Come to me in the night hours. (sasha)

@sasha frances / come to me in the night hours /

Elle enchaîne les cocktails, elle virevolte entre les tables, le comptoir, elle sert toutes les personnes venues se mettre la tête à l’envers. Elle trône, reine de cet empire, avec force, avec poigne. Elle trône, elle préserve les apparences, parce que ce boulot, elle en a besoin. Elle en a besoin pour vivre. Pour se nourrir. Elle en a besoin pour payer ses cours de danse. Elle trône, elle trône surtout sur l’enfer qu’est désormais sa vie. Depuis l’accident. Depuis qu’une partie d’elle est morte. Morte avec son petit-ami. Morte avec le conducteur qui se trouvait dans la voiture d’en face. Morte depuis sa naissance, avec cette mère, sa mère, qu’elle a tué en venant au monde. Trois mois. Trois mois que cette souffrance la ronge. Que cette souffrance la change. T’étais si forte, Meg. T’étais si puissante. Et regarde toi, maintenant, affaiblie par des crises de démence, des crises d’angoisses, violente pour les autres, violente surtout pour toi. Elle, femme de caractère. Elle, femme qui n’a jamais craint. Il est peut-être là, le problème, au fond. A toujours vouloir être dure, à toujours vouloir être forte, elle a fini par craquer. Carapace s’effritant jours après jours. Carapace précaire, laissant entrevoir une autre Meg. Cette Meg qu’elle ne supporte pas. Celle qui se sent mal, constamment. Celle qui se sent morte, constamment. Tu traînes, la mort. Tu traînes, la mort, si lourde, sur tes épaules. Et pour mieux le supporter, elle avale ces cachets. Ceux auxquels elle devient bien trop dépendante. Seul remède pour ne pas craquer, seul remède pour ne pas vriller. Et elle fuit, elle fuit les gens, elle fuit ceux qu’elle aime, mais ce bar elle ne peut pas le fuir. Ce travail, elle ne peut pas l’abandonner. Elle a certainement repris trop tôt, bien trop tôt, mais elle est là. Et elle ne peut pas se briser. Pas ici. Elle tente de se concentrer, alors que la musique explose les murs. Et puis elle la voit, cette jeune femme, cette blonde, seule au comptoir depuis un moment maintenant. Vraisemblablement venue noyer quelque chose, avec le nombre de verres enfilés. Et pourtant, elle semble en vouloir. En vouloir encore. Parce qu’elle la regarde, avec une brève insistance. Elle la regarde, et la brune s’approche alors, séparée d’elle par le comptoir, son espace. - Un autre verre ? Bref sourire. Regard transperçant le sien. Cet air perdu qu’elle parvient à percevoir sur son visage. Qu’est-ce qui t’amènes, ma jolie ? Qu’est-ce qui te fait mal, à toi ? Qu’est-ce qui te pousses à te saouler ?

C'était triste quand même, de t'endormir chaque, chaque, chaaaaaaque soir et qu'il ne soit pas là. T'essayais de comprendre, mais c'était de moins en moins facile, parce que tu t'attachais de plus en plus, tu t'agrippais, à la force de tout ton petit cœur. La recette idéale pour te faire mal. Une fois, rien qu'une dernière fois. Pour de bon. Parce que tu ne comprenais pas trop pourquoi il tenait à être là tout le temps, pour eux la nuit, alors qu'ils s'en tiraient très bien sans lui, le jour. T'étais pas lui, pas dans sa vie, mais c'était de plus en plus pesant, même si tu ne le disais pas. Pas besoin, il le savait, n'y pouvait rien. Alors t'avais trouvé la solution idéale, après l'avoir embrassé, quand il quittait, tu le trompais. Tu l'oubliais en brides, les lèvres autours du goulot de la bouteille ou trainant sur le rebord de trop nombreux verres. Tu faisais doucement l'amour à l'alcoolisme, toute seule, assise aux bouts des comptoirs. T'oubliais la tristesse un moment et quand ça revenait, tu tombais endormie, très peu de temps après. Pourtant là, t'avais mal au coeur, mal au corps, peut-être trop but, trop fumé, trop abusé de ton propre corps. Faudrait que ça s'arrête, mais pas ce soir. En plus, la fille derrière le bar était mignonne. Débordée, fatiguée, harcelée, mais mignonne.

C'est timidement que tu lui faisais signe. Pas pressée, pas énervée, juste un petit signe du doigt, qu'elle revienne te voir quand elle serait libre. Peut-être même qu'une pause te ferais du bien, aller fumer, peut-être te faire des amis avec qui te cramer les poumons, drogués à la nicotine. C'est étrange, avant c'était pas une obsession, pour toi, la cigarette, pas une étape. Tu fumais quand les gens fumais, tout simplement. Désormais, tu fumais toute seule, t'avais tes propres paquets, tout ça. C'était doucement devenue ta maladie. Elle venait vers toi, la jolie brune à qui tu souriais du fond de ton verre. Elle te demande si tu veux un autre verre et t'hoches positivement de la tête. Tu les bois trop vite, ils sont trop fruités, comme du petit jus, c'est bien, ça passe trop bien, ça te sucre le cœur et les veines et les lèvres. Celles qui s'étirent tendrement pour la demoiselle.

« La même chose... et deux shooters de sour puss. » Que tu commandes, oubliant un peu les bonnes manières en te perdant dans un sourire bourré que t'accoudes au comptoir. « Oups.. Je... S'il te plait. J'suis un peu bourrée, jolie demoiselle, voyez-vous. Mais j'men sors bien, j'ai déjà fait pire, oh oui! » Que tu rigoles doucement, te mordant les lèvres pour pas jeter sur le comptoir qu'une fois t'étais tellement bourrée et défoncée que t'as fait l'amour à ta meilleure amie. Ahah ! Quelle bonne blague hein ? Marrant, très très marrant. Mais ça c'était avant ton amoureux. Non ? Oui. Il te semble que oui. Normal qu'elle l'aime pas, ton mec, ta meilleure amie. Tu hoquettes doucement, continuant de sourire. Continuant d'ignorer que c'est certain que cette soirée se finira mal. Tu sais pas où ni comment, chez qui tu débouleras en pleurant, à quelles gamineries tu donneras ton nom, tu sais seulement que c'est mal partie et qu'elle est très très jolie la fille sans non. Tes yeux glissent à sa poitrine et t'as l'air con. Parce qu'elle a pas de name tag, t'es dans un bar, gros con. Alors tu rougis, parce qu'on dirait juste que tu viens librement de mater sa poitrine, que t'es la grosse gouine officielle de ce bar et qu'expliquer tout ça ne rendrait que le tout plus étrange encore. Alors tu hausses les épaules, mordant ta lèvre de plus belle.

@sasha frances / come to me in the night hours /

Ames en peines qu’elle ne comptent plus. Ames en peines qui errent dans ce bar, à la recherche d’une liqueur pour oublier. De la potion magique qui efface les chagrins. Mais elle en a vu bien assez, Meg, bien assez pour comprendre qu’aucune potion magique ne fera disparaître la douleur. Elle les a vu, les âmes tomber les unes après les autres. Comme elle. Comme elle, elle tombe, petit à petit. Comme elle, elle s’enfonce dans les abysses. L’abîme au corps, l’abîme au cœur. Elle en a bien assez servi, pour savoir que l’alcool ne l’aidera pas. T’es passée au bien plus sérieux, Meg. T’es passée au dur. Au puissant. T’es passée à ce qui ronge le cerveau, à ce qui déconnecte le conscient. Les antidépresseurs, plus efficaces et plus discrets. Les antidépresseurs, pour tenir debout, pour ne pas tomber en loque. Loque qu’elle devient, pourtant, l’addiction grandissante. Ame en peine, elle en a tout l’air, la blonde. Le regard triste, l’attitude trop euphorique pour être vraie, le besoin de boire, encore, encore. Un état qui en dit déjà beaucoup trop long. Mais toi, t’es barmaid, Meg. T’es obligée de la servir, t’es obligée de la regarder se mettre la tête à l’envers. Un nouveau sourire se glisse alors sur le visage de la brune, parce qu’elle l’amuse. Parce qu’elle a eu des clients beaucoup plus désagréables qu’elle. Parce qu’elle a des petits regards envers elle, regards déstabilisants, regards auxquels elle devrait être habituée à force de travailler ici. Mais là. Là. C’est différent. - Il n’y a pas de mal. Je te sers ça. Attrapant les verres à shooters, elle les réalise en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. L’habitude au bout des doigts, l’habitude dans les veines. Parce qu’elle est serveuse depuis un bon bout de temps, maintenant. Parce que t’as toujours su te débrouiller, Meg. Parce que t’as toujours bossé. T’as jamais eu le choix. En un mouvement, elle dépose les petites substances juste devant elle, avant de reprendre la parole. - Tiens. Tu devrais faire attention quand même. Elle a l’air fragile, la blonde. Elle a l’air frêle. Elle a l’air mal. Bien plus que tu l’étais, toi, quand vous avez pris la voiture. Bien plus que vous l’étiez, quand ivres, vous avez jugé bon de prendre le volant. Bien plus que vous l’étiez, quand t’as dû regarder ton amour mourir juste là, sous tes yeux. Et elle ne peut pas. Elle ne peut pas penser à autre chose, chaque fois qu’elle les voit, ces jeunes. Ces jeunes comme elle, ceux qui se retournent la tête, ceux dont elle se demande chaque fois s’ils ne finiront pas comme eux, comme lui. Mais elle. Elle ne fait pas plus attention à elle-même pour autant. Parce que c’est elle. Elle qui aurait dû crever ce soir-là. - Qu’est-ce qui t’amènes ici ? Qu’elle demande en astiquant les quelques verres qui lui reviennent sur le comptoir. La conversation qui glisse, parce qu’elle est seule, la blonde. Parce que t’as pas envie qu’elle reste seule, ce soir.

Ce soir tu t'es laissée tombée et au travers de ta douce ivresse, t'as un moment de lucidité. Tu le sais, que tu t'es abandonnée ce soir, que t'avais pas besoin de liqueur pour te rendre heureuse, que de toute façons, ça fonctionnait pas. Ton grand-père ne t'avais donc rien enseigné. Tes grand-pères, l'un abusant de l'alcool, l'autre de la cigarette, enfin, les deux de la cigarette, t'avais tellement râlé étant gamine, tout ça pour finalement, ne pas trop être mieux. Est-ce qu'il était conscient, papi, qu'il se laissait tomber. Lui et toute sa famille ? Probablement pas. Papi était aussi, malade, un peu comme Felix, avec des très très haut et des très très bas. Instable. Papi il devait être aussi désagréable que toi, surtout avec les belles jeunes filles, mais en même temps, un peu fun, à force de jouer des tours. Ça te fait sourire de penser à son fantôme. Ça te soulage surtout qu'il ne souffre plus sur cette terre. Papi était pas doué pour souffrir, un peu comme ton petit frère en avait hérité. Toi, tu t'en sortais assez bien. Sauf ce soir. Ce soir, t'avais décidé de volontairement échappée ta destinée. Petit sourire niais et alcoolisé quand la belle te sers. Apparemment ils ont le droit de refuser, si c'est pour le bien du client. Si la personne derrière le bar est convaincue que c'est le verre de trop. Elle te serres les shots, te questionnes et tu te questionnes aussi, si ça l'intéresse vraiment, si c'est pour le pourboire ou parce qu'elle s'ennuie. Tu sors de quoi la payer, de quoi la remercier pour son service. Tu ne sais pas trop si t'as envie de te confiée à une inconnue, tu ne sais pas du tout, mais l'alcool, elle le sait.

« J'avais pas envie de rester seule à déprimer et à rien foutre d'autre que Netflix. Mes amis étaient censés être là, mais ils sont pas trop fiable. Ils oublient vite leurs potes pour une baise bien faite, tu vois le genre ? » Que tu te plains alors que tu n'aimes pas te plaindre. Tu hausses les épaules, cherche à les comprendre sans vraiment y arriver. Est-ce que c'est parce que, comme Rémi, tes potes savaient que t'étais tellement constante que tu serais là malgré leurs conneries ? Parce que t'en avais un peu marre de passer toujours au second plan, même pour ton petit ami. C'est vrai qu'entre ta famille et un mec, le choix n'était pas trop difficile. C'est juste que dans le cas inverse, tu te sentais abandonnée. Surtout dans cette situation précise. Tellement abandonnée que toi aussi, quelque part, t'avais envie de l'abandonner. Surtout quand il était loin de toi, assez loin pour que t'oublies ses bras, ses baisers et son sourire, te concentrant sur ceux aux coins des lèvres de la demoiselle. Ton regard glissant vers les shooters que t'as pas encore descendus et c'était pas pour rien. « Oh, mais, y en avait un pour toi ! » Que tu rigoles doucement un poussant doucement le vers en direction de la demoiselle. Y paraissait que parfois les gens aux bars faisaient semblant de boire l'alcool qu'on leur offrait, parce qu'on leur en offrait trop. De ça aussi, t'étais curieuse. Tu serais attentive, rien que pour voir si elle ne le jetait pas par dessus son épaule.

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{ come to me in the night hours }
crédit/ tumblr ✧ w/@sasha frances

Elle la connait, cette solitude sur le visage de la demoiselle. Elle la connait, cette inlassable solitude qui vient saisir l’âme de toutes les personnes seules ici ce soir. Ce soir, et tous les autres soirs. Parce que venir seule dans un bar, ce n’est jamais bon signe. Parce que venir seule dans un bar n’offre que deux options : la recherche d’une nouvelle conquête ou l’envie d’oublier. Et dans ton propre cas, Meg, la deuxième option est toujours la bonne. Loin d’elle, l’envie de partager ses nuits. Loin d’elle, l’envie de partager sa vie. Tout ce dont elle a besoin, Meg, c’est faire taire les voix qui s’affolent dans son esprit. Tout ce dont elle a besoin, c’est oublier ses souffrances. Mais qu’en est-il pour la jolie blonde installée au comptoir ? Si elle devait se fier à son instinct, Meg, elle se laisserait à penser qu’il s’agit d’un mélange de ces deux raisons. L’envie d’oublier. Le besoin d’oublier. Et pourquoi pas, pour y parvenir, rencontrer quelqu’un. Certains disent qu’il n’y a rien de plus efficace, pour aller mieux, que de partager sa vie. Un adage qu’elle ne pourra jamais approuver, elle qui a fait vœux de ne plus jamais laisser entre qui que ce soit dans son existence. Meg, t’es la fille maudite. T’es la fille qui porte malheur, le chat noir que tout le monde devrait fuir. L’inconnue ne semble pourtant pas décidée à fuir. Préférant plutôt s’épancher sur ses malheurs auprès d’elle. Elle vient même à lui arracher un sourire, un de ceux qui sont rares, beaucoup trop rares. - Je vois, oui. Un conseil, tu devrais en changer. Affirme-t-elle, accompagnant ses propos d’un clin d’œil, juste avant de ranger les verres préalablement nettoyé. C’est une parole en l’air, pourtant lourde de sens. Parce que ses amies, pour Meg, c’est une véritable famille. C’est tout ce qu’elle a. Parce que sa bande, elle a été là pour elle, depuis toujours. Parce qu’elle serait prête à tuer, pour les protéger. Et même si aujourd’hui elle est obligée de maintenant des distances, pour ne pas les faire souffrir, elle sait que jamais rien ne pourra briser cet amour qu’elles partagent. Et ce soir, elle se sent prête à tenir compagnie à l’inconnue, Meg. Pour sa sécurité, d’une part, parce qu’elle est saoule et elle ne veut pas la voir s’approcher de n’importe quel homme qui voudrait en profiter. Mais également parce qu’elle a été dans cet état, elle aussi, un état qui n’a fait qu’empirer jours après jours. - Oh, c’est gentil de ta part. Un sourire toujours présent, alors qu’elle porte le shooter à sa bouche pour le boire d’un trait. C’est mauvais, Meg. Mauvais, de mélanger alcool et médicaments. Mauvais, de fermer les yeux sur ta propre vulnérabilité. - Et, c’est donc moi que tu as choisis pour discuter ? Parce qu’au fond, elle a parfaitement conscience que ce n’est pas forcément d’elle, dont on a envie de s’approcher. Elle et sa beauté éteinte. Elle et cette noirceur qui l’entoure. Il y en a beaucoup d’autres, des filles, ce soir. Les petites ingénues qui ont encore la vie devant elles. Pas comme toi, Meg. Pas comme toi qui est déjà morte.