“What I like about photographs is that they capture a moment that’s gone forever, impossible to reproduce.”
— Karl Lagerfeld
jason & héloïse
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Front entre les mains, les coudes fermement posés sur le bureau, j’ai mal au crâne. J’inspire calmement, en espérant réussir à me passer d’une aspirine. Au travers de mes doigts entrouverts, je jette un œil à la pendule du mac. Il n’est pas encore dix-sept heures, j’ai le temps. Je grogne alors que je ferme l’écran du laptop. J’ai terminé de travailler pour aujourd’hui. J’ai déjà passé la journée sur ce fichu engin à retravailler les photos de fiançailles que j’ai prises hier. J’ai une deadline courte, parce qu’ils veulent les utiliser pour tout un tas de trucs qui me dépassent… J’ai es clients farfelus, mais je pense que ces deux-là récoltent un award spécial pour avoir été particulièrement casse-pieds sur l’image qu’ils voulaient dégager. Avoir un style bon chic, bon genre en se pointant en jeans/baskets… C’est compliqué. Rien que pour ça, je peux me permettre de couper court ce soir. De toutes les façons, ce soir, j’ai autre chose de prévu. Coup d’œil sur cet appartement que je loue via Airbnb le temps de m’installer en collocation avec mon cousin. Longue histoire… Pour le moment, je préfère plutôt aller me glisser dans un bain à bulles avec l’espoir de chasser ce début de migraine que j’ai mérité pour avoir passé la journée sur Lightroom sans mes lunettes. Cela me servira de leçon… Ou non. Car c’est bien trop souvent que cela ne m’arrive… Comme m’endormir dans le bain et être réveillée par l’eau froide… Les habitudes les plus mauvaises sont celles qui nous collent le plus à la peau, visiblement.
Assise sur le lit enroulée dans une serviette moelleuse, je contemple le contenu de ma valise dubitative. Une bonne partie de mes affaires est au garde-meubles et j’ai laissé pas mal de vêtements en France, chez ma mère. Je ne me promène qu’avec une valise et mon matériel de photo en prend déjà une grande partie… Et rien que pour ça, je m’en veux de ne pas avoir mieux anticiper, de ne pas être allée faire les boutiques histoire de trouver quelque chose de potable à mettre ce soir. Parce que, maintenant que j’y repense…
Le souvenir que je garde de Jason est celui d’un homme impeccable. Un costume sur-mesure, un sourire freedent white et une classe prononcée et portée aussi facilement que des boutons de manchette. Rien que ça et la quasi-totalité de mes affaires peut-être envoyée au feu… Malgré tout, j’attrape une robe longue à fleurs relativement légère mais de saison avec ses manches ¾ et sa jupe fendue sur les côtés. Je ne peux pas faire mieux, alors je prie intérieurement que son invitation à dîner ne soit pas dans l’un de ces restaurants dans le queens huppé. Déjà parce que je ferai tâche dans le décor… Et puis, certaines rencontres seraient désastreuses. Et oui, c’est à
lui que je pense…
Quand le téléphone sonne, je suis à terminer d’appliquer du mascara pour ne pas ressembler au zombie en manque de sommeil que je suis avant de répondre à Jason. Coup d’œil sur ma montre alors qu’il m’indique être en avance. En effet, mais je me garde bien de lui dire, alors que je m’entends lui répondre que j’arrive. Le temps d’attraper un gilet en laine et mon sac à main avant de ne fermer l’appartement et descendre.
Je me prends une claque quand je constate que j’aurai probablement dû chercher son nom sur Google. Je sais d’expérience que sa voiture n’est pas la voiture de monsieur tout le monde et ce n’est rien quand je le vois sortir de sa voiture, sourire aux lèvres. Un instant, je me demande dans quoi je me suis fourrée. Il transpire cette aura des mecs dans les pubs de magazine, chevaliers servants qui sortent d’une voiture de luxe. «
Bonsoir. » C’est tout juste un murmure de ma part parce que je ne sais pas trop comment gérer ce qui se passe. Et ça vient bien au-delà quand il m’offre un compliment. Je baisse les yeux, essayant de faire de mon mieux pour ne pas rougir. Et voilà, je bredouille. «
Merci. »
Je suis presque soulagée de me glisser contre le siège en cuir alors que lui n’est plus dans mon espace vital le temps que je me mette une claque mentale. Je ne suis pas là pour ça. Premièrement parce que je ne suis pas disponible. Deuxièmement parce que ce qui m’avait marqué chez lui, lors de cette rencontre au mariage, c’était sa façon de parler photo. Certes, l’échange fut bref. Mais bien plus intéressant que des conversations qui avaient pu parfois durer des heures et être insipides.
A mon grand soulagement, quand la voiture démarre, il prend la parole. Je l’écoute et je regrette presque de ne pas avoir tenté de glisser mon petit appareil photo dans mon sac. Le bord de mer, le soir, ça fait partie de ces choses fascinantes et uniques que j’aime capturer. Je me concentre sur ses mots. «
Je ne suis pas d’accord… Parfois, la couleur peut permettre une profondeur et une ambiance plus intenses… C’est une question de point de vue et de ressenti. Le noir et blanc, à mes yeux, c’est surtout un moyen de concentrer l’attention sur le sujet ou l’action… » Parce qu’il est vrai que c’est souvent l’un des premiers choix lorsque l’on édite une photo. «
Pourquoi pensez-vous que ces paysages de la ville soient en noir et blanc, du coup ? » Question large, mais intéressante alors que je pose mes yeux sur la route devant nous.