Somebody save me. (Gaspar)

Quelques bières d’enfilées, sans exagérer. Juste assez pour bien rigoler, mais pouvoir rentrer sans se compliquer la vie. Le genre de rencontre d’affaires qui s’éternise, quand les circonstances le permettent et que les gens présents donnent envie de s’attarder. Ça n’arrivait pas si souvent, mais ça arrivait - l’envie de rester un peu, de prendre une autre bière juste pour discuter. Célébrer le conflit réglé, et le contrat qui s’est bien déroulé. Gaspar n’avait nulle part où être ce soir, de toute façon - Gala était occupée et il était donc resté pour la bière supplémentaire. Le restaurant qui n’avait pas vraiment eu d’autre choix que de les garder jusqu’à aussi tard, les serveurs qui n’osaient pas les regards trop pointus envers sa compagnie et qui avaient sagement attendu leurs départs. Gaspar secoue la tête quand on lui offre de le ramener chez lui - il va profiter de la promenade pour dégriser un peu et en fumer une. Le pas léger, l’esprit tranquille, la satisfaction des affaires réglées. Et toute la nuit devant lui.

Les rues de New York sont tranquilles, à cette heure. Gaspar glisse une cigarette entre ses lèvres, et va pour sortir son briquet quand des voix attirent son attention. Une ruelle, juste à côté - il ralentit, et scrute l’obscurité pour apercevoir deux silhouettes. Pas compliqué, de comprendre que c’est une fille qui se fait harceler. Le type qui l’a clouée au mur, sa main autour du cou. Les chuchotements frénétiques, que Gaspar capte à peine. La peur, dans la voix féminine. Et le couteau, entre les doigts du lâche qui la tient en place. Le Hoenikker sent quelque chose gronder dans le fond de ses tripes. Voilà bien un truc qu’il arrive pas à laisser passer. Il jette sa cigarette par terre, et s’approche sans hésitation. La mâchoire serrée, le regard dur. « Ce serait dommage de défigurer ce joli petit minois. Mais je vais quand même m’assurer que t’as compris le message. » Gaspar n’arrive pas à temps pour empêcher le type de couper l’épaule de la pauvre fille - mais il arrive à temps pour l’empoigner par le col et le tirer vers l’arrière avant qu’il n’arrive autre chose. Le mouvement brusque, alors qu’il bouscule le type plus loin. « Laisse-la tranquille, salopard. » La voix mauvaise. Gaspar, il est grand. Gaspar, il est épais. Et il sait se battre. « J’sais pas qui t’es, toi, mais tu devrais pas te mêler de ce qui te regarde pas. » Le type se croit malin. Il a son couteau entre les doigts, et il menace le Hoenikker. Gaspar secoue la tête. Vraiment con, hein. En moins de deux, c’est réglé. Le type a le nez en sang et c’est au tour de Gaspar de le menacer avec son couteau. Le combat est bref - et bientôt, le type est K.O.

Gaspar renifle, essuie sa lèvre qui s’est mise à saigner. Rien de grave. Se tourne vers la fille terrorisée. « Tout va bien ? Vous êtes pas blessées ? À part ça, j’veux dire. » Et il montre son épaule, où elle a été coupée.

Pas un héros, Gaspar. Pas du genre à sauver tout le monde qui passe son chemin, à faire son vigilante dans les rues de New York. Pas rare qu’il passe devant les altercations sans lever les yeux, laissant certains à leurs ennuis, pas de ses affaires de toute façon. Pas envie de se mêler de ce qui le regarde pas, et parfois même de ce qui le regarde. À gérer des conflits toute la journée, il essaie de garder sa vie personnelle le moins emmêlé possible. Sauf que y’a bien un truc qu’il sait pas endurer, et c’est la violence envers les femmes. Celles qui ont rien demandées, qui auraient bien juste passer leur chemin. Celles qui se font emmerder par les salopards qui croient que quelque chose leur est dû. Alors Gaspar agit. Un Hoenikker, tout de même, dans le sang qui pulse et dans le poing qui jaillit. Ça se termine vite, il sait se battre, il sait se défendre. La pauvre fille, elle se tient encore à côté, tremblante, comme en trance. Gaspar ne bouge pas, ne veut pas lui faire peur, veut juste s’assurer qu’elle va pas claquer. « Hum, je crois que ça va… C’est quand, le rappel pour le tétanos, déjà ? » Il lui jette un petit regard surpris, il s’attendait à pas mal de trucs, des pleurs, des cris, qu’elle tombe dans les pommes même, mais pas de l’humeur. Il renifle, et y’a un petit sourire qui se glisse sur ses lèvres. Comique, la p’tite, il doit se l’avouer. Au moins ça sera pas trop compliqué à gérer, elle allait pas lui filer une crise de panique.

« Merci d’être intervenu, je… Y’en a beaucoup qui aurait préféré passer leur chemin. » Il hausse les épaules, Gaspar. La lèvre qui fait un peu mal, mais il a déjà enduré bien pire après tout. « C’est rien. » Petit sourire envers la blonde, elle a l’air secouée mais pas davantage blessée. Les yeux bleus qui percent la noirceur, il ne la quitte pas des yeux. « Je peux pas blairer les types dans le genre. » Il essuie son menton, où une goutte de sang vient perler. Jette un coup d’oeil au corps étendu à quelques pas. « Allez, mieux vaut filer avant qu’il se réveille. » Signe de tête en direction de la rue. « Vous voulez que j’appelle la police ? » Qu’il lui demande ensuite. Lui, préférerait éviter - pas envie de se frotter aux questions et aux regards un peu trop curieux, mais il comprendrait si elle voudrait. Et puis, un type comme ça de moins dans les rues, ça serait sans doute mieux comme ça.

« Je suis tout à fait d’accord. » C’est un peu étonnant, tout de même, comment elle se tient. Secouée, certes, mais pas aussi ébranlée qu’il aurait pu le croire. À se faire aggresser comme ça, il ne pourrait pas la blâmer d’être plus instable que ça. Mais peut-être que c’est sa manière de gérer, après tout c’est pas une gamine, et à vivre à New York elle en a sûrement vu des vertes et des pas mûres. Mais Gaspar l’observe, la belle blonde. Ne peut pas s’en empêcher, essaye de mieux la comprendre. Y’a quelque chose de plus qu’une aggression imprévue, il ne saurait pas l’expliquer, mais il sait qu’il y a une histoire dans tout ça. Et que ce type n’est peut-être pas juste un con qui passait par là, mais peut-être là pour une raison. Et ça l’intrigue, de penser ça. Gaspar, qui se fie tellement à son instinct dans sa vie, voilà que ce dernier lui dicte de ne pas s’arrêter aux apparences. Mais pourtant, il ne peut pas comprendre ce qu’il en est. Qui est cette fille qu’il vient de sauver. Et ses soupçons redoublent, alors qu’elle répond un peu trop rapidement à sa proposition. « Non ! » C’est immédiat, ça claque dans le silence et ça fait écho contre les murs. Non. Très bien. Pas de police. Le silence retombe, alors qu’il l’observe. Il ne veut pas juger, après tout il pourrait avoir trente-six raisons pourquoi elle ne voudrait pas les appeler. Mais pour Gaspar, ses doutes ne font que redoubler. Cette fille est plus qu’il n’y paraît.

Elle se reprend un peu, avec une voix plus calme. « C’est gentil, mais… Ça ne ferait que compliquer les choses. » Il a la question qui lui brûle les lèvres, à Gaspar. Pourquoi ? De quelles choses parle-t’elle ? On dirait bien qu’elle connaît ce type, au moins. Mais qu’est-ce qu’une fille comme elle peut avoir avec une racaille du genre ? Un énième mystère pour toi, Gaspar. « Très bien. » Qu’il décide de dire, tout simplement. Pas certain que ce soit le moment de la questionner. Il sait mieux faire ça, Gaspar. C’est son boulot, après tout. Alors il lui sourit, poliement. « Je vous raccompagne, alors, peu importe où vous alliez. » Et même si sa voix reste calme, le ton reste ferme. Pas matière à discuter. Et il l’ajoute, avec un petit sourire. « J’insiste. Juste pour me rassurer que vous soyez en sécurité. » Faudrait pas qu’un autre type passe par là, non ? Il lui fait un signe de tête en direction de la rue, pour qu’elle le suive jusque là. Les rues principales, où il y a plus de bruit, mais pas tellement de monde. « Je m’appelle Gaspar. Et vous ? » Il va y aller doucement, Gaspar. Mais il veut comprendre ce qui s’est passé dans cette ruelle, et il refuse de croire qu’elle n’est pas la victime. « Vous êtes du coin ? » La comprendre. Doucement. Une histoire dans laquelle tu devrais peut-être pas tremper. Mais il a jamais été doué pour rester loin, Gaspar. Trop un foutu héros, dans le fond.

Pas d’hésitation dans la voix de Gaspar, alors qu’il lui fait sa proposition. Après une telle agression, hors de question qu’elle rentre chez elle toute seule - l’envie de garder un oeil sur elle, au moins pour s’assurer qu’elle est en sécurité. Et pendant un instant, il n’est pas certain qu’elle va accepter, mais au final, ça semble lui donner un peu de soulagement. Elle sourit, la jolie blonde - et ça lui va bien. Les traits qui s’illuminent un peu, après la peur, après la panique. « Si vous ne me laissez pas le choix, alors… » Il lui lance un sourire en retour, sincère tout de même. Elle est sympathique, et il l’aime bien - pas de gêne pour lui, l’idée de la raccompagner et de lui faire un peu la conversation. Au moins pour la rassurer, après cet épisode franchement traumatisant. Bien sûr, y’a toujours cette part de curiosité en lui, d’essayer de mieux comprendre cette histoire. Il se doute, Gaspar, que ça n’a rien d’aléatoire, rien d’une simple malchance, son instinct le lui dicte, et il sait le suivre, car il en est rarement déçu. Cassey, qu’elle s’appelle, et il hoche la tête. Gaspar, c’est ce type qui n’oublie jamais les prénoms, jamais les visages. Pratique, dans son boulot, mais c’est juste un truc qu’il a toujours fait.

Les pas qui foulent le trottoir, les rues de New York plutôt tranquilles à cette heure-ci. Le pas pas trop lent, pas trop rapide - juste pour être sûr que le type n’allait pas pouvoir les retrouver s’il était pour se réveiller. « Non, du tout. Je suis de L.A. Je suis à New York depuis peu. » Et il acquiesce, lui jetant un bref regard. Il était déjà allé sur la côte Ouest un nombre de fois, le soleil qui y régnait lui faisait toujours un bien fou. « Je vois. Et vous vous y plaisez ? Qu’est-ce qui vous a emmené dans le coin, si ce n’est pas trop indiscret ? » Le sourire qui ponctue ses mots, pour dissimuler sa curiosité. Que ça ne soit qu’une simple conversation à l’oreille de la pauvre victime. Gaspar savait bien dissimuler ses intentions, après tout, et de toute façon, elles n’étaient pas mauvaises - il voulait vraiment lui filer un coup de main, sentant qu’elle avait des ennuis un peu plus grand qu’un type trop insistant. « Merci de me raccompagner. C’est un peu plus rassurant d’être avec vous. » Son sourire se fait plus sincère que jamais, alors qu’il lui adresse un regard. La petite étincelle d’appréciation, dans un coin de ses yeux. « Ça me fait très plaisir. Normal, même. Je ne voudrais pas vous laisser toute seule après tout ça. » Peu importe quel était le fond de l’histoire, ça ne changeait pas que Cassey s’était fait attaquée en pleine rue, et il ne souhaitait tout de même ça à personne - à part peut-être à ses ennemis, mais ça, c’était une autre histoire complètement. « Je peux vous demander…  » Il inspire doucement, Gaspar. Cherche les bons mots, pour ne pas la faire fuir. « Vous le connaissiez ? Le type, là-bas ? » Et il la regarde un instant, la stabilité dans le regard. Les yeux qui lui disent, vous pouvez me faire confiance. « Juste pour être sûr que ça ne peut pas se reproduire. Qu’il ne pourrait pas vous retrouver. Je ne dis pas ça pour vous faire peur. Je veux juste… être sûr. » Car Gaspar connaissait ces gens-là. Il travaillait avec eux, les voyait agir tous les jours. Prendre des décisions qui coûtait des vies, des réputations, et parfois bien pire. Juste pour être sûr que je ne vous ai pas sauvé, pour que vous soyez menacée à nouveau.

« Ma famille est ici. C’est pour eux que je suis venue. » Il acquiesce, Gaspar. Acquiesce devant les explications de la jolie blonde, en se doutant bien que ce n’est pas la fin de l’histoire. Mais ça ne semble pas être un mensonge non plus - juste une belle manière de dissimuler les détails. Mais il ne lui en veut pas - aucune raison pourquoi elle se livrerait à un parfait inconnu, même après l’épisode qu’ils viennent de traverser tous les deux. Il préférait même qu’elle reste discrète - la méfiance était une belle qualité, aux yeux de Gaspar. Il savait que la loyauté et l’honnêteté étaient importants, mais il savait également qu’il fallait apprendre à se protéger dans ce monde, et le mensonge était un atout particulièrement utile. Ce n’était pas qu’il n’aimait pas qu’on lui mente, Gaspar - il n’aimait juste pas être pris pour un idiot. Mais ce n’est pas le cas de Cassey, il le sent bien dans sa manière de lui parler. Reconnaissante - nerveuse, peut-être. Quelque chose la tracasse, et il ne veut pas s’imposer, mais il sent qu’elle a peut-être besoin d’en parler. « Vous êtes un héros, si je comprends bien. » La remarque lui attire un sourire, à Gaspar. Sourire sincère, face à ses propos. « Oh, je n’irais pas jusque là. » Qu’il lui dit d’une voix un peu plus douce. Loin d’être un héros, Gaspar - juste un type avec des principes bien arrêtés, qu’il allait défendre jusqu’à la mort. Ça lui avait été utile, jusque là, de les suivre - bien que ça avait aussi créer des ennemis de refuser de s’adapter simplement pour plaire. Il n’était pas là pour ça, de toute façon - fait de pierre, pour que le reste du monde vienne se fracasser contre lui.

Cassey hésite encore un peu, mais quelque chose dans son regard indique à Gaspar qu’elle va craquer. Il lui donne alors un petit sourire encourageant - signe indicateur qu’il était à l’écoute. Et qu’il n’était pas dangereux. « C’était la première fois que je le voyais. Mais c’est… C’est quelqu’un que je connais qui l’a envoyé. Quelqu’un à qui je dois énormément d’argent. » Il voit la peur dans son regard - tout ressort en un torrent, alors qu’elle garde son regard dans le sien. Gaspar le lui rend, conscient que ça lui donne un appui pour faire ses aveux. De l’argent, hein ? Son instinct avait donc été bon. « J’ai fui Los Angeles pour cette raison, et… Et maintenant, il m’a retrouvée… Et je… Je n’ai absolument aucune idée de ce que je vais faire… » Gaspar l’observe doucement, touché par sa détresse sans trop l’être - il en avait vu, des gens dans des ennuis similaires. C’était son boulot de gérer ce genre de situation, sauf que ça se faisait habituellement dans des salles de réunion ou dans des procès - pas dans les ruelles de New York avec des canifs. « Je vois. » Qu’il répond, gardant sa voix calme. « Ne vous inquiétez pas. Votre secret est en sécurité avec moi. » Il ponctue ses mots d’un petit sourire, ne sachant pas trop pourquoi il veut autant aider une inconnue - mais il a envie de le faire. Interpellée par sa voix, son regard. Sa détresse. « Cet homme, à qui vous devez de l’argent. C’est quelqu’un de clean ? » Il se doute bien que non - mais autant demander. Il a un regard d’excuse. « Désolé de demander. Mais ça influence la situation. » Il prend une petite inspiration, Gaspar, et sourit à Cassey. « Écoutez, c’est un peu mon boulot ces histoires. Je suis médiateur et négociateur. Alors j’peux vous aider. Si vous le voulez. Mais il faudra me faire confiance, et tout me raconter. » Si t’es prête à faire ça, Cassey, t’es entre de bonnes mains. Petit silence, qui s'installe, avant de poser la dernière question - la plus importante. « Vous lui devez combien ? »

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