Read all about it. (Warston)

♛ You've got the light to fight the shadows.

Deux jours. Deux jours seulement qu’elle a arrêté les médicaments, Isabella. Deux jours qu’elle subit tant bien que mal. C’est pourtant un mal nécessaire, elle le sait. Il lui est encore difficile de mettre des mots sur ce qui lui arrive. Difficile de se résoudre à l’évidence. Difficile de se dire qu’elle est devenue dépendante. Accro à des médicaments, accro à ces psychotropes destinés à lui faire du bien mais qui ont fini par lui faire du mal. Elle n’a pas été capable de le dire, d’ailleurs, pas une fois, qu’elle est devenue dépendante. Mais elle a accepté d’arrêter de prendre ces cachets. Et c’est grâce à Nikolaï. Après leur conversation, conversation où elle s’est littéralement effondrée dans ses bras, elle a pris elle-même la décision de se débarrasser de toutes les boîtes de comprimés qu’elle pouvait avoir. Elle a eu le courage de le faire, seulement grâce à lui, seulement parce qu’il est là. Et c’est ce qu’il fait depuis deux jours, il est là pour elle. Malheureusement pour la jeune femme, il ne peut pas l’être à chaque instant. Il a aussi ses obligations, sa nièce, son travail, sa vie tout entière. Elle refuse d’être un poids pour lui. Elle refuse qu’il s’inquiète plus pour elle qu’il ne le fait sûrement déjà. Elle le sent, parfois, à son regard qui se pose sur elle. Comme s’il avait peur de la laisser seule, comme s’il voyait quelque chose qu’il n’avait encore jamais perçue par le passé. Comme s’il avait réalisé, malgré elle, à quel point elle est à fleur de peau, à quel point elle est tourmentée. C’est une écorchée vive, Isa. Mais elle aurait voulu lui épargner toute cette noirceur dont elle ne pourra sans doute jamais se libérer. Et, paradoxalement, elle se raccroche à lui plus que jamais. Elle a besoin d’être avec lui, le plus souvent possible. Elle a passé ces deux dernières nuits avec lui. Mais elles ont été loin d’être faciles. Elle fait face à des insomnies qu’elle n’arrive pas à gérer. C’est sans doute pour cette raison que, en cette fin d’après-midi, alors qu’il est encore relativement tôt, la jeune femme se laisse peu à peu submerger par la fatigue. Blottie sagement contre l’épaule de l’homme qu’elle aime, elle le laisse regarder un match qu’il a qualifié « d’important » alors qu’elle a les yeux posés sur son roman. Mais, au fil des minutes, le sommeil finit par la gagner. Son livre glisse sur le canapé sans qu’elle ne s’en rende compte. Les yeux clos, elle s’est finalement endormie. Cela ne lui arrive jamais, Isabella, jamais en pleine journée. Mais la fatigue, l’angoisse, tous les symptômes que son corps subit alors qu’elle tente de se sevrer ont fini par avoir raison d’elle. Ce n’est qu’une petite heure plus tard que la Latina ouvre les yeux, réalisant qu’elle s’est endormie. Elle a cette sensation désagréable, celle d’avoir quitté la journée pour se réveiller alors que le soleil est en train de se coucher. Elle déteste faire des siestes. Se redressant rapidement, elle sent ce début de migraine la frapper alors qu’elle quitte les bras de Nikolaï. Elle se rend compte à cet instant seulement qu’en s’endormant contre lui, elle a dû lui ôter toute possibilité de bouger. – Hum… Excuse-moi… lui dit-elle d’une voix encore faible. Elle s’éclaircit la voix. – Alors, ce match ? lui demande-t-elle avec un faible sourire alors qu’elle tente de retrouver la réalité. Elle n’a aucune idée du temps durant lequel elle a dormi. Elle savait qu’arrêter ces médicaments du jour au lendemain ne serait pas facile, elle n’imaginait pas que ce serait aussi compliqué.

♛ You've got the light to fight the shadows.

C’est une situation déroutante. C’est tout nouveau pour elle. Pour la première fois de sa vie, elle a besoin de l’aide de quelqu’un, non le contraire. Pour la première fois de sa vie, elle se révèle aussi vulnérable, aussi fragile devant quelqu’un. Et ce n’est pas n’importe qui, il s’agit de l’homme qu’elle aime. Ce n’est pas facile pour elle mais, peu à peu, elle arrive à l’accepter. Elle fait tout pour dépasser cette épreuve. Comme elle les a toujours dépassées. Elle possède une force incroyable, Isabella, mais elle n’en a pas vraiment conscience. Elle a le sentiment, au contraire, d’être plus faible que jamais. À la merci de quelques comprimés qu’elle est trop souvent tentée de reprendre. Mais elle a une volonté de fer. Et puis, elle a Nikolaï. Il est constamment auprès d’elle, à chaque fois qu’il le peut, à s’assurer qu’elle va bien. Qu’elle gère la situation. Elle ne sait pas trop ce qu’il ressent, lui, elle redoute plus que tout d’avoir changé l’image qu’il avait d’elle. Ce serait plus qu’elle ne peut en supporter. Se montrer si tourmentée, si à fleur de peau, c’est déjà difficile pour elle. C’est sans doute aussi pour cette raison que, à peine réveillée, elle se sent mal de s’être laissée aller à une sieste. Ce n’est qu’une sieste, rien qui ne justifie qu’elle s’en veuille. Mais c’est assez évocateur des moments qu’elle traverse. Révélateur des insomnies dont elle est victime, révélateur des effets de son sevrage. Ressentir ce manque, c’est pire que tout. Mais ces symptômes sont loin d’être faciles à supporter, eux aussi. Alors qu’elle est très vite prise d’une migraine, la jeune femme se redresse un peu trop brusquement sous les yeux de son petit-ami qui n’a pas bougé depuis la seconde où elle a fermé les yeux. Elle s’excuse auprès de lui mais il ne semble pas comprendre pourquoi. – Eh bien, j’ai dû te bloquer un peu. explique-t-elle simplement. Même si, au fond, elle s’excuse aussi pour s’être endormie. Elle s’excuse aussi des conséquences de ce sevrage. Elle s’excuse d’être mal, voilà pourquoi elle s’excuse. Elle glisse sa main fébrilement dans ses cheveux sous le coup de la douleur. C’est dans ces instants qu’en temps normal, elle se serait déjà levée pour prendre un médicament. Elle essaie d’oublier cette pensée en lui demandant comment s’est déroulé ce match de basketball qu’il voulait tant voir. Elle esquisse un sourire en coin en entendant sa réponse. – Tant mieux. Elle se rassoit correctement, remarquant la petite couverture qu’il a déposée sur elle. Il est adorable. Elle s’en enveloppe avant de relever ses yeux vers les siens. – Oui, enfin… Je n’aime pas beaucoup les siestes. J’ai l’impression d’être complètement décalée. déclare-t-elle en baissant le regard vers son livre posé sur la table, fuyant le sien, involontairement. C’est la main de Nikolaï contre sa joue qui la pousse à ancrer à nouveau ses prunelles sombres dans les deux grands océans qu’il a à la place des siennes. – Je vais bien. lui assure-t-elle d’emblée, comme pour le rassurer, ou se rassurer elle-même, peut-être.

♛ You've got the light to fight the shadows.

Elle ne sait pas comment il vit la situation, Nikolaï. Il est présent pour elle, indéniablement, il ne semble pas trop dérouté, ni trop préoccupé. Il est attentionné envers elle mais, au fond, il l’a toujours été. Elle n’aurait pas tant l’impression qu’il a changé s’il n’avait pas tendance à la regarder comme il le fait, comme il le fait en ce moment même alors qu’elle retrouve à peine la réalité après sa petite sieste. Elle se sent un peu plus reposée, mais peut-être pas suffisamment, parce qu’elle se réveille avec une migraine plus difficile encore à supporter que la fatigue. Elle se contient tant bien que mal, se concentre sur la voix de l’homme qu’elle aime pour oublier ses médicaments. – C’est gentil. lui dit-elle avec un petit sourire tendre. Car elle se rend bien compte qu’il fait tout pour la mettre à son aise, tout pour qu’elle ne se sente ni coupable, ni victime. Face à l’insistance de son regard, la jeune femme finit par elle-même, avant toute question de sa part, lui affirmer qu’elle va bien. Bien. C’est un grand mot. Elle se sent fatiguée, endolorie, et puis angoissée en permanence. Elle vit avec cette sensation constante, cette sensation de nausée, de peur. C’est, comme, si elle avait élu domicile dans un bateau qui ne cessait de tanguer. Le mal de mer... Le mal de vivre. Mais comment pourrait-elle lui dire une chose pareille ? Il doit suffisamment s’inquiéter pour elle, Nikolaï. Il doit savoir ce qu’elle ressent. Inutile de lui en rajouter davantage. – Oui, je suis sûre. lui répète-t-elle d’une voix amusée, un léger sourire aux lèvres. Sourire qui s’agrandit quand elle entend sa proposition. – À cette heure-là ? demande-t-elle, plus que sceptique, mais pas forcément surprise pour autant. – Je vais commencer à m’inquiéter pour ton alimentation, tu sais. fait-elle remarquer. Comme, obligée de se dire qu’elle doit veiller sur lui. Alors qu’en l’occurrence, celui des deux qui veille sur l’autre en ce moment, c’est lui. Irrémédiablement lui. Finalement, elle se lève avant même qu’il ne le fasse, laissant la couverture derrière elle sur le canapé. – Je viens avec toi. Non, elle ne veut pas qu’il s’éloigne, Isabella. Elle a trop besoin de lui. Elle sait qu’à la seconde où elle sera seule, ce sera encore plus difficile de résister à l’envie d’apaiser ses tourments, juste avec un seul petit cachet.

♛ You've got the light to fight the shadows.

Elle va survivre, Isa. Elle survit toujours. Elle sait qu’elle traverse les jours les plus compliqués. Elle sait qu’il va lui falloir un petit temps d’adaptation pour oublier cette sensation de manque, pour la supporter au moins. Ce qui l’effraie, en vérité, c’est de se dire qu’elle ressentira peut-être toujours cette angoisse trop ancrée en elle. Celle qu’elle avait avant de prendre ces médicaments, celle qui n’a fait qu’augmenter maintenant qu’elle a été contrainte d’arrêter. Elle a peur, Isa, mais elle ne le dit pas. Que pourrait-elle lui dire ? Tu pourrais lui dire que tu n’arrives pas à dormir. Que tu passes tes nuits, des heures durant, à résister à l’envie de te lever sans bruit pour aller avaler un cachet et enfin dormir. Que tu comptes les minutes avant que le matin arrive, avant qu’il ne se réveille, avant qu’il ne soit avec toi. Que tu te sens brûler de l’intérieur à cause de toute cette angoisse qui te submerge chaque fois que tu te retrouves seule. Que tu souffres, physiquement, mentalement, entièrement. Que tu as peur, peur d’être incapable de vivre avec toute cette noirceur dont tu n’arrives pas à te défaire. Elle pourrait lui dire tant de choses, à Nikolaï. Mais elle en est incapable. Trop peur de l’inquiéter, trop peur d’empirer la situation. Trop peur qu’il ne la reconnaisse plus. Trop peur que tu ne m’aimes plus Nikolaï. À la place, elle donne le change. Elle supporte la situation. Elle sourit à ses bêtises. Elle encaisse, et elle survit. Et elle va bien. Très bien. C’est tellement plus facile. – Tu pourrais aussi manger un fruit. lui répond-elle en secouant la tête, pas loin d’être dépitée. Mais il a le mérite de lui changer les idées. Lui faire oublier cette angoisse. Puis, elle commence à bien connaître les habitudes alimentaires de son petit-ami. Et elles sont loin d’être rassurantes. Il finit pourtant par lui affirmer qu’elle en veut elle aussi, et qu’elle est pire que lui. – Absolument pas. Je suis beaucoup plus raisonnable que toi. assure-t-elle avec un grand sérieux. Elle peut être gourmande, Isa, c’est vrai. Peut-être pas beaucoup en ce moment, cela dit. Elle a surtout faim beaucoup moins souvent que lui. Elle se penche à son oreille pour lui murmurer de sa voix sensuelle. – Tout dépend de la sieste. Elle lui adresse un sourire charmeur, un sourire qui en dit long, puis s’éloigne en direction de la cuisine comme si elle n’avait rien dit. La belle s’installe alors sur l’un des tabourets en face du comptoir pendant qu’il se charge de préparer ses pop-corn. – Juste de l’eau, merci. En temps normal, parti comme il est, elle en profiterait pour boire un verre de vin blanc. Mais, avec sa migraine, elle n’est pas sûre que ce soit une bonne idée. Elle le contemple quelques secondes avec tendresse. – Au fait, je n’ai pas oublié le dîner. En référence au repas qu’il lui a promis de lui préparer. Et d’ajouter, plus malicieusement. – Ni ton livre.

♛ You've got the light to fight the shadows.

Elle ne le fait pas volontairement, Isabella. Elle essaie de changer, elle essaie d’apprendre à s’ouvrir, ne serait-ce qu’avec lui. Elle accepte son aide, son soutien, chaque jour. Mais il y a des réflexes qui sont ancrés en elle depuis trop longtemps pour les oublier. Des instincts impossibles à effacer. Elle n’a pas même la sensation de lui cacher quelque chose. Elle l’épargne des détails, elle le soulage d’une inquiétude supplémentaire. Voilà ce qu’elle fait, parce que c’est ce qu’elle a toujours fait, parce que c’est plus facile comme ça. Parce que ça lui fait moins peur. Nikolaï, il est tellement parfait avec elle. C’est quelque chose qu’elle refuse de gâcher. Autant qu’elle refuse de gâcher, plus encore qu’elle ne l’a déjà fait, la vision qu’il a d’elle. Car il a ce sourire, parfois, quand il la regarde. Ce sourire presque émerveillé, comme si… Comme si elle était la meilleure chose qui lui soit arrivée. C’est lui qu’elle refuse de perdre, c’est ce sourire. Lui tout entier. Ce serait plus qu’elle ne pourrait en supporter. Ce n’est peut-être pas seulement lui qu’elle tente de préserver, c’est peut-être aussi qu’elle veut protéger l’amour qu’il a pour elle. Un amour trop précieux pour qu’elle prenne le risque de le perdre. Un amour trop addictif, plus addictif encore que ces fichus médicaments qu’elle tente à tout prix d’oublier. L’attention portée sur l’alimentation de son petit-ami, ce n’est pas la première fois que le sujet est évoqué. Mais il lui rappelle toujours la même chose. Ce n’est pas son truc. Comment peut-il dire une chose pareille pour des fruits ? Elle le contemple, l’air désappointé. – Bien sûr que tu en as. Il y a des pommes, des bananes et même des fraises. affirme-t-elle avec assurance. Elle le sait, c’est elle qui les a achetés. Il faut bien que quelqu’un s’en charge. Et si lui n’y touche sans doute pas, elle pense à la jeune fille qui vit avec lui ou même, simplement, à elle. Mais il préfère les pop-corn, sans surprise. Ses paroles suivantes, par le contre, le sont davantage. Outrée, la Latina entrouvre les lèvres alors qu’il lui rappelle le petit-déjeuner copieux qu’elle a dévoré, quelques jours plus tôt seulement. – C’est un petit-déjeuner, c’est le repas le plus important de la journée. Rien à voir avec ton grignotage avant dîner. rétorque-t-elle avec un sourire espiègle, juste avant qu’il ne vienne lui voler un baiser. Il arrive à lui changer les idées, Nikolaï. Tout doucement, elle oublie sa douleur, elle oublie son angoisse. Elle oublie son manque. Approchant de son oreille, elle ne tarde pas à lui susurrer quelques mots. – Qui sait ? Si tu as encore de la place pour moi après tes pop-corn. Elle le fixe toujours avec cette petite pointe de malice dans ses grands yeux noirs avant de filer sans plus attendre dans la cuisine. Une fois installée sur l’un des tabourets, elle le remercie pour son verre d’eau avant de reprendre la conversation sur un tout autre sujet. S’il est plus que partant pour lui préparer ce dîner… Il semble se paralyser à l’instant où elle dit le mot livre. Elle le regarde, l’air un peu suspicieuse. Elle a eu le temps d’en lire trois depuis cette conversation, cela lui paraît anormalement long, évidemment. – Tu sais, si tu ne l’aimes pas, tu peux me le dire, je ne le prendrais pas mal. assure-t-elle avec toute sa délicate naïveté. Mais elle ne veut pas qu’il se force, Isa, vraiment pas. Elle souhaitait juste qu’il essaie.