i don't know why --/ zekia.

« On s’voit dans trois semaines, madame Winlock. » Le sourire pour saluer la cliente, qui lui glisse un billet entre les doigts avant de filer. Zekia la regarde passer la porte, de son petit pas un peu chambranlant, en espérant qu’elle aura pas de mal à se rendre jusqu’à chez elle. La vieille dame approche peut-être 80 ans, elle insiste toujours pour se déplacer toute seule comme si elle en avait quarante de moins. Les habitudes qu’elle ne veut pas lâcher, sinon on va m’envoyer dans un de ces centres pour les p’tits vieux, et c’est pas là que j’veux crever. Toujours le même discours de la part de la vieille dame, mais ça fait toujours sourire Zekia de la voir débarquer à chaque trois semaines pour avoir ses cheveux coupés. Zekia, elle se fait un plaisir de la pomponner un peu, de discuter avec elle de ses petits enfants et de lui donner quelqu’un à qui parler. Dans le quartier, c’est comme ça. On se connaît et on prend soin les uns des autres. Tout simplement. Zekia, fredonnant la chanson qui joue à la radio, retourne à son poste pour nettoyer le tout. Empoigne le balai pour se débarrasser des quelques mèches, écoutant d’un oreille la conversation de sa collègue avec sa cliente. Des problèmes de coeur, on dirait bien. Pas d’autre rendez-vous avant deux heures, amplement le temps de relaxer un peu, sauf si un client décide de passer la porte. Et alors que Zekia s’occupe de nettoyer ses ciseaux, la cloche de la porte indique qu’on vient d’entrer. Elle relève les yeux, et c’est avec une certaine surprise qu’elle reconnaît le type qui observe les lieux d’un regard curieux. Le grand pull, le tatouage sur la joue et la lueur dans les yeux - Oswin Delacroix.

Elle se souvient parfaitement de lui, croisé à la conférence, une conversation un peu rapide mais une connexion établie. Le type était un génie, mais il avait été gentil avec elle, et visiblement, il avait décidé de la prendre sur sa proposition. Cheveux qui avaient grand besoin d’être coupés, après tout, ou au moins un peu rafraîchis. « Hey ! » Qu’elle lui lance, sourire aux lèvres. Venant le rejoindre au comptoir, heureuse de la visite impromptue. « Hey. Même pas besoin d’un plan. Heureusement que j’ai bonne mémoire. » Elle rigole doucement, secouant la tête. « Évidemment. » Mais c’est dit sans méchanceté, juste avec un peu de malice. « J’espère que ton offre tient toujours, en tout cas. » Elle acquiesce, et désigne le salon presque vide. « Bien sûr. Comme tu peux l’voir, j’suis pas très occupée. Allez. » Et sans plus attendre, elle le guide jusqu’à sa chaise, et appuie sur la pédale pour la descendre à la bonne hauteur.

« Désolé de pas avoir pu être là pour ta conférence. Comment ça s’est passé ? » Et elle est touchée qu’il s’en rappelle, bien que ça ne la surprenne pas tellement. Bonne mémoire, rappelle toi. « T’en fais pas. Et plutôt bien. J’crois. » Termine d’époussetter le siège, puis se redresse pour l’observer un peu. « Y’a c’coincé qui v’nait de Houston, t’sais, celui avec la chemise rose, bah il m’a posé une question sur la composante raciale de mon étude, et j’l’ai défoncé - j’ai pas d’autres mots. Juste pour ça, j’crois que mon prof était fière de moi. » Un petit rire qui passe ses lèvres, alors qu’elle fait signe de la suivre. « Tu veux que j’te les lave, en passant ? » Siège désigné, pour pouvoir lui mouiller la tête.

« J’sais pas pourquoi, mais ça m’étonne pas. » Ça la fait sourire, Zekia. Il savait lire les gens, Oswin. Le type qui ne donnait pas du tout cette impression-là, quand on le regardait brièvement. Mais il suffisait de s’attarder et d’échanger quelques mots avec lui pour constater qu’il était bien plus que des vêtements trop larges et quelques tatouages, ici et là. L’étincelle dans le coin du regard, elle ne pouvait que s’imaginer comment son esprit fonctionnait. Les rouages étourdissants, impressionnants pour Zekia qui agissait davantage à l’instinct. Oswin, c’était un génie - mais il était pas hautain ou snob pour autant. Accessible, et ouvert au reste du monde, comme peu de gens savaient l’être. C’était pour ça qu’elle l’aimait bien, Zekia. Quand il s’installe dans le siège et qu’il laisse tomber sa tête vers l’arrière, elle a toujours le sourire aux lèvres. La compagnie intéressante, et la conversation tout autant. « Dis-moi si c’est trop chaud. » Qu’elle lui glisse entre deux remarques, ouvrant l’eau pour mouiller ses cheveux. Ceux-ci avaient grand besoin d’une coupe, elle ne s’était pas gênée pour le lui faire remarquer. Tout en gentillesse, bien sûr. Des cheveux fins, coupés un peu de travers. « J’suppose qu’il a pas r’marqué ton teint, avec l’éclairage pourri de l’amphi. Tant mieux. Ça aura fait un peu d’action pour les auditeurs en train d’piquer du nez, tu peux m’croire sur parole. » Elle laisse échapper un rire, Zekia, en coupant l’eau. « J’ai bien cru sentir que ça avait animé un peu la salle. » Ça lui fait du bien, de pouvoir parler de tout ça. Le monde universitaire, tellement séparé du reste de sa vie. Elle était bien entourée, Zekia, mais elle ne pouvait pas parler de ses cours aux gars de la posse, c’était deux mondes en parallèle entre lesquelles elle naviguait. « C’est bien, comme ça. La température. » Et elle acquiesce silencieusement, prenant quelques gouttes de shampoing pour venir lui laver les cheveux. Ses doigs qui se glissent contre son crâne, pour frotter et faire mousser les mèches. Appuyant un peu, mais pas trop, dans la manière typique qu’on lui avait appris. Et qui plaisait à tellement de clients.

« Tu vis dans le quartier ou tu fais juste y bosser ? » Elle continue de frotter, pour s’assurer un bon lavage. Puis, elle ouvre l’eau pour se rincer les doigts. « J'suis du coin. J’ai grandi dans le quartier, en fait. » L’eau qu’elle fait passer dans les cheveux d’Oswin, pour retirer toute la mousse. La tête qu’elle continue de laver, sans trop y penser, les mains habituées à ces gestes familiers. « Y’a tout mon monde ici. » Qu’elle dit avec un petit sourire. Elle ne se verrait jamais quitter le voisinage, ça c’est certain. Tout son monde, tout son univers contenu dans le Queens. « C’est ce genre de quartier. » Le genre de quartier où on se connaît, où se reconnaît. Où les étrangers se font remarquer, malgré la grandeur de la ville. « J’te ferai visiter, si tu veux. » Ça lui plaît déjà d’avance, comme idée, de pouvoir faire découvrir un peu ses adresses à Oswin. Les regards qu’ils se prendraient certainement, mais elle s’en fiche, Zekia. Personne ne peut la toucher. « Et alors, comment s'passe le retour en ville ? Pas trop perdu ? » Elle se rappelait qu’il était fraîchement débarqué de l’autre côté de l’océan. « Ok, tu peux te redresser un peu. » La serviette qu’elle vient glisser dans ses cheveux, pour les égoutter un peu. Puis, elle la laisse retomber sur ses épaules, et contourne l’évier pour lui sourire. « C’est l’heure d'la coupe. » L’heure de mettre un peu d’ordre dans ces cheveux.