Putain. Qu’est ce qu’il fout là sérieux ? Il était tranquille, chez lui, devant la télé, et elle l’a appelé. D’abord, il n’a pas décroché, fixant son écran de téléphone avec un air dubitatif. Pourquoi elle l’appelait à une heure pareille ? Ce n’était clairement pas son genre. Surtout pas lorsqu’ils n’avaient rien de « prévu » le soir. Pas de dîné, pas de soirée où il fallait faire bonne figure et endosser son rôle d’héritier et gendre parfait. Et finalement, juste avant la dernière sonnerie et la mise en route du répondeur, il a décroché. Rien qu’au son de sa voix il a su qu’un truc n’allait pas sans savoir quoi. Et puis, il l’a sentie paniquée. Dans un premier temps il l’a remballée évidemment, même si son cœur a fait un bon. Après tout, il n’est pas à sa disposition. Et puis, elle a son mec pour s’occuper de ce genre de merde, pas vraie ? Chose qu’il n’a pas manqué de lui rappeler. Et finalement, face à sa détresse, il a cédé. Non sans râler.
En dix minutes, il est arrivé sur place avec la dépanneuse, se garant sur le bas-côté, non loin de sa voiture accidentée. Il n’est pas descendu tout de suite, respirant plusieurs fois pour se donner du courage, observant son reflet dans le rétroviseur intérieur. « T’es vraiment trop con » qu’il s’insulte avant de finalement couper le moteur et descendre. Claquant la porte non sans soupirer bruyamment. Se dirigeant vers Poppy avec sa nonchalance habituelle, affublé d’un jean troué au niveau du genou gauche et d’un sweat à capuche, cette dernière rabattue sur la tête. Affichant clairement que ça l’emmerde profondément d’être là. Puis, son regard s’est posé sur la voiture. Et là, le choc, alors que ses yeux s’écarquillent légèrement. Capot éclaté contre un arbre. Voiture fumante « Mais qu’est c’que t’as foutu sérieux ? » qu’il demande sur un ton de reproche à la jeune femme, alors qu’il s’approche de la voiture pour mieux l’examiner, secouant la tête de gauche à droite d’un air désapprobateur. Et ça lui fend presque le cœur de voir une telle voiture dans cet état. Parce que bien évidemment, Poppy ne roule pas en Peugeot.
Mains dans les poches, Gautier fait le tour de la voiture pour évaluer un peu les dégâts, avant de s’approcher de la demoiselle. « Comment t’as fait ton compte ? » qu’il demande au bout d’un moment, la jaugeant de haut en bas. Rassuré, finalement, de voir qu’elle n’a rien. A peine une égratignure sur le front. « T’as picolé ? » qu’il ajoute en plissant légèrement les yeux face à Poppy, pour enfin approcher une main et retirer les quelques mèches de cheveux prises dans le sang séché de la blessure. Mais quand Gautier se rend compte de ce qu’il est en train de faire, il retire rapidement ses doigts pour les replonger dans la poche de son jean, secouant à nouveau la tête de gauche à droite.
✻✻✻ (( i'm gonna drive you through the night )) w/ ⊹ @gautier scott
Si elle était totalement défoncée au moment de prendre le volant, au moment de l’impact. A présent, ce n’est seulement que la panique qui semble pulser dans ses veines. Comment est-ce qu’elle a pu être aussi stupide. Y’a que cette question qui la turlupine. Le volant, dans cet état, ce n’est même pas la première fois qu’elle le prend. Et elle aimerait dire qu’après cet incident, ce serait la dernière mais y’a rien de plus faux. Elle le sait. Poppy estimait que sur ça au moins, elle pouvait se permettre d’être honnête avec elle-même. Ce qui l’avait rendu plus conne qu’un autre soir, ce soir, c’est qu’elle avait oublié de retirer ses talons aiguilles. Il est évident qu’autrement, cet accident n’aurait jamais eu lieu. Y’a personne à impressionner. Ce soir, elle aurait pu tuer quelqu’un. Merde, ce soir, c’est elle-même qu’elle aurait pu tuer. Mais ce qui était sûre c’est que si Gautier choisissait de lui faire faux bond, il aurait alors été préférable qu’elle réussisse à mettre fin littéralement à ses jours. Parce que si cet accident parvenait aux oreilles de ses parents, elle est foutue. Parce qu’absolument toutes ces années qu’elle avaient pu passer à sacrifier chaque jour une autre partie de son âme, auraient été vaines. Adossée contre le poteau contre lequel, elle a démoli sa bagnole. Une clope coincée entre ses doigts tremblants, elle tente de canaliser, calmer les tressautements qui parcourt son corps. Mais y’a rien à faire. Rien. Pour calmer les battements hérétiques de son cœur, pour taire les pensées hystériques de son esprit. Loin, trop loin de son domaine d’expertise, de sa zone de confort. Ce soir, c’est le dernier jour de sa vie telle qu’elle l’a toujours connue. Ses larges billes océaniques, elle les relève en entendant approcher le bruit d’un véhicule. Une dépanneuse. Elle ne pensait plus qu’il viendrait. Et si elle ne se mordait pas l’intérieur de sa joue, si elle ne sentait pas sur sa langue ce goût métallique. Elle aurait probablement couru se refugier dans ses bras, fondre en larme. Ou pire, sourire avec sincérité, soulagement et gratitude. Elle aurait pu mais les mots qu’il lui réserve la font bien vite déchanter. « C’est pas moi. C’est le poteau qui m’est rentré dedans. », elle s’efforce d’adopter cette attitude qu’il connait d’elle. Elle doit puiser dans le peu d’énergie qui lui reste pour hausser les épaules. Balayant ainsi la profondeur de ce qui peut la torturer. Ce n’est pas comme s’il pouvait comprendre ou comme s’il avait envie de faire l’effort de le faire. Gautier n’en a rien à faire d’elle et ça, c’était déjà agaçant en soi. Mais elle a besoin d’aide et il est là, c’est tout ce qui importe. Loin d’elle le désir de nourrir l’espoir qu’une personne autre qu’elle-même saurait se consoler comme l’individu faible et écœurante qu’elle est réellement. Elle l’observe en silence examiner les dégâts. Sous un nouveau jour, elle remarque qu’il n’a pas que sa belle gueule qui lui donne à présent envie de l’allonger sur ce capot cabossé pour le défoncer. La logistique demande probablement que ce fusse plutôt l’inverse. Mais pour qu’il l’allonge où que ce soit, elle pouvait bien aller se faire voir ailleurs, avant. Sur sa clope, elle tire sa dernière latte. A plein poumon, jusque s’en bruler les doigts. C’est d’une pichenette qu’elle s’en débarrasse à trois mètres sur le côté. Loin de sa bagnole. Elle a visionné bien trop de film, lu trop de bouquin pour se dire que la balancer près de son auto est une bonne idée. « J’te l’ai dit. C’est le poteau qui est sorti de nulle part. », son regard se plisse quand il approche sa main de son visage. Peut-être parce qu’elle aurait été plus prête qu’il décide de lui en coller une plutôt que ce qu’il choisi à la place de faire. Ses mèches qui décollent sa blessures la force à se mordiller sa lèvre inférieure pour étouffer le gémissement de douleur qui lui monte aux lèvres. Une habitude. Une déformation du métier qu’elle l’a forcé à faire. Rien de plus. Rien. C’est ce qu’elle se dit. C’est ce qu’elle choisi de croire pour ne pas espérer. L’espoir, c’est une forme de torture. « Entre autres choses. », elle fini par dire quand il se détache d’elle. Elle décolle finalement du poteau. Ses bras, elle les croise en dessous de sa poitrine pour masquer ses faiblesses. « Tu penses que tu peux réparer, la retaper à neuf ? », elle relève ses larges prunelles azuréennes et tourne la tête pour le regarder. « Je te paierais. Le double ou le triple de ton salaire. Je m’en fiche. », c’est comme ça qu’elle trahi finalement son désespoir.
Plusieurs fois sur la route il a pensé faire demi-tour. Et il aurait peut-être dû. Parce que quand il voit Poppy, appuyée sur le poteau, clope au bec, comme si tout était normal, ça a le don de l’énerver. Évidemment qu’elle savait que tu viendrais, abruti. Gautier fait tout pour que la jeune femme comprenne qu’il n’est pas là de gaité de cœur. Que c’est d’avantage par souci professionnel qu’autre chose. Examinant la voiture, affichant un air qui laisse à penser que c’est mal barré, il finit par retourner vers la jeune femme, lui demandant comment elle a fait son coup. Dégageant son visage de quelques mèches emprisonnées dans sa blessure. Geste spontané, presque attentionné, et pourtant peu habituel chez lui. Alors quand, Gautier se rend compte de ce qu’il est en train de faire, il rabaisse sa main, d’un geste vif, comme s’il s’était pris une décharge électrique à son contact. « Entre autre choses ? » qu’il répète comme un écho, plissant les yeux d’un air désapprobateur. « Me prends pas pour un con tu veux. » qu’il lui lance finalement, avant de se détourner. Il n’aura pas fallu longtemps à Gautier pour comprendre que Poppy a pris de la drogue. Des signes qui ne trompent pas, comme ses pupilles dilatées par exemple. Des signes qu’il a appris à reconnaître avec le temps. "Merci" maman. « C’est habituel chez vous ce genre de truc ? Prendre de la drogue comme si c’était des bonbons et ne pas penser aux conséquences ? » qu’il demande, sans même se tourner vers elle, sans même attendre de réponse. Prenant une voix calme et posée et qui pourtant transpire le jugement et l’agacement. Et quand il dit "vous" il parle bien évidemment de ce milieu aisé dans lequel elle évolue. De tous ces gosses de riches qu’elle côtoie. Ce monde si différent du sien et dans lequel, pourtant, il a mis un pied récemment. « Tu t’rends compte que t’aurais pu tuer quelqu’un hein ? Ou même te tuer ? Assume au moins ta connerie. » qu’il lui lance, se tournant cette fois vers elle, encrant son regard accusateur dans le sien. Sachant pertinemment qu’elle n’en a que faire de son jugement. Son avis, elle s’en fout. T’es rien pour elle, ne l’oublie pas. Alors Gautier retourne vers la voiture lorsque Poppy demande s’il peut faire quelque chose. Le brun en fait le tour, avant d’ouvrir difficilement le capot encastré dans le poteau. De la fumée s’en échappe, le faisant reculer. Puis, il s’avance à nouveau, se penche vers le moteur et bidouille quelques trucs, avant de pousser un juron tout en retirant vivement ses doigts. Gautier vient de se brûler. Erreur de débutant alors qu’il le savait parfaitement. Il aurait dû le savoir. « J’peux rien faire sans mes outils. » qu’il annonce finalement, avant de refermer le capot et se frotter les mains sur son jean troué. « Et ouai, clairement, ça va te couter cher. » qu’il affirme ensuite, mains dans les poches alors qu’il s’approche d’elle, la scrutant de toute sa hauteur, ses talons aiguilles n’y changeant rien. Sentant clairement une faille chez la jeune femme, peut-être bien pur la première fois depuis qu’il la connait. « Faut que j’ramène la voiture au garage. » qu’il lance après quelques secondes de silence, tout en regardant autour d’eux. « T’as d’la chance que y’a personne dans l’coin. Mais si on reste là, ça risque d’attirer les curieux et ta réputation va en prendre un coup » qu’il poursuit par la suite, avec sérieux. « Non pas que j’en ai quelque chose à foutre. » qu’il ajoute, tout en haussant les épaules avec nonchalance. « J’te dépose où ? Ton mec habite loin ? » qu'il questionne à nouveau, se gardant bien de lui proposer de venir chez lui, alors qu'il habite tout près.