ghost + sasha

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{ fear and guilt are sisters }
w/@sasha wolfe

un, deux, trois. vieille rengaine familière pour éviter à l’angoisse de te serrer la gorge à chaque instant. routine désuète pour remplacer les larmes au coin de tes yeux, les remplacer par un sourire au coin de tes lèvres. tu ne te souviens plus si l’oblique qui orne tes lèvres est pour toi ou pour faire espérer les autres. tu es heureuse, tu le seras en tout cas mais pas demain. c’est encore trop frais. ton lit semble encore trop froid, trop vide et ton coeur est encore trop plein pour que tu envisages vraiment un avenir quelconque au pluriel. c’était ton futur et c’est devenu ton imparfait. t’as jamais été douée en grammaire de toute façon alors tu fermes les yeux, tu imagines autre chose et tu oublies que tu es triste, que tu es seule parce que tu ne l’es jamais vraiment. son fantôme est devenu ton compagnon de route au point que tu oublies parfois que c’est ton imagination qui invente la respiration qui te bats les tempes depuis trois ans. tout ira bien, il le faut bien. tu rouvres les yeux pour ne pas te laisser submerger par les souvenirs de votre dernière nuit. ton interlocuteur relit encore une fois les corrections que tu as apporté à son discours électoral. il est foutu d’avance et c’est pas ton talent qui pourra sauver autre chose que les meubles. ses idées sont passées, son brushing date du siècle dernier et même toi, tu ne voteras pas pour lui mais tu ne le dis pas. ton sourire factice semble faire son effet ou c’est ton patronyme qui l’inquiète peut-être. on ne froisse pas une bloomsbury, c’est pas bon pour les affaires. il se contente d’un hochement de tête poli. de quelques faux-semblants. c’est comme ça que ça fonctionne chez vous et t’es devenue une experte pour faire semblant alors tu lui rends ses courbettes avant de t’envoler en direction de greenwich village pour des projets plus fambloyants. tu hèles un taxi en resserrant le col de ton manteau oversize et la voiture jaune s’arrête en quelques secondes que des touristes derrière toi s’égosillent depuis déjà une dizaine de minutes. ton sang new-yorkais fait la différence et dans tes bons jours, il t’arrive même d’en arrêter un pour quelques désespérés mais pas aujourd’hui, t’as trop froid pour faire la charité alors tu t’engouffres dans l’habitacle en laissant derrière toi un nuage blanc. une adresse marmonnée et t’es déjà concentrée sur ton téléphone. c’est pas poli, tu te ferais sûrement engueuler pour ton manque d’élégance mais t’es seule alors t’en profites. tant pis si ta réputation est écornée, t’es vraiment pas dans un bon jour. le froid qui t’entoure est accentué par la date. un anniversaire sur lequel tu aurais préféré passer. trois ans. et c’est frais comme souvenir, toujours trop frais et bien trop vivant comme te le rappelle ton fond d’écran. une exclamation te sors de ta torpeur et tu relèves des yeux étonnés vers le chauffeur qui semble décidé à te sortir de ta mélancolie. une blague un peu lourde et un sourire fugace mais tellement sincère orne tes lèvres un bref instant. excusez moi pour l’impolitesse, je vais à un rendez-vous et je suis en retard alors j'essayais de prévenir la personne qui m'attend. demi-mensonge ou semi-vérité, c’est selon les points de vue mais il a au moins eu le mérite de te rappeler parmi les vivants et vous vous retrouvez dans un silence d’aisance, des confortables qui ont au moins le mérite de tenir compagnie. un pourboire plus que généreux à l’issue de la course et tu débarques dans un café branché et blindé d’une foule d’étudiants, de jeunes travailleurs. ton regard se pose sur une table dans un coin et tes jambes suivent tes yeux pour aller rejoindre celle qui pendant un temps fut un boulet au pied de votre petite bande. la petite soeur chiante qu’on se trimballe et qu’on doit soudoyer pour qu’elle évite de cafter. celle qui est devenue ton ancrage à autre chose, celle qui comprend au mieux ta réalité alternative. ton pont d’un autre monde. t’es même plus certaine de devoir encore croire à tout ça, il est parti et c’est trop tard pour un demi-tour mais t’as besoin de le sentir encore un peu et sasha est parfaite pour ça. l’oreille attentive exempte de tout jugement. tu es là depuis longtemps ? tu retires ta barrière thermique et t’installes face à elle sans prendre la peine de jeter un coup d’oeil sur la carte. tu connais trop bien l’endroit et encore mieux la teneur de la discussion qui va suivre.