un qui lui ressemblait, ou du moins à l’image que tu t’en faisais même si tes souvenirs s’estompaient. Et lui putain, lui il avait ce truc.
Alors ça a été plus fort que toi, tu ne l’as pas lâché du regard de la soirée, posée au fond de la salle avec ton verre posé contre ton menton, tes prunelles ancrées sur lui. Lui qui buvait sa bière l’coude posé sur le bar, à reluquer le cul d’une gonzesse avant de capter qu’elle avait sale gueule en fait, lui qui traversait la foule en virant les gens de son passage d’un geste impatient.
Merde, il se barrait !
Tu n’avais pas tout de suite capté, tu le voyais bien s’éloigner mais pas pour partir ! merde ! Tu n’allais pas le laisser filer comme ça, pas sans en avoir le cœur net ! Tu filais alors à sa suite, bousculant tout le monde sans respect, tentant de le suivre à la trace histoire d’en apprendre davantage sur lui. Lui parler ? Tu n’étais pas certaine de la manière de l’aborder mais tu comptais bien élaborer une stratégie pendant que tu le suivais…
Enfin ça c’était avant que c’crétin cherche la merde avec trois types. Tu ne les avais pas entendus mais c’est très distinctement que tu vis le poing aller s’écraser dans son visage. Brutal et efficace. Il n’avait eu aucune chance et sitôt les trois types partis, tu vins à lui. La voilà l’occasion parfaite pour lui parler !
Tu desserrais les lèvres pour dire un truc quand…
« Mais putain ta gueule pour voir ! »
Tu n’avais pas imaginé dire ça mais il t’avait pris de court en te traitant de transgenre, non pas que c’était une insulte ou un tabou dans ton monde à toi mais de sa bouche, ça n’avait clairement pas un ton bienveillant. Il avait de la chance que tu le prennes pour ton frère disparu sinon, c’était ton pied dans l’bide. Au lieu de quoi, tu lui tendis la main pour l’aider à se relever. « Reste pas par terre »

Tu ne le connaissais pas encore mais tu reconnaissais quelque chose en lui, comme un reflet de miroir de ce que tu aurais pu dire ou faire. Toi non plus tu n’avais pas la langue dans ta poche, tu n’étais pas le genre à baisser les yeux et faire profil bas. T’étais une battante et la retraite, tu la répugnais. Mais toi, t’étais une fille et les filles, on ne les frappait pas. On leur apprenait leur place. Salauds.
Elle était là, la bonne occasion pour lui parler, même s’il n’aimerait pas être vu dans cette posture, qu’importe, tu ne te souciais pas des sensibilités et susceptibilités. Tu l’approchais, pleine de convictions avant de te faire frapper en plein égo par ses mots crachés. Crétin ! Putain ! Tu l’envoyais chier aussi vite mais tu ne voulais pas perde l’occasion de lui toucher deux mots alors tu prends sur toi, insistant un peu avant de carrément oser faire le premier pas, d’une main tendue.
Il n’a pas l’air motivé à la prendre, ça se voit dans son regard. Tu l’as déjà vue cette lueur, plein de fois même/ Lorsque les gens pesaient le pour et le contre, se demandant intérieurement la date de leur dernier vaccin anti-tétanos où un truc du genre. Tu avais appris à passer outre, faire semblant de ne pas voir, faire comme si de rien n’était. Puis finalement, il se saisit de ta main. Tu ne savais pas trop si tu t’attendais à quelque chose de particulier, un courant électrique ou quelque chose qui te ferait savoir sans contrefaçon qu’il s’agissait bien de lui. Rien de tel ne se produisit, il avait juste les mains tièdes.
« Nan. » fis-tu d’un hochement négatif de la tête, fuyant son regard, prise d’une soudaine timidité. Et si c’était lui ? Et si ce n’était pas lui ? Tu ne savais pas lequel était le pire. « Tu ressembles à quelqu’un que j’cherche. » finis-tu par avouer avant de relever le nez vers lui, un sourire ironique au bout de tes lèvres. « C’est con hein ? Chercher quelqu’un à New-York en espérant tomber d’ssus par hasard juste comme ça. »

Tu l’aidais à se relever d’une poigne solide, bien campée sur tes pieds. Tu n’étais pas une fragile ni une faible, t’étais au moins aussi solide que lui si ce n’est plus vu sa carrure mais il avait ce quelque chose de nerveux qui te plaisait bien. Tout son être exprimait l’animal sauvage. Toi à côté, tu avais l’air pataude mais dès lors que tu te mettais en mouvement, tu devenais un vrai jaguar, taillée pour la vitesse et suffisamment endurante pour tenir la distance. Lâchant finalement sa main en la rangeant précipitamment dans ta poche comme si son seul contact t’avait brûlé, tu évitais un instant son regard sans trop savoir pourquoi tu agissais comme une demeurée. Non pas que d’habitude tu paraissais intelligente mais là, il avait quelque chose d’intimidant, de près. « Pourquoi tu t’marres ? » questionnais-tu, ne comprenant pas ce qu’il y avait de drôle à s’être fait péter l’nez. En même temps, il ne semblait pas tout à fait net dans sa tête alors sans trop savoir, tu commençais à lui déballer le truc.
Au moins, il ne serait plus le seul avec une araignée au plafond.
Il fallait bien être folle pour s’imaginer retrouver un frère disparu juste comme ça, en questionnant au hasard tous les garçons aux yeux bleus. Sauf que lui, il les avait vraiment très bleu. Presque translucides. Comme les tiens.
Mais ça restait débile quand même alors tu soupirais, lui expliquant le délire en te passant une main dans les cheveux, restant coincée dans un nœud sur lequel tu tirais deux fois avant d’abandonner la bataille. Au pire, tu n’aurais qu’à couper la mèche et ce serait réglé.
Mais tout le monde se fichait bien de tes cheveux en cet instant, surtout quand il t’avouait être comme toi, à la recherche de quelqu’un. Le monde était quand même drôle, hein ? « J’espère que t’auras plus de chance que moi, j’crois que j’m’y prend comme un pied. En même temps, je cherche dans des endroits de merde, si ça se trouve il est à Harvard pour c’que j’en sais ! » fis-tu en haussant des épaules, faisant semblant de trouver ça drôle alors que c’était plutôt triste à bien y penser. Lui en revanche, il ne se laissait pas abattre et quand il reprit avec cet air de conquérant, tu manquais de suffoquer. Il t’aurait frappé dans l’abdomen que tu aurais eu le même effet.
« Qu’est-ce que tu viens de dire ? » que tu lançais, lui attrapant le pull pour le tirer vers toi, qu’il arrête de picoler et qu’il te regarde droit dans les yeux, qu’il répète un peu pour voir. « Malone ? C’est ton putain de blaze ? »

Il avait cet air un peu fou ou sauvage des gamins qui en avaient déjà assez morflé pour se suffire à eux-mêmes. Tu étais comme ça aussi, tu avais beau croiser des gens jour après jours et apprécier leur compagnie, tu n’en avais pas particulièrement besoin pour autant. D’ailleurs bien souvent, tu ne te préoccupais même pas de leur présence, te laissant happer par tes propres pensées en allant jusqu’à oublier que tu n’étais plus seule. Il avait l’air de la même tempe et ça te faisait un drôle d’effet. Alors tu le regardais se marrer tout seul, demandant quand même une petite explication. Et quand tu l’obtins, tu fis un vague signe de menton. « Ah ouais, classe » tout un art que de ne pas gaspiller les bonnes choses, tu connaissais l’crédo, il avait géré, fallait le faire de sauver la bière tout en se prenant un coup pareil dans l’pif. T’aurais sans doute pas réussi, tu n’étais pas la plus adroite, rapide oui mais agile, c’était moins sûr.
Puis sans trop savoir, tu commençais à lui parler de ta recherche vaine, tu te devenais sentimentale en ce moment, ce n’était pas le premier à qui tu parlais d’Alex mais tu caressais peut-être l’espoir qu’un jour on te dise « hey mais j’le connais ton gars » ça n’était jamais arrivé encore. Peut-être que tu ne le retrouverais jamais en réalité mais tu n’arrêterais jamais de chercher parce que c’était tout ce qu’il te restait, si tu devais arrêter ça, si tu devais ne plus avoir d’objectif, à quoi bon continuer à te lever chaque matin. Tu n’avais pas un amour inconditionnel pour la vie, si tu tenais le coup, c’était dans l’espoir d’un jour le revoir, même si vous deviez être devenus des étrangers maintenant. Juste de savoir qu’il respirait toujours, ça t’allait. Même s’il voulait pas te parler ni te voir, ça t’allait aussi.
La conversation aurait pu en rester là, tu aurais changé de sujet parce que tu détestais peser comme ça, mais il avait prononcé ce nom. Comme un putain d’éclair t’aveuglant dans la nuit, vrillant ta cervelle comme jamais. Malone. C’était un nom commun, des Malone y’en avait à tous les coins de rue mais pas avec des yeux comme les siens, hein ?
Loin de faire dans la douceur, tu l’avais attrapé avec cette vivacité surprenante, le secouant au passage comme un prunier sans te soucier du clac du verre contre ses dents et la fameuse bière survivante qui vint s’fracasser au sol d’un bruit d’éclats. A moins que ce soit ton cœur qui venait de s’écraser au sol et faire ce bruit-là, brisé en mille morceaux alors que l’espoir te prenait les tripes ?
Il captait rien du tout à ce qu’il se passait dans ta petite tête, il captait rien du tout alors qu’il gueulait dans la nuit comme un cri d’bête sauvage. Lex Malone. C’était lui. C’était lui. C’était putain de lui. Et tu te retrouvais comme une conne, la tête défoncée par la vague d’émotions qui ta roula sur l’corps. Pas joliment, à la manière d’un malaxeur, tu n’savais plus si t’étais triste, si t’étais heureuse, si t’étais soulagée, si t’étais flippée. T’étais juste là, soudain redevenue la fillette qui avait vu son frère partir la main bien agrippée par celle d’un adulte. Il était juste là, et toi t’en avais le souffle coupé, te laissant presque tomber au sol, accroupie les jambes entourés de tes bras, à chialer comme jamais à ses pieds. T’avais imaginé ça autrement, mais dans aucun de tes rêves, ça arrivait réellement.
« C’est toi. »