night dream (andrei)

Encore une gorgée d’amertume.
Encore un peu pour tasser l’écœurement.
Attaquer l'envie de gerber.
Désintégrer l'angoisse maladive.
Elle fléchit pas Thelma.
Elle réfléchit pas non plus.
Œuvres d’art vulgaires, visages peinturlurées de grossièretés, Thelma observe ces filles prêtes à tout pour des liasses de billets, leurs bras accrochés à des costards-cravates dont les poches doivent se noyer dans la thune. Elle essaie de garder une neutralité de circonstance, de sourire assez pour faire baisser les gardes. Du rouge sur ses lèvres insolentes, du pourpre en satin sur sa peau pâle, la robe moule une silhouette jamais autant dévoilée, poitrine compressée dans du bon marché, elle joue les potiches Thelma ce soir, se glisse sous un masque de poule luxueuse. C’est une idée stupide, elle le sait Thelma, elle sait à quel point elle est à deux doigts de perdre l’équilibre sur le fil ténu de son destin bancale. Ses doigts enserrent une coupe de champagne, effervescence dorée, qui se vide un peu trop vite. Sans bien comprendre, elle s’est retrouvé collée au corps d’un porc friqué qui lorgne la courbe d’une poitrine pourtant quasi absente, qui dévale les courbes déshabillées sous l’ambre des lampes du plafond, sa main trop proche de ses fesses promettant une fin de nuit où la balade des doigts ira trop loin. Thelma ravale sa panique dans une autre grosse gorgée la faisant tousser trop bruyamment peut-être puisqu’il finit par la regarder, coupant son attention de la discussion qu’elle essaie de suivre sans bien comprendre du sujet abordé. Elle imagine que le coeur de leur venue ici ne sera pas abordé si tôt et sûrement pas devant des prostituées aux rires forcés, juste là comme un trophée, un accessoire nécessaire pour intégrer ce genre de soirées où chaque mots et poignées de mains échangés coûtent des billets. “Un soucis ?” La voix rocailleuse tout proche de son visage, haleine mortuaire soufflant sur sa joue, la ramène à la réalité, la fait sourire nerveusement avant qu’elle ne s’arme d’une esquisse plus doucereuse, mimant les Aphrodites d’en face “Aucun, Monsieur. Vous passez une bonne soirée j’espère ?” Chaque paroles lui semblent être une erreur de plus qui la mènera à l’échafaud. Il ne semble pas surpris. Elle se détend même quand il lui tend sa propre coupe “Si tu vas m’en chercher une autre, elle sera bien meilleure.” Une fessée achève son ordre, écrasant un peu plus sa fierté et elle retient l’insulte qui lui vient sur la langue, glisse comme de l’acide sans passer la barrière de ses dents serrées. Ravale Thelma, ravale tout ce soir, même ta putain de dignité. “Vos désirs sont des ordres.” Un murmure suave, presque une invitation. Elle se coule dans la peau de ces femmes fatales vous achevant d’un déhanchement de reins, d’un regard où coule le feu ardent d’un désir factice. En chemin, elle achève sa propre coupe, cherchant un serveur du regard dans la foule d’hommes et de femmes blindés de frics jusqu’aux veines. Aucun poisson n’a encore mordu et ce n’est pas aux bras d’un type quelconque qu’elle trouvera ses réponses. Y’a d’quoi serrer tout un approcher pas mal de gros requins dans leur gala à la con. Ca s'représentera pas d’si tôt. La voix de son patron parlant comme un fou passionné par son affaire de trafics d’armes lui revient en mémoire, lui rappel pourquoi elle est là, à tordre ses chevilles sur des escarpins lui donnant l’impression de jouer le rôle d’une équilibriste exhibitionniste. Elle aussi, elle voulait participer. Elle aussi, elle en a eu marre des vols de sacs à mains, des affaires de junkies vomissant sur leurs propres fringues en cellule de dégrisement ou des déclarations de pertes de pièces d'identités. Thelma elle rêve d'adrénaline, de sa dose d'utilité dans un boulot qui perd parfois son sens dans sa tête. Attrapant un serveur passant sur son chemin, bouteille à la main, elle attend sagement qu’il les remplissent, lorgnant toujours le cercle quitté quelques secondes auparavant. Elle cille en apercevant un nouveau visage, pas certaine de l’avoir croisé avant ça. Figée un instant, ses verres en suspends, elle ne remarque pas le regard circonspect que lui lance le serveur qui finit par s’en aller en bougonnant face à son manque de réaction. Thelma reste absorbée par sa contemplation avant que, dans un sursaut de l’instinct, elle s’avance de nouveau vers son sugar-daddy d’un soir qui l’accueille en replaçant simplement son bras autour de ses hanches. Thelma quitte enfin des yeux les traits sibériens pour revenir à celui supposé être son client, sourire artificiel aux lèvres avant que dans une impulsion elle tende l’autre à celui dont le nom lui échappe “J’en ai pris une pour vous aussi.” Joli mensonge. Sa main tremble mais dans un habile mouvement du corps, elle se reprend, donnant de son attention aux deux hommes, l’un reprenant sa conversation aux saveurs politiciennes et l’autre qu’elle continue de regarder, certaine qu’au moindre faux-pas, il grillera sa comédie maladroite.