hurts to be human / juliette.

Les rayons du soleil réchauffent la peau d’Agnes, alors qu’elle s’attarde près de la large fenêtre de la boutique. Instinctivement, les paupières cillent jusqu’à se fermer, pour savourer un peu cette douce chaleur qui la réchauffe. Ce genre de journée, elle les prendrait tous les jours. Le ciel d’un bleu doux, les nuages rares, et une brise toute fraîche qui empêche la chaleur écrasante. La porte de la librairie laissée ouverte pour faire passer l’air du printemps, et la journée assez chaude pour ne pas grelotter derrière le comptoir. Il fait si beau, la plupart des new yorkais restent en extérieur. Agnes a observé les passants toute la matinée, les couples qui se tiennent la main, ceux qui promènent leurs chiens, et toujours ces éternels gens d’affaires, qui ont les écouteurs aux oreilles et qui murmurent des chiffres et des élans de négociation. Au loin, elle entend le bruit d’un skate qui roule sur le bitume, des rires qui proviennent de la terasse d’à côté. Ça ne peut être qu’une belle journée, avec tout ça - tranquille et douce. Les heures qui passent pas trop lentement, malgré les clients relativement rares. Agnes qui n’est pas gênée d’être là, malgré son envie de quitter son poste pour profiter du soleil, elle aussi. Elle s’imagine pouvoir appeler Joel, et marcher dans Central Park tout l’après-midi. Partager une glace peut-être, et partager de ces moments qu’elle avait appris à tellement chérir depuis qu’ils se fréquentaient plus sérieusement. Mais elle ne termine pas de travailler très tard, elle pourrait lui proposer d’aller manger un morceau sur une de ces terrasses bondées, se mêler à la foule en quête des rayons du soleil et laisser le temps couler doucement. Oui, ça lui semble bien.

Elle rouvre finalement les paupières après quelques temps, tirée de sa rêverie par sa collègue qui a besoin de l’espace de la caisse pour un client. Elle se retire avec un petit sourire d’excuse, Agnes, et se faufile jusque dans les rayons pour continuer de faire un peu de rangement. Quelques livres attrapés, la reliure qu’elle ne peut s’empêcher d’effleurer au passage. Un mouvement furtif à ses cotés, et elle relève les yeux quand on l’approche. S’attendant à un client, tout simplement - mais les traits sont familiers, la tignasse brune, et la profondeur du regard aussi. Juliette Sartier. La surprise qui lui coupe le souffle un peu, à Agnes, et elle dépose les livres sur le chariot avant de sourire. Timidement, le regard pas trop assumé, contre celle qui a toujours su l’intimider. Quelques rencontres comme ça, jamais de grande conversation, mais elle sait très bien qui elle est, la belle brune. « Juliette, quelle surprise ! » Qu’elle lance avec un petit rire qui se veut calme, mais qui doit tout de même indiquer sa nervosité. Après tout, ça peut être un pur hasard, ou pas du tout - mais Agnes préfère se dire que ce n’est que Juliette qui passait par là, et qui a besoin d’un bouquin. « Comment vas-tu ? » Elle fait partie d’une autre vie, Juliette, d’une autre Agnes - de celle qui restait sagement aux côtés d’Henrik, menton baissé. Et voilà que les vies s’entrechoquent, et c’est plus violent que ce à quoi Agnes aurait pu s’attendre. « Tu - tu cherches un bouquin, ou… ? » Le doux sourire aux lèvres, alors qu’elle tente de maintenir le contact visuel avec elle. Le coeur qui bats un peu trop fort, mais elle se calme avec une longue inspiration. Tout va bien, Agnes. Elle ne va tout de même pas te manger. Non ?

Elle est belle, Juliette. Belle comme la reine d’un royaume lunaire, la prestance dans le corps et la stabilité dans le regard. C’est le genre de femme qui sait qui elle est, qui sait où elle va. Force de la nature, la tornade qui fracasse le sol, contrairement à Agnes qui ressemble davantage à la brise. Pas que ce soit incompatible - mais devant la grandeur de Juliette, Agnes ne sait où se placer. Un peu nerveuse, sans doute, de ne pas savoir pourquoi elle est là. Ce n’est sans doute qu’un hasard, mais Agnes sait aussi qu’une femme comme Juliette ne doit pas vraiment agir par circonstances - son chemin tracé devant ses pieds. « Plutôt bien. » La réponse qui vient simplement, quand Agnes lui demande des nouvelles. « Et toi, qu’est-ce qeu tu deviens ? On peut dire qu’on a plus trop eu l’occasion de se recroiser depuis. » Depuis. Ça vient gratter un peu le fond de la gorge, elle doit l’avouer. Et ça la fait vaciller, tout légèrement, Agnes. La rupture qu’elle a eu le temps d’accepter, mais qui vient toujours chercher la douleur dans le creux de l’estomac. Ça n’a pas été simple. Ça n’a pas été facile. Mais c’était la chose à faire. La défaite, la douleur. Il t’a poussé dans les escaliers. « C’est vrai. » Qu’elle répond, avec un sourire un peu forcé. Tout de même, ce n’est plus aussi difficile d’en parler - juste un peu différent, avec une femme comme Juliette. Est-ce que tu sais ce qui s’est passé, Juliette ? « Les choses sont plutôt tranquille, je dois t’avouer. » Elle préfère répondre simplement - à voir si Juliette voudra en savoir plus. Au fond, elle espère que ce n’est qu’un hasard, Agnes, et qu’elle pourra échapper à ce regard qui semble lire son âme même - mais Juliette lui sourit. « Tu peux te détendre, je suis là en paix. » Le sourire qui naît sur les lèvres de la blonde, doucement. Faut croire que tu lis bien en moi, Juliette.

Henrik était pareil.

« Hum, je ne lis pas trop, à vrai dire. J’étais simplement dans le coin et je me suis souvenue que tu travaillais ici. » Agnes acquiesce doucement, un peu surprise, tout de même. Son travail à la librairie relativement récent - datant d’après sa rupture avec Henrik. Comment t’as su, Juliette ? « Enfin, j’me demandais si tu étais disponible pour un café ou un thé. Peu importe. Même un verre de vin si tu préfères. » L’invitation la prend de court, Agnes. Observant Juliette avec une certaine surprise - vraiment ? « Enfin je ne voudrais pas m’imposer. C’est juste… On a eu si peu de temps pour apprendre à se connaître. J’ai toujours trouvé ça regrettable. » Ça lui réchauffe le coeur, à la blonde. Surprise, mais agréablement. Me connaître, moi ? La question qui lui vient inévitablement en tête. Pourquoi tu voudrais me connaître moi ? Touchée, cependant, elle ne peut que sourire avec un air timide. « Tu as bien raison. » Après tout, elle savait bien qu’il ne fallait pas s’arrêter aux apparences - Juliette l’avait toujours intimidée, mais c’est vrai qu’elles n’avaient jamais eu l’occasion de discuter. « Ça me ferait plaisir. Vraiment. » Fébrile, certainement, la petite boule de nervosité dans la gorge. Mais pourquoi maintenant ? Elle ne veut pas y penser, Agnes. Juste heureuse à l’idée de discuter un peu, et peut-être s’en faire une amie. « Désolé si j’ai pu hésité. Je suis juste un peu surprise, mais agréablement, je t’assure. » Le rire, au bord des lèvres. Le soleil qui les enveloppe, délicatement. Elle jette un coup d’oeil à sa montre, Agnes. « Je termine dans une demi-heure, environ. Ça ne te dérange pas d’attendre ? Il y a un café juste en face, si tu veux, on peut se rejoindre sur la terrasse ? Profiter du soleil, un peu. » Toujours le sourire aux lèvres, alors qu’elle vient observer Juliette. Douce, Agnes. Et un peu trop naïve. Mais Juliette veut juste discuter, et apprendre à la connaître - quoi d’autre, après tout, est-ce qu’elle pourrait vouloir de toi ?