negative nancy (isabella)

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w/ @isabella kingston

Une nuit d’excès, encore une fois. La drag queen s’était enchaînée les shots de tequila avec agilité en acceptant les offrandes de ces inconnus rassemblés au bar, elle n’avait pas su refuser la marijuana échangée dans le coin fumeur ni même la proposition de ce gars – dont elle n’avait même pas cherché à retenir le prénom – de terminer le restant de la soirée dans son appartement. Une nuit d’excès, oui, mais une nuit qui ne différait plus vraiment de celles dont elle avait désormais l’habitude lorsqu’elle performait dans les clubs. Et Lexxi savait qu’il flirtait avec les limites qu’il s’imposait pour ne pas déraper, qu’il finirait par déranger le peu de stabilité qu’il avait instauré dans sa vie en l’expérimentant aussi intensément. Des paroles qui tournaient en boucle dans son esprit sans qu’il ne vienne pourtant chercher à les éteindre. Parce qu’il contrôlait encore, il contrôlait toujours et n’avait aucune raison concrète de s’inquiéter. Il s’était alors réveillé avec l’esprit embrouillé par l’alcool dans l’appartement de ce gars sans grande surprise. Les cheveux ébouriffés, les traces de maquillage encore bien présentes sur le visage, les faux cils encore difficilement fixés et la perruque déposée avec soin sur la chaise avec ses vêtements. L’image n’était pas très glorieuse et la drag queen était depuis longtemps venue s’effacer en grande partie pour relaisser la place aux traits de l’artiste derrière elle.  Lexxi ne voulait pourtant pas prendre la peine de s’arranger une fois levé. Une perte de temps jugée inutile puisqu’il n’avait de toute façon que deux blocks à traverser avant de regagner son propre appartement. Il se rhabilla donc rapidement, remit sa perruque sur le crâne et plaça une paire de lunettes de soleil sur le visage comme pour venir masquer l’état dans lequel il se trouvait avant de claquer la porte derrière lui sans prendre la peine d’annoncer son départ à l’homme encore endormi. Puis après une bonne dizaine de minutes de marche, à défier les regards des passants un peu trop curieux, il se retrouva chez lui prêt à reprendre un air un petit plus frais. Douche chaude, démaquillage tardif, tissus plus appropriés à la température ambiante sur la peau. L’excès avait fini par disparaître de son visage pour simplement y laisser le restant de fatigue toujours présente. Un début, sûrement. Du moins une raison suffisante pour le faire redescendre au commerce en bas de chez lui pour se prendre un redbull et de quoi manger en cette fin de matinée. Une sortie comme il en faisait pratiquement tous les jours et qui n’avait rien d’exceptionnelle en soi. Pourtant. Le visage de la jeune femme qu’il croisa en ressortant de l’enseigne le fit s’arrêter net. Isabella. Un retour direct dans ses années universitaires, dans cette période de sa vie qui semblait à des lieux de son quotidien actuel. C’était étrange, peut-être même un peu déroutant. Isabella avait été une amie, une voisine à qui il s’était confié à maintes reprises sur les premières banalités qu’il avait à l’esprit sur le moment sans pourtant jamais mentionner les thèmes qui l’intéressaient réellement. Puis il était parti, il avait préféré reculer en privilégiant son personnage de drag queen sans même prévenir de son existence avant de les voir tous les deux déménager dans d’autres quartiers. Et la revoir, c’était comme se rappeler de la personne qu’il avait été six ans plus tôt. « Hey… », qu’il prononça d’une voix incertaine, sans savoir ce qu’il recherchait vraiment en se rapprochant d’elle, telle une fleur, des années après. Elle pouvait l’avoir oublié depuis le temps, c’était stupide de la saluer mine de rien alors que son propre visage n’était toujours pas remis de la soirée de la veille. « Je ne pensais pas te recroiser un jour, je- » La reprise de contact n’était pas sa spécialité, et savoir s’adresser aux autres sans s’arrêter encore moins. « T’habites dans le quartier maintenant ? », reprit-il ensuite le plus naturellement du monde en s’essayant à un léger sourire. Une manière comme une autre de lui demander ce qu’elle faisait dans le coin avec le plus de politesse possible.

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L’incertitude se lisait facilement sur son visage ; le manque de confiance en lui pour engager la conversation, lui, se ressentait dans les mots qu’il avait choisis. S’adresser à la brune lui avait demandé un certain courage et la prise de risque associée avec semblait presque ridicule. Pourtant Lexxi avait tenté une première approche après des années sans l’avoir vue, et réussir à aligner une phrase sans perdre pied n’était pas négligeable venant de sa part. Lui qui avait du mal à garder les liens avec ses anciennes connaissances, lui qui n’avait aucun talent pour s’exprimer convenablement avec des mots. Il se rendait bien compte qu’il était fautif de cet éloignement et revoir le visage d’Isabella d’un coup ne venait que violemment le lui rappeler, le rendant même un peu honteux. Et il ne savait plus tellement à quoi s’attendre maintenant qu’il était réapparu devant elle en plantant timidement son regard dans le sien. Un bonjour, un au-revoir, un visage impassible et médusé. Les options étaient larges et chaque possibilité le rendait nerveux. Pourtant les paroles qui s’étaient glissées des lèvres de la jeune femme auraient dû instantanément le rassurer. Elle se souvenait de lui déjà, ce ne pouvait qu’être un bon présage. Le ton qu’elle avait toutefois utilisé montrait bien qu’elle ne s’attendait pas à le revoir un jour. Mais comment lui en vouloir, il venait lui-même de lui confesser la même chose après tout. Puis il avait enchainé, Lexxi, il n’avait pas résisté à l’envie d’en apprendre plus sur sa présence dans le quartier en lui demandant si elle avait déménagé dans le coin. Un moyen d’entamer la discussion entre eux le plus naturellement du monde peut-être, même si rester plantés au milieu du trottoir devant l’épicerie du coin ne s’y prêtait pas vraiment. « Quelques semaines… » Il répétait les mots de la brune pensivement sans vraiment savoir pourquoi. La surprise, sans doute, la réalisation qu’il pourrait retomber sur elle plus fréquemment. Et l’entendre enchaîner directement sur une remarque au goût de plaisanterie lui arracha ensuite un nouveau rire nerveux qui le détendit quelque peu. Il se mettait la pression tout seul, Lexxi, et le pire était qu’il ne s’en rendait même pas compte. « Pas vraiment. Je sors rarement en plein jour dans le quartier, je me cache dans d’autres coins du Queens et de New York. », lui confessa-t-il maladroitement avant de se rendre compte qu’il n’aurait peut-être pas dû dériver aussi drastiquement. Car ses cachettes, c’était autant les clubs lgbtq+ que le personnage de drag queen qui venait à peine de quitter son visage. « Enfin je veux dire, oui, j’ai déménagé dans le quartier à la fin de mes études. », se reprit-il tardivement avec plus de légèreté. C’était mieux, beaucoup plus dans le cœur de la conversation et délivré de manière plus détendue. « Désolé d’ailleurs. » Des excuses qui venaient un peu tard et surtout sans aucun contexte. Il ne savait même pas s’il devait s’excuser d’ailleurs, s’il devait chercher à reprendre contact avec elle si ce n’était que pour se reprendre un mur plus tard. À croire que la honte d’être parti sans explications était plus forte. Beaucoup de choses avaient changé depuis l’époque de l’université, depuis la naissance de leur amitié. Il était simplement désolé de ne plus être le même artiste auquel elle était en droit de s’attendre peut-être. « T’es pressée ? Ou t’aurais le temps de me regarder boire ma boisson avec le peu de nourriture que je viens de m’acheter ? » Une proposition pour reprendre contact, aussi maladroite soit-elle.

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La confiance en lui dont il disposait habituellement sous les traits de son alter ego était à des années lumières de se dégager de lui en l’instant ; la détente se faisait difficilement et le regard de cette jeune femme qu’il avait si bien connue par le passé semblait analyser chaque recoin de son âme sans la moindre difficulté. Il était propulsé six ans en arrière aux portes de chez lui, Lexxi, auprès d’une voisine, d’une amie, à qui il avait refusé de partager l’intégralité de son art de peur de se faire rejeter de nouveau. La fuite plutôt que les explications, la fuite plutôt que dévoiler toute l’étendue de sa vulnérabilité à une amie. Il avait succombé à la facilité à l’époque sans se poser véritablement de question. Et maintenant qu’elle était de nouveau là, devant lui, il se rendait compte de la stupidité de son jugement sans pouvoir y répondre tout de suite. Il l’avait d’abord questionné sur sa présence dans le quartier pour ensuite répondre nerveusement à la pique de la brune sur ses cachettes dans la ville. Les clubs, le drag, les perruques, le maquillage. Ce n’était plus que son seul mode de vie, plus que les seuls refuges de son quotidien. Et l’entendre dire qu’elle comprenait ce qu’il voulait dire l’étonnait un peu. Il en parlait rarement, Lexxi, et à moins d’avoir infiltré le Mermaid il ne voyait pas tellement comment la jeune femme pouvait être au courant de ses points d’ancrage dans une ville aussi immense que New York. « Vraiment ? » La demande était innocente, légèrement teintée de surprise sans pour autant remettre sa parole directement en cause. Il avait peut-être mal compris ce qu’elle entendait par-là après tout, peut-être qu’il manquait cruellement d’attention dans ses mots. Et pourtant il ne perdit pas de temps pour enchaîner sur son déménagement et de plates excuses balancées sans aucun contexte. Elle méritait mieux, Isa, mieux qu’un pauvre désolé lancé avec six ans de retard alors qu’ils se tenaient sur le trottoir d’une épicerie de quartier. Un désolé accompagné d’aucune explication pour l’argumenter. La surprise de la jeune femme le paralysait presque le temps d’une demi-seconde, comme si au final cet échange n’avait rien de spontané. Il s’en voulait sincèrement pourtant, il était même prêt à lui laisser la chance de renouer avec l’amitié qu’il avait laissé échapper six ans plus tôt. « Je n’ai que du red bull et des cookies par contre, j’espère que ça ira. », préféra-t-il lui confier avant de la suivre pour s’installer autre part plus confortablement. Un menu rien d’healthy et qui ne convenait pas à tout le monde, il en avait conscience. Pourtant la brune ne semblait pas plus intéressée par ses maigres victuailles qu’elle ne pouvait l’être sur sa personne. Un intérêt d’ailleurs légitime. « Je suis toujours dans l’art. enfin… », commença-t-il par répondre avant de s’arrêter soudainement pour planter ses yeux verts sur son visage. L’art du drag, du maquillage, de la transformation, de la mode, de la danse. Son approche n’avait rien de traditionnelle et il en avait conscience. C’était bien pour cette raison qu’il était parti sans un mot, sans lui expliquer sa prise de direction dans ce qui ressemblait au plus à sa vie professionnelle. « J’ai abandonné les études après la licence, tu sais. Je danse du burlesque dans un club depuis un moment maintenant. Et je me produis dans d’autres établissements sous un alter ego plus féminin. L’artiste est toujours là, je l’affirme juste…différemment. » Il se perdait dans les mots et dans la meilleure manière d’exposer positivement son approche à l’art. Il n’était pas sûr de réussir à lui faire comprendre, il n’avait aucune idée de la position de la brune sur les clubs de strip-teases et sur le drag. Pourtant pour lui, il y avait tellement plus que son apparence sur scène et sa manière de s’effeuiller sous le regard des clients friands d’un peu de nudité dans le burlesque qu’il délivrait, il y avait tellement plus que le maquillage et les perruques qui transformaient entièrement son visage, tellement plus que les corsets et les talons de quinze centimètres qui l’enveloppaient chaque soir. Il y avait sa vision, son esthétique, sa volonté d’agrandir le spectre aussi bien des genres et de l’art. L’artiste restait lui à part entière, rien que lui.

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L’improvisation totale, le retour dans ces années de découverte sur sa propre personne et de son expression artistique. La surprise n’avait cessé de prendre refuge sur ce visage candide que pouvait être le sien lorsqu’il se sentait en quête d’une certaine vulnérabilité. Il était craintif, Lexxi, peu confiant et constamment réfugié dans ce besoin maladif de s’éloigner des proches dont il était incapable de prévoir les réactions. Partir plutôt que devoir subir le rejet, abandonner plutôt que persévérer. Il avait opté pour la facilité à l’époque. Une absence de risque ridicule, excessive, voire même peut-être entièrement inutile. Il s’en rendait maintenant compte avec plusieurs années de recul et en entendant la douceur qui se logeait dans la voix de la jeune femme lorsqu’elle s’adressait à lui. Une reprise de contact qui se voulait rassurante, sincère, et qui n’avait pourtant réussi qu’à faire remonter toute la culpabilité de sa fuite de l’époque qu’il avait eue le temps d’oublier ; une culpabilité alimentée par les premières réactions de cette femme qu’il n’avait jamais pu oublier. Alors il esquissait des sourires timides en entendant ses réponses, Lexxi, il se hâtait dans des réactions non entièrement contrôlées sans se rendre compte pleinement des attendus de celle qui était presque redevenue une inconnue. « Oh oui, bien sûr. Ne pas être chez soi. » Il répétait les mots d’Isabella avec un rire nerveux avant de se rendre compte de ce qu’elle voulait dire. Bien évidemment qu’elle ne pouvait pas vraiment faire référence aux mêmes choses que lui, bien évidemment qu’elle ne trainait pas dans le milieu de la nuit et du divertissement. Puis il avait changé de sujet rapidement pour balancer ses excuses toutes aussi improvisées que leurs retrouvailles avant d’ensuite lui proposer de le rejoindre dans la dégustation de ces maigres victuailles tout juste achetées à l’épicerie du coin. Du red bull et des cookies. Il y avait mieux comme programme, vraiment ; et après tant d’années sans se voir, Isabella méritait bien plus que cette proposition ridicule. Rien qu’un Starbucks aurait mieux fait l’affaire par exemple. Et il aurait pu revenir sur son invitation, fuir une nouvelle fois derrière une promesse de se retrouver autour d’un véritable plat digne de ce nom. Seulement les mots n’eurent pas eu le temps de se formuler dans son esprit que la brune accepta déjà son invitation avec cette même douceur qui ne semblait pas quitter son regard. « Le déjeuner ? Je n’ai honnêtement plus aucune notion du temps, je serais bien incapable de te dire quelle heure il est. » Une confession un peu bête, mais qui avait le mérite d’être sincère. Avec les événements de la matinée, le retour précipité chez lui en quittant le lit de cet amant d’une nuit et les courses rapides qui l’avaient menées jusqu’à elle, il n’avait pas vraiment eu le temps de se poser et de réfléchir aux repas de la journée. Et il ne rajouta rien de plus, Lexxi, ignorant inconsciemment la première question de la brune pour mieux se concentrer sur les autres qui n’avaient pas tardé à venir une fois qu’ils s’étaient posés. L’abandon des études, la poursuite de son art sous les traits de son alter ego, le burlesque. Il avait fini par lui dire sans détournement. Une sincérité exprimée un peu trop tard et de manière beaucoup trop maladroite sans doute. « Si je suis heureux ? » La question d’Isabella avait eu le mérite de faire ressortir toute la surprise du début. Il ne s’était jamais véritablement posé la question. Le bonheur lui paraissait comme cette chose abstraite et si compliquée à construire. « Beaucoup plus que si j’étais simplement resté à la fac. », se contenta-t-il simplement de répondre avant de se saisir d’un premier cookie. « Le drag m’a beaucoup aidé à me définir, c’est une véritable passion. » La définition de sa personne, de son art, de son genre. Il avait trouvé une place, une communauté remplie de diversité et de tolérance. Il savait bien qu’il aurait pu mal finir, qu’il aurait pu continuer à être cette même personne perdue et incapable de s’affirmer. Car c’était bien ce que sa fuite avait permis de lui faire faire : s’affirmer et vivre son art pour lui. « Il m’a fallu du temps pour trouver ce que je voulais, pour que je puisse faire confiance aussi. J’imagine que fuir était plus simple et que j’aurais dû prendre le temps de mieux faire les choses. », rajouta-t-il ensuite sans cacher sa mention indirecte à sa disparition soudaine dans la vie d’Isabella. « Et toi ? Qu’est-ce que tu deviens ? » Une manière comme une autre de rebondir sur un autre sujet que lui-même. Un moyen de se reprendre discrètement en retournant l’attention sur elle aussi.